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Les tendances anthropomorphiques du droit des personnes : les personnes morales

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Par   •  10 Mars 2025  •  Cours  •  6 326 Mots (26 Pages)  •  48 Vues

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[pic 1]Année universitaire 2024-2025

Licence 1 - Série D

Droit des personnes

Cours de M. Younes Bernand

Séance n° 3 de travaux dirigés – Les tendances anthropomorphiques du droit des personnes (1) : les personnes morales


Présentation de la séance. La qualité de personne, en tant qu’elle se définit comme le point d’imputation de devoirs et de droits profite à certains groupements de personnes physiques, comme les personnes morales. Les années 2000 ont vu émerger une nouvelle approche de ces groupements de personnes à forte tendance anthropomorphique qui tend à brouiller la différence de régime entre les personnes physiques et les personnes morales. La notion d’anthropomorphisme peut se définir comme l’attribution de caractéristiques humaines – que ce soit au niveau physique ou psychologique – à des non-humains, animaux, plantes, objets… Alors que traditionnement, les droits de la personnalité entretenaient un lien irréductible avec la nature humaine, les tendances anthropomorphiques du droit des personnes ont incité les juges à reconnaître à des groupements des prérogatives qui sont celles, naturelles, des personnes physiques. Ainsi, assiste-t-on à un phénomène de « fondamentalisation » des personnes morales ; non seulement il est désormais admis que ces dernières peuvent souffrir moralement, craindre, protéger leur honneur et leurs souvenirs, mais elles jouissent aussi de la protection des Droits de l'homme.

La reconnaissance juridique des personnes morales s’inscrit dans un contexte historique qu’il convient de restituer (1) pour mieux comprendre notamment les enjeux posés par la consécration d’un préjudice moral pour les personnes morales (2) ainsi que d’un éventuel droit au respect à la vie privée pour ces dernières (3).

Lire attentivement l’ensemble de la fiche et effectuer le travail demandé à la fin de chacune des thématiques abordées.

1 – La consécration des personnes morales

  • DOCTRINE. C. Gazeau, La personne morale, un enjeu sociétal, D 2020, p. 1132

Difficile d'appréhender ce vocable - « personne morale » - qui parle pourtant à tout juriste. Probablement en raison d'un contenu multiple, d'une typologie plurielle, d'une évolution constante et d'une donnée essentielle car fondatrice, celle du rapport au droit de ces entités.


À la croisée de l'abstraction théorique et de l'observation du concret, demeure l'essence politique du sujet. La notion de personne morale, liée à la conjoncture et aux objectifs qui la déterminent, est l'un des principaux révélateurs de l'esprit et de la finalité des sociétés. De fait, si la communauté juridique s'accorde aujourd'hui pour y voir un groupement de droit privé ou public titulaire de droits et contractant des obligations, la lecture faite des éléments constitutifs a été plus hésitante. Volonté, autonomie, collectif, individualisme, positivisme, subjectivisme : autant de concepts qui s'opposent ou se complètent sous la plume des auteurs et qui, portés sur la scène juridique, éclairent la philosophie politique d'une époque.

C'est à Rome que l'on retrouve les prémices de la personne morale (
communio et universitas), mais c'est au Moyen Âge que s'engage la réflexion juridique sur ces entités : les glossateurs étudient la propriété corporative, les canonistes la personnalité de l'Église[pic 2](1). Puis, par le phénomène d'émancipation urbaine où naissent communautés et corporations, la royauté s'affirme : ce qui porte atteinte au système féodal ajoute à l'autorité royale. Déterminée à consacrer sa souveraineté, elle ne peut cependant se satisfaire d'une indépendance trop poussée de ces groupes nouvellement organisés. C'est pourquoi l'autorisation du Prince est un préalable indispensable. Aussi, en accord avec l'esprit de rupture qui anime les premiers constituants, les thèses libérales de 1789 ont à coeur de condamner les corporations. L'individualisme doit être renforcé à l'aune du subjectivisme. Le corporatisme incarne le pluralisme, quand l'oeuvre révolutionnaire n'est qu'unité, et il est entrave la liberté d'entreprendre (Décr. d'Allarde 2-17 mars 1791).


Dans cette optique, l'individu, libéré du carcan collectif, est consacré comme seul sujet de droit et cet individualisme, qui refuse « l'homme situé »
[pic 3](2), détermine juridiquement le sort des groupes. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garde sous silence les libertés collectives, puis, en 1791, la loi Le Chapelier et le premier texte constitutionnel lèvent l'éventualité d'un doute : corporations et coalitions sont bien prohibées.


