LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Commentaire Cass., 2ème civ., 14 décembre 2017, n° 16-26.687

Commentaire d'arrêt : Commentaire Cass., 2ème civ., 14 décembre 2017, n° 16-26.687. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  17 Novembre 2018  •  Commentaire d'arrêt  •  1 811 Mots (8 Pages)  •  5 297 Vues

Page 1 sur 8
  • Commentaire Cass., 2ème civ., 14 décembre 2017, n° 16-26.687

       Si l’adage séculaire « Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur » (l'enfant conçu est présumé né quand il en va de son intérêt) s’applique sans désemparer de nos jours, c’est sans doute qu’il n’a rien perdu en pertinence, en témoigne cet arrêt de rejet rendu le 14 décembre 2017 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

        En l’espèce, un époux et père de deux enfants est décédé suite à un accident du travail lors d’une mission. La veuve, tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs (dont l’un est né peu de temps après la mort de son père), a alors saisi en présence d’une caisse primaire d’assurance maladie un tribunal des affaires de sécurité sociale. Elle souhaitait en effet faire juger que l’accident mortel était dû à une faute inexcusable de l’employeur du défunt, espérant ainsi obtenir réparation de son préjudice et de celui de ses enfants.

        Après une première instance, un appel a été interjeté. Suite à cet appel, un pourvoi a été formé. Suite à ce pourvoi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a dans un arrêt du 10 septembre 2015 cassé la décision rendue en appel et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Metz. Cette dernière a dans un arrêt du 29 septembre 2016 retenu une faute inexcusable de l’employeur, et condamné la société à réparer l’ensemble des préjudices causés, y compris le préjudice moral lié au décès de son père de l’enfant à naitre. La société et son assureur ont alors formé un nouveau pourvoi. Ils estiment que la Cour d’appel n’aurait pas dû indemniser le préjudice moral de l’enfant à naitre, du fait que ce dernier n’était pas établi par des éléments probants tangibles, et que de plus, aucun lien de causalité ne pouvait être établi entre le décès accidentel d’une personne et le prétendu préjudice d’un enfant né postérieurement audit décès.  

        La Cour de cassation a alors dû répondre au problème de droit suivant : L’enfant conçu mais non né peut-il être indemnisé d’un préjudice moral au titre du décès de son père survenu antérieurement à sa naissance ?

        Dans un arrêt rendu le 14 décembre 2017, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 29 septembre 2016 par la Cour d’appel de Metz. Pour fonder sa décision, la Haute juridiction estime que dès sa naissance, l’enfant conçu mais non né lors du décès accidentel peut demander l’indemnisation de son préjudice moral lié au décès. En rappelant que l’enfant allait souffrir de l’absence paternelle définitive, la Cour d’appel a légalement caractérisé l’existence d’un préjudice moral, et du même coup établi le lien qui unit le décès et le préjudice.

        Si la Cour de cassation de cassation adopte ici une position novatrice en la matière par l’admission d’un préjudice moral anténatal (I), cette décision globalement logique peut souffrir quelques limites, d’autant plus à l’examen de sa potentielle influence (II).  

  1. L’admission d’un préjudice moral anténatal déduite d’une appréciation souple du lien de causalité

      La Cour de cassation accepte ici de manière inédite d’indemniser un préjudice sinon controversé au moins discuté (A), quitte pour cela à faire preuve d’une certaine largesse pour ce qui est de l’établissement de l’inévitable lien de causalité (B).

  1. L’acceptation inédite d’un préjudice débattu

       « […] Dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu ; […] ». C’est en ces termes que la Cour de cassation formule la possible indemnisation du préjudice moral de l’enfant conçu mais non né. C’est la première fois que la Haute juridiction consacre ce préjudice, qui selon la typologie classique pourrait se définir comme un préjudice extrapatrimonial d’une victime par ricochet. En concédant l’indemnisation de ce préjudice, la Cour de cassation reprend le raisonnement de la Cour d’appel pour réparer le fait que durant sa vie, et a fortiori pendant son développement, l’enfant devra souffrir l’absence d’une figure parentale, ce que Thierry Tauran qualifie sans doute à raison de « vide affectif immense et irrémédiable. » (RDSS 2018, p.178). Ainsi, tout en éclairant sur sa vision de l’importance d’un parent dans l’éducation et l’épanouissement de l’enfant, la Cour de cassation vient élargir la nomenclature Dintilhac. En effet, Le préjudice d’affection, tel qu’il est entendu habituellement par la jurisprudence, n’aurait que très difficilement pu être établi ici, dès lors qu’une preuve objective de souffrance morale aurait été exigée et évidemment impossible à fournir en l’occurrence. Les exigences du préjudice d’affection, déjà partiellement remises en cause par son admission pour les personnes en état végétatif, auraient alors perdu en bien-fondé.

     A partir de là, la consécration d’un nouveau type de préjudice était inévitable, quitte pour cela à faire preuve de flexibilité en ce qui concerne l’établissement du lien de causalité.

  1. La persistante exigence de causalité entendue largement

      « […] Qu’ayant estimé que Zachary X... souffrait de l’absence définitive de son père décédé dans l’accident du [...], la cour d’appel a caractérisé […] le lien de causalité entre le décès accidentel de Abdallah X... et ce préjudice ; ». La Cour de cassation rappelle ici implicitement que la responsabilité ne saurait être établie en l’absence d’un lien de causalité. Toutefois, on peut s’interroger en l’espèce sur l’établissement de celui-ci. D’abord sur le plan factuel, la preuve de ce lien semble complexe à établir. Sur le plan juridique, les exigences classiques du lien de causalité, à savoir qu’il soit direct et certain, sont entendues largement. En effet, la règle habituelle en la matière, pour établir l’indemnisation d’un préjudice, est de montrer la souffrance qu’il implique. Or, de facto, il semblait ici difficile de prouver la souffrance. La Cour d’appel, et par écho la Cour de cassation, ont semblé appliquer ici une « présomption de préjudice ». Sur le principe, cela n’est toutefois pas totalement inédit, dans la mesure où, à titre d’exemple, l’indemnisation du préjudice par ricochet d’un proche d’une victime d’accident se fait de manière quasi-systématique. Dans le même temps, cet arrêt se fait le vecteur direct de la théorie de l’équivalence des conditions, selon laquelle « tout événement peut être qualifié de cause du dommage dès lors que sans lui le dommage ne se serait pas produit. » (Vocabulaire juridique, Gérard Cornu). Appliqué présentement, cela revient à dire que l’enfant n’aurait pas eu à souffrir de l’absence de son père si cet accident ne s’était pas produit. Si la solution est globalement saluée par la doctrine, l’approche de la causalité opérée par cet arrêt ne fait en revanche pas l’unanimité, en témoigne le mot de Patrice Jourdain, qui reproche « l’analyse laxiste qu'il retient de la causalité. » (RTD civ., 2018, p.126).

...

Télécharger au format  txt (11.4 Kb)   pdf (99.2 Kb)   docx (16.1 Kb)  
Voir 7 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com