Vocabulaire de la Critique de la raison pure de Kant
Fiche : Vocabulaire de la Critique de la raison pure de Kant. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Chantre Lunaire • 28 Octobre 2018 • Fiche • 5 876 Mots (24 Pages) • 1 342 Vues
Vocabulaire thématique de la
Critique de la raison pure de Kant
Il va s’agir dans cette fiche de saisir du mieux que possible les distinctions et définitions fondamentales de la Critique de la raison pure (Kritik der reinen Vernunft en allemand, raccourci en KrV), sans lesquelles cet ouvrage est complètement incompréhensible et de montrer que les distinctions telles que raison/entendement, noumène/phénomène, pur/empirique, sont toutes de nature différentes, et pas nécessairement absolues, ou antinomiques. Ainsi, il sera, je l’espère, bien plus aisé d’appréhender les objets et les outils intellectuels dont il est question dans ce livre qui a eu une influence majeure sur une grande partie de la philosophie occidentale contemporaine.
I. La raison pure et l’a priori
“La raison humaine a ce destin particulier, dans un genre de ses connaissances, qu’elle se trouve accablée par des questions qu’elle ne peut écarter - car elles lui sont proposées par la nature de la raison elle-même -, mais auxquelles elle ne peut pas non plus apporter de réponse - car elles dépassent tout pouvoir de la raison humaine.” (Première phrase de la Préface à la première édition de 1781, trad A. Renaut, GF) Il va s’agir dans un premier temps de tenter de comprendre ce qu’entend Kant par le mot raison (die Vernunft), et plus particulièrement de la raison pure (die reine Vernunft) qui est l’objet de la première Critique de Kant. En fait, cassons tout de suite le suspens, il n’y a pas de différence entre la raison et la raison pure. L’adjectif pur est surtout là pour qualifier plus précisément une des propriétés de la raison humaine, c'est-à-dire la création, indépendamment de l’expérience, d’idées a priori, qui tendent à l’inconditionné, à l’absolu, à l’universalité. C’est donc sa nature-même de se créer des objets et des questions détachés de l’expérience qui lui semblent, pour cela, insolubles. L’objectif kantien est en ce sens de critiquer l’application de la prétention à l’absolu, qui est la qualité essentielle de la raison, à tous les objets de la pensée, et d’en ce sens limiter les champs d’utilisation de la raison.
La raison produit des idées qui sont a priori, c'est-à-dire complètement indépendants de l’expérience, et qui portent en eux la structure de la nécessité, de l’universalité et du principe d’identité. Par exemple les mathématiques semblent aller dans ce sens : nous n’avons pas besoin de l’expérience pour avoir la connaissance a priori que 2 et 2 additionnés font 4, ce résultat est nécessaire, universel, et ne peut pas être différent, autrement dit le résultat de cette opération sera toujours 4, de manière inconditionnelle, il n’est pas susceptible de variation, et 4 est différent de tous les autres nombres et ne peut être que le seul résultat de cette opération, il ne peut y en avoir un autre.
Lorsqu’elle se crée des questions elle-même, toute seule, a priori, c’est qu’elle s’échauffe (die Schwärmerei der Vernunft, qui prend un sens péjoratif chez Kant), qu’elle surchauffe, qu’elle brasse du vent, et qu’elle se place toute seule dans des embarras. Par exemple, elle va partir d’une proposition fondamentale (Grundsatz) a priori, que la doxa admet, comme l’existence de la liberté, puis, sans se référer à l’expérience (et donc sans se référer a posteriori à la physique), la raison va disserter des heures durant sur la liberté et entrer dans des problèmes d’une grande obscurité comme : comment concilier liberté et déterminisme ? Question qui est l’objet de la troisième antinomie. “Le champ de bataille où se développent ces conflits sans fin s’appelle alors métaphysique.” En continuant cette fameuse métaphore issue de la Préface à la KrV de 1781, on pourrait dire que se combattent des armées de concepts vides et d’idées pures a priori qui n’ont aucune attache à l’expérience et qui ne renvoient à rien de phénoménal. Kant n’entend donc pas retirer la prétention à l’universalité (ce qu’il appelle la “démarche dogmatique”) qui est fructueuse dans les mathématiques par exemple, mais il tend à détruire le “dogmatisme” de la raison qui n’a pas critiqué son propre pouvoir, et c’est en ce sens que Kant reste un rationaliste, mais un rationaliste critique, puisque, dans le domaine de la connaissance, la raison garde sa force, et qu’il s’agit avant tout de critiquer la raison par elle-même pour ensuite mieux fonder la connaissance.