Jusqu'en 1901, et aux termes d'un sévère et célèbre article du code pénal, sont ainsi interdites les associations « de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou autres ». L'article 291 admet cependant une exception aux accents d'Ancien Régime : celle de l'autorisation préalable. C'est sans doute cette fois par attachement aux idéaux libéraux que sont autorisées les sociétés commerciales ; et c'est au terme du combat du siècle que sont légalisés les syndicats le 21 mars 1884
[pic 4](3). C'est toute la complexité de ce XIXe siècle : quoiqu'attaché à l'héritage libéral, il est également celui de son contraire. Les revendications égalitaristes portent à reconsidérer le collectif comme vecteur d'émancipation. Et non sans paradoxes, c'est une doctrine peu séduite par les thèses socialistes qui trouve là le terreau d'une théorie de la personne morale.

Revenir sur les principaux traits du débat juridique entre fiction et réalité
[pic 5](4) permet de cerner l'esprit des juristes. Cette « hésitation perpétuelle entre le commentaire impavide de la technique juridique et la volonté de participer activement à l'évolution du droit positif »[pic 6](5) (I). La victoire, entre ces théories, n'est pas nette et évolue en tout état de cause avec la société (II).

I - Un débat politique

Aborder différemment la notion de sujet de droit c'est se diviser sur le rapport puissance publique/structure collective. L'État est alors omniprésent par l'effet de la fiction (A) et diminué avec la thèse de la réalité (B).

A - L'État omniprésent


À la fin du XIX
e siècle, la théorie qui s'impose est celle de la fiction. Cette doctrine proposée par Savigny postule que l'individu est seul sujet de droits naturels. Pour autant, dans un siècle aux prises avec l'émergence revendiquée du phénomène collectif, se pose la question de l'identité juridique des groupes autorisés ou projetés. La théorie de la fiction entend personnaliser ces entités par une mécanique consistant à répondre aux intérêts individuels qui les composent. Dans cette perspective, l'association est la suite de la liberté d'expression et la réponse au besoin aristotélicien d'échanger ; la création d'une société, le fruit de la liberté d'entreprendre ; la demande de reconnaissance du droit syndical, la promotion de l'égalité dont rêvent ceux qui la porte. Les congrégations religieuses incarnent la liberté d'opinion et du culte ; les collectivités locales, l'expression citoyenne. Le collectif est ainsi assez artificiel : il n'est là qu'en raison des bénéfices individuels qu'il sert et qui en sortent renforcés.


L'homme étant seul sujet de droit, il convient d'apposer un masque sur l'être factice qu'est la formation collective (la
persona de l'Antiquité) afin qu'elle puisse prétendre à son tour devenir une personne juridique et servir les ambitions de ses composantes.


La doctrine se teinte ensuite de légalisme et devient politique : c'est par l'intervention des pouvoirs publics que passe l'octroi de la personnalité morale. Le groupe sert l'homme en société, il est, comme lui, sujet de droits, mais, là où l'homme l'est par nature, l'entité collective l'est par intervention du droit positif. « La personnalité morale - note Savigny - est un attribut qui ne peut-être concédé qu'en vertu d'un acte spécial de la puissance publique »
[pic 7](6). Point d'autonomie de la volonté, donc, mais capacité juridique octroyée.

La théorie de la fiction va, sans grande surprise, trouver ses détracteurs parmi ceux qui voient dans le collectif une nouvelle forme d'intermédiaire à même de contenir la puissance de l'État.

B - L'État diminué


Certains se livrent à une déconstruction soignée de la thèse de la fiction. Ainsi Vareilles-Sommières y voit « un défi à la raison, à l'histoire, à l'observation, aux principes du droit ». La personne morale, ajoute-t-il, simple projection pédagogique du fait associatif, « est une personne fictive. Une personne fictive est une personne qui n'existe pas, une personne qui n'en est pas une, qui n'est rien »
[pic 8](7). Pour Planiol, il n'est en réalité question que d'une forme particulière de propriété collective, pour Brinz et Bekker il s'agit d'un patrimoine sans maître affecté à un but.


La démarche est différente pour Saleilles, Michoud ou Capitant. Ils ne peuvent se satisfaire du procédé juridique alors qu'existe une réalité sous-jacente. Redéfinir le sujet de droit leur permet de ne plus considérer la personne morale comme un être artificiel. Le groupe est le prolongement naturel de l'homme et le fondement du lien social. Il prend donc racine dans la nature des choses. La personne morale, « fait naturel », est alors une réalité dotée d'une volonté propre distincte des volontés individuelles de ses composantes. Avec les vues organicistes de René Worms, le corps collectif est à l'image du corps humain : vivant et volontaire
[pic 9](8). Mais cette thèse qui demeure tributaire d'un réflexe d'assimilation cède devant une réalité plus sociologique.


