Le rat et l'huitre commentaire de texte

Parcours associé : Esthétiques et valeurs du personnage de roman

Texte n°8 : Le Rat et l’Huître, Jean de la Fontaine

Un Rat hôte d'un champ, Rat de peu de cervelle,
Des Lares paternels un jour se trouva sou.
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle,
Va courir le pays, abandonne son trou.
Sitôt qu'il fut hors de la case,
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voici le Caucase :
La moindre taupinée était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thétys sur la rive
Avait laissé mainte Huître ; et notre Rat d'abord
Crut voir en les voyant des vaisseaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire :
Il n'osait voyager, craintif au dernier point :
Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire :
J'ai passé les déserts, mais nous n'y bûmes point.
D'un certain magister le Rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs ;
N'étant pas de ces Rats qui les livres rongeants
Se font savants jusques aux dents.
Parmi tant d'Huîtres toutes closes,
Une s'était ouverte, et bâillant au Soleil,
Par un doux Zéphir réjouie,
Humait l'air, respirait, était épanouie,
Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nonpareil.
D'aussi loin que le Rat voir cette Huître qui bâille :
Qu'aperçois-je ? dit-il, c'est quelque victuaille ;
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais.
Là-dessus maître Rat plein de belle espérance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs ; car l'Huître tout d'un coup
Se referme, et voilà ce que fait l'ignorance.

Cette Fable contient plus d'un enseignement.
Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d'étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyait prendre.

INTRODUCTION

Dans son ouvrage des Fables, écrit en 1678, Jean de La Fontaine utilise la fable comme un moyen pour dénoncer les abus et les vices de la société. Dans la fable 9 du livre VIII, intitulée Le Rat et l’Huître, il met en scène un rat prétentieux qui, bien qu’ignorant, prétend connaitre le monde. Pour cette fable, La Fontaine s’est inspirée de la fable intitulée « le Captif et la Gourmandise » tirée de l’ouvrage Les Emblemata du poète Alciat : humaniste italien du 16ème siècle.

Modifiant la tradition, La Fontaine ne révèle la portée morale du texte qu'en dernier lieu : ni le titre ni le début du récit ne dévoile en effet la leçon finale contrairement à la source italienne.

PROBLEMATIQUE

Qui ou quoi La Fontaine cible-t-il exactement dans cette fable ? au-delà du récit vif et pétillant, nous nous interrogerons sur la portée critique de la fable en nous appuyant sur sa structure.

ANNONCE DE PLAN

Cette fable peut être divisée en cinq séquences : les deux premiers vers brossent une esquisse rapide du Rat, les vers 3 et 4 présentent son départ comme une conséquence obligée du trait psychologique décrit précédemment, les vers 5 à 8 évoquent la première expérience du Rat qui fait apparaitre sa naïveté prétentieuse. Sa fatuité devient, au cours des vers 9 à 20, ridicule lorsqu'il découvre pour la première fois des huîtres. Enfin le récit s’achève, des vers 21 à 33, sur la disparition du Rat prétentieux, ignorant et imprudent, introduisant ainsi la morale finale. L'évolution du récit est particulièrement nette et simultanée sur le plan psychologique (progression de l’ignorance à la vanité) et sur le plan de la sanction (celle donnée par l’huître et celle donnée par le narrateur).  La progression des idées et du propos se dévoile à travers les péripéties narratives.

ANALYSE

Vers 1 à 4 : le portrait et les motivations du rat

Les deux premiers vers sont segmentés. Ils mettent en place le décor du récit. On y apprend l’identité du personnage principal « Un Rat », le lieu de l’action « hôte d’un champ », on peut donc constater que c’est un rat des champs, l’auteur sous-entendant qu'il n'est pas un rat des villes (plus distingué) l’association du terme soutenu « hôte » avec le mot « champ » est en décalage avec la réalité évoquée : ce rat est un campagnard et La Fontaine porte déjà un regard ironique sur lui. La psychologie du personnage est esquissée en un trait par le GN apposé puisqu’on apprend, qu’il est « Rat de peu de cervelle ». La reprise du terme « rat » accentue la présentation péjorative qui a été commencée, l’expression « de peu de cervelle » est une tournure euphémistique pour souligner son inconséquence et son manque d’intelligence. Ce rat est « soul » (adjectif soûl = être rassasié, saturé, dégoûté de quelque chose,) des « Lares paternels » périphrase pour désigner le foyer de ses parents, c’est-à-dire son chez lui ( on notera le décalage de niveau de langue  des 2 termes  dont la visée est ironique): il est excédé par son quotidien et ne souhaite qu’une chose : partir ;

La précision temporelle « un jour se trouva soul » indique le caractère impulsif du rat et l’inversion de l’ordre des mots de la phrase (des Lares paternels est le complément antéposé de l’adjectif soul) dénonce un choix aléatoire: cette aversion lui est venue subitement et apparemment sans raison puisque l’endroit où il vit est caractérisé par l’abondance par  l'énumération métonymique des vivres « le champ, le grain, la javelle ». Cela marque ainsi son manque de sagesse et son irresponsabilité. La succession des verbes d’action au présent « laisse là », « va courir le pays, abandonne son trou » montre sa précipitation, le rat n’a pas préparé son voyage, il part à l’aventure sans réflexion, pressé de quitter le domicile parental et de s’émanciper plein de certitudes et de prétention. Le narrateur continue de porter un regard ironique, puisque « les Lares paternels » sont devenues « un trou », terme péjoratif qui symbolise un lieu isolé de tout, à l’écart.

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