II. La critique de la métaphysique et le transcendantal
Nous venons de dire ce qui est appelé la Métaphysique par Kant, ce champ de bataille de concepts vides. Mais par ce mot Kant fait aussi plus largement référence à la métaphysique scolastique, ou spéciale, réintroduite en force par le rationalisme leibnizien qui prétend seulement par des idées a priori connaître des objets philosophiques dont on n’a aucune expérience a posteriori tels que Dieu, le monde, et l’âme, les trois objets de la métaphysique spéciale. Il faut rappeler ici que Kant fut adepte lors de sa jeunesse, et même en tant que professeur à l’université, de ces questions : il s’inscrivait en effet dans la lignée directe de la métaphysique wolffienne et estimait avec ses comparses rationalistes que les idées pures de la raison pouvaient fonctionner toutes seules pour augmenter le savoir de ces objets métaphysiques, au sens où ils dépassent l’expérience empirique. La légende, rapportée par Kant lui-même, nous rapporte que c’est par la lecture de Hume qu’il fut brutalement “réveillé de son sommeil dogmatique”, mais l’auto-critique et l’auto-analyse sont chez Kant, selon tous ses biographes, très prégnantes et des amorces de sa philosophie critique se retrouvent déjà dans ses premiers ouvrages. Ainsi, il ne faut pas imaginer que du jour au lendemain il a eu l’idée de rédiger la KrV, c’est au contraire une suite d’influences, plus ou moins conscientes, et de lectures sur une période de 30 ans qui lui a permis de construire sa pensée : Leibniz, Wolff, Newton, Locke, Hume, Rousseau et d’autres. En fait, Kant va redéfinir le sens du mot métaphysique tout au long de son parcours intellectuel et il va la saisir sous un double sens. Tout d’abord, il faut la comprendre comme la science des limites de la raison humaine, c'est-à-dire le moment où l’on dépasse les possibilités de la connaissance, c’est donc ici quelque chose de négatif, de limitatif, qui restreint les prétentions à l’absolu de la raison. Mais il faut aussi l’entendre dans un sens positif. En effet, la métaphysique selon Kant est aussi ce qui vise à accorder la raison avec l’expérience, l’a priori avec l’a posteriori. Donc, pour citer Alexis Philonenko, dans le premier tome de La Philosophie critique de Kant, paru chez Vrin : “la question est celle de la structure de la connaissance et la philosophie apparaît comme une science qui s’occupe non des objets, mais de notre connaissance des objets”, et c’est là le sens du mot transcendantal. Est transcendantal ce qui structure la possibilité de la connaissance (et non pas du savoir), ce qui constitue la condition nécessaire à toute connaissance possible. Le transcendantal n’est donc pas le transcendant, qui n’est que ce qui dépasse les phénomènes. Kant écrit dans les Prolégomènes : “Transcendantal ne signifie pas quelque chose qui va au-delà de l’expérience, mais bien qui la précède il est vrai a priori, mais n’est pourtant destinées à rien de plus qu’à rendre possible la connaissance d’expérience.” Kant oppose ainsi le savoir (kennen), qu’il définit comme l’accumulation de règles logiques, nécessaires, de doctrines, des relations objet/attribut, à la connaissance (erkennen) (ou re-connaissance), qui elle donne à voir la réalité effective de l’objet et non pas seulement ses traductions logiques, le transcendantal étant ainsi ce qui permet la connaissance, et la métaphysique spéciale n’étant alors qu’une des diverses modalités du savoir.
...