Le rôle assigné à l'État est rappelé par Émile Accolas : « s'il crée, il se place en dehors de sa fonction et contredit l'idée du Droit »
[pic 10](9). Henri Capitant ne pense pas autrement : « le législateur ne crée pas la personne morale, il se contente de consacrer son existence, comme il le fait pour les personnes physiques »[pic 11](10). Le principe de l'autorisation ne peut donc s'analyser comme une concession. C'est une simple reconnaissance juridique du groupe. Ce système complémentaire de prohibition/autorisation est même contre-nature, il procède d'une démarche subjective de marquer une préférence pour tel ou tel groupe et il met en lumière, in fine, les tentations étatiques d'annihiler droits et libertés.


Il est cependant difficile, Duguit le relèvera, de percevoir la réalité d'une volonté collective. Michoud et quelques autres vont alors estimer, à la suite de Jhering, que la personnalité n'est ni le corps, ni la volonté. La personne morale se caractérise par l'existence d'intérêts collectifs distincts des intérêts individuels et par celle d'une institution qui les représente et les défend. Une réalité technique qui ajoute à l'identité propre de la personne morale et qui oblige l'État sur un autre fondement que celui trop abstrait du droit naturel. La personne morale doit alors nécessairement être reconnue par les pouvoirs publics.

La dénonciation politique est là. À la manière de Tocqueville, les partisans de la réalité voient dans l'association le nécessaire correctif par lequel l'État, devenu impuissant, consacre et jamais ne nie les groupes forts de leur antériorité. Derrière la critique libérale, l'argument religieux et la réalité d'une vérité catholique qu'il faut protéger des empiétements étatiques
[pic 12](11) ; puis une hostilité palpable à la socialisation républicaine, l'intermédiaire qui canalise les aspirations populaires est rassurant. Nader Hakim observe qu'« en restreignant le rôle de la loi et du vote pour privilégier les forces sociales conservatrices », la thèse de la réalité est « une forme de pensée syncrétique qui associe finalement les logiques individualistes et organicistes »[pic 13](12).


La prégnance du rapport au contexte est évidente non seulement dans cette continuelle recherche de ce qu'est la personne morale, mais aussi dans celle du temps de sa reconnaissance.

II - Une réception nuancée

Le débat réalité/fiction, historique et politisé, ne pouvait échapper à la vindicte d'un courant de pensée consacrant un monde où le droit est prescriptif (A). Pourtant, les orientations contemporaines du droit et des doctrines sont plus contrastées (B).

A - Le droit exclusif


Avec les partisans de la réalité technique, on assiste à une évolution notable : la personne morale est détachée de l'être humain. Elle ne l'est pourtant que partiellement car le fait social domine la personnalisation du collectif. Le pas est franchi avec l'avènement du positivisme juridique attaché à la seule structure organique : l'homme, tout comme le « substrat collectif », sont ignorés
[pic 14](13). Avec Kelsen, les choses se précisent. Le débat réalité-fiction est obsolète dès lors que l'on considère avec le père du normativisme que le sujet de droit est pensé à l'intérieur du système juridique et non pas antérieurement à lui. On ne peut « juger le droit tel qu'il est au nom d'une idée de ce que le droit devrait être »[pic 15](14). Le sens premier du positivisme implique une réflexion épistémologique dépouillée de toute considération morale subjective et, par là même, il rejette tout postulat idéologique[pic 16](15). Le positivisme juridique, qui lie justice et droit (ce qui découle de la règle de droit est juste, l'obéissance à la règle l'emporte sur toute autre considération de justice), a ainsi pu, non sans paradoxe, être perçu comme une idéologie de la soumission à l'État. Toujours est-il que par l'approche positiviste, la capacité juridique naturelle de la personne morale n'est pas plus réelle que ne l'est celle de la personne physique. Finalement, on pense à Vareilles-Sommières, la personne morale n'est pas un produit du droit mais un simple concept que la science du droit utilise pour décrire le droit[pic 17](16).


Le droit positif connaît pourtant la personne morale et il en détermine le sens à son profit. Pour exemple, en droit public, la « permanence d'un système répondant aux caractéristiques essentielles de la concession légale »
[pic 18](17) via l'autorisation, la déclaration, le dépôt de statut montre une personnalité déterminée par les pouvoirs publics, ce que semble d'ailleurs confirmer le droit communautaire[pic 19](18). Dans le même sens, les collectivités territoriales ne se sont jamais imposées au législateur. L'attachement identitaire aux échelons territoriaux nous porte à nuancer, il oeuvre pour une reconnaissance de fait devant être traduite en droit, mais il faut admettre que leur personnalité morale ne s'est dessinée que par étapes, sur décision d'un pouvoir central progressivement acquis aux idées décentralisatrices. En droit privée, la loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée supprime l'intérêt collectif, pivot de la réalité technique. Le dispositif échoue : « à partir du moment où le même individu peut être à la fois unipersonnel, comme personne physique, et sous le masque de la personne morale », il apparaît comme une « chauve-souris des affaires »[pic 20](19). Statut inconfortable qui sert indirectement l'opportunité des critères réalistes[pic 21](20). En réponse, le législateur opte en 2010 pour l'entreprise individuelle à responsabilité limitée qui permet la création d'un patrimoine séparé du patrimoine personnel, cette fois « sans création d'une personne morale »[pic 22](21). Une manière détournée de dire qu'il ne peut y avoir personnalité morale sans en appeler, moins directement, aux cultures réalistes ?

B - L'expression du réel


Dans son arrêt
Comité d'établissement Saint-Chamond du 28 janvier 1954, la chambre civile de la Cour de cassation tranche en faveur de la doctrine réaliste[pic 23](22). Jean-Pierre Gridel relève que l'apport de cette jurisprudence est relatif, dans la mesure où « l'affirmation judiciaire de la personnalité ne peut (...) être qu'une interprétation », laquelle est « interdite si la loi a clairement pris position »[pic 24](23). Le critère de l'intérêt juridiquement protégé suppose donc qu'il le soit par le législateur.


Aujourd'hui, pourtant, il est admis qu'une personne morale puisse souffrir et être victime d'un préjudice moral, de violence ou de déshonneur. Elle peut également être poursuivie. Le fait que lui soient reconnus des droits fondamentaux
[pic 25](24) conforte cette dynamique et ravive les querelles doctrinales. On peut y voir le prolongement des libertés collectives et une part d'humanité incarnée dans l'objet social[pic 26](25). En somme, une réponse à l'idéal exprimé alors par Michoud : « Si le droit veut correspondre aux besoins de l'humanité (...) il doit garantir aussi et élever à la dignité de droits subjectifs les intérêts collectifs et permanents des groupements humains »[pic 27](26). Trompe l'oeil pour certains[pic 28](27). Le risque est au moins celui du déséquilibre, car « la reconnaissance de droits fondamentaux aux personnes morales est susceptible de menacer les droits des individus ne serait-ce qu'en raison de leur pouvoir de concentration économique »[pic 29](28). Xavier Dupré de Boulois préconise ainsi de hiérarchiser[pic 30](29) et de spécialiser. Un impératif commandé par les tendances nouvelles où les finalités premières des sociétés commerciales ne sont plus clairement établies, soit qu'elles influent sur le politique, soit qu'elles cumulent buts lucratifs et désintéressés[pic 31](30), soit qu'elles intègrent le concept de citoyenneté[pic 32](31).


La difficulté du sujet tient au fond au caractère protéiforme du « récipiendaire ». On assiste aujourd'hui à la multiplication des associations répondant aux impératifs du temps, écologiques, artistiques ou encore à vocation judiciaire. Le but politique de ces structures interroge les contours de leur personnalité
[pic 33](32). Sur fond de militantisme, la qualification juridique des êtres naturels fait débat. Et les tonalités utopiques ou dystopiques, c'est selon, de l'intelligence artificielle, ne peuvent laisser indifférents.


En perpétuel mouvement, le droit est lié à l'évolution des sociétés, et au coeur des variations, la réflexion autour de la personne morale promet d'impacter la
summa divisio et une vision classique du monde. À l'heure de l'internationalisation du droit et des avancées scientifiques, lesquels mêlent enjeux éthiques et sociétaux, nécessairement politiques et juridiques, une chose au moins est sûre : la réflexion est bien loin d'être épuisée.

Répondre aux questions suivantes :

1 – Expliquer pourquoi la consécration des personnes morales a-t-elle été aussi tardive (fin 19ème siècle-début 20ème) ?

2 – Commenter en une vingtaine de lignes la citation d’Henri Capitant selon lequel « le législateur ne crée pas la personne morale, il se contente de consacrer son existence, comme il le fait pour les personnes physiques ».

2 – Expliquer en quoi, selon l’auteur, l’attribution de la personnalité juridique aux personnes morales tend à remettre en cause la distinction entre les personnes et les choses (cf. fin de l’article) ?  

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