Cass. civ. 16 juin 1896, Oriolle, Guissez et Cousin C. Vve Teffaine
Commentaire d'arrêt : Cass. civ. 16 juin 1896, Oriolle, Guissez et Cousin C. Vve Teffaine. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Jo83540 • 14 Mars 2023 • Commentaire d'arrêt • 2 030 Mots (9 Pages) • 562 Vues
LE BEON
Louis
COMMENTAIRE D'ARRÊT
Cass. civ. 16 juin 1896, Oriolle, Guissez et Cousin C. Vve Teffaine
Dans un arrêt du 16 juin 1896, la Cour de cassation a consacré une nouvelle responsabilité civile, la responsabilité du fait des choses.
En l'espèce, un mécanicien a trouvé la mort dans l'usine au sein de laquelle il travaillait suite à l'explosion d'une machine. Cette dernière, à savoir un remorqueur à vapeur, a en effet explosé à cause d'un vice de construction (son dysfonctionnement résultait d'un problème technique interne). Ainsi, n'étaient pas fautifs à la fois le propriétaire du remorqueur à vapeur et le mécanicien. La veuve du mécanicien a intenté une action en justice, en quête d'une indemnisation. La Cour d'appel a retenu que le fait dont résulte le dommage était imputable au propriétaire de la machine, sur le fondement de la responsabilité du fait des bâtiments menaçant de tomber en ruine et en ruine (article 1386 du Code civil de 1804) ainsi que sur le fondement du droit des contrats (article 1160 du Code civil de 1804). Le propriétaire a alors formé un pourvoi en cassation, lequel fut rejetté par la Cour de cassation.
Si la veuve du mécanicien considérait que devait être retenue la responsabilité du fait personnel du propriétaire, sa machine étant la cause du dommage, le propriétaire considérait quant à lui que ne pouvait être retenue sa responsabilité car l'origine du dommage était étrangère à sa volonté.
La question alors posée à la Cour de cassation est celle de savoir si le gardien d'une chose à l'origine d'un dommage peut être rendu responsable du fait dommageable commis par celle-ci, alors même qu'il n'a pas lui-même commis de faute.
Après avoir consacré une nouvelle forme de responsabilité civile, à savoir la responsabilité du fait des choses (I), les juges de la Cour de cassation ont établi un régime particulier à cette nouvelle responsabilité (II).
I/ Une nouvelle responsabilité civile, la responsabilité du fait des choses
Sur le fondement d'une base légale pour le moins inédite, à savoir le premier alinéa de l'article 1384 du Code civil de 1804 (A), la Cour de cassation est venue consacrer une responsabilité civile écartée de la notion de faute : la responsabilité du fait des choses (B).
A/ Une substitution de base légale en corrélation avec l'obsolescence « moderne » de l'idée de faute
Les juges de cassation substituent l'article 1384 à l'article 1386 du Code civil de 1804, écartant ainsi la responsabilité du fait des bâtiments menaçant de tomber en ruine et en ruine. Il s'agit d'une décision inédite, en ce que la Cour de cassation confirme l'arrêt rendu par la Cour d'appel tout en employant une base légale différente. Si sa décision repose sur l'ancien article 1384, celle de la Cour d'appel repose sur l'ancien article 1386. Ce dernier, comme l'article 1385 sur la responsabilité du fait de l'animal dont on a la garde, s'inscrivait dans la volonté du Législateur de 1804 de préciser l'article 1384, lequel n'avait alors pas une vocation normative mais introductive. En effet, par sa formule introductive selon laquelle « on est responsable non-seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait [...] des choses que l'on a sous sa garde », l'article 1384 ne venait qu'introduire une responsabilité du fait des animaux dont on a la garde et des bâtiments dont on est le propriétaire. Si en 1804 il y avait une responsabilité du fait des choses, alors celle-ci ne concernait que les animaux dont on a la garde et les bâtiments dont on est le propriétaire. C'est sous l'impulsion de la Doctrine, notamment des auteurs Raymond Saleilles et Louis Josserand, et dans un contexte marqué par la naissance d'une prise de conscience de la nécessité d’améliorer le sort des victimes du machinisme, les juges de cassation ont voulu développer une responsabilité civile écartée de la notion de faute, qu'on pourrait alors qualifier de responsabilité objective, dans l'arrêt Teffaine.
Fondant alors sa décision sur le premier alinéa de l'article 1384 du Code civil de 1804 et non sur l'article 1386 de ce même texte, la Cour de cassation est ainsi venue consacrer la valeur normative de l'article 1384 et donc une responsabilité civile générale écartée de la notion de faute : la responsabilité du fait des choses.
B/ La consécration de la valeur normative de l'article 1384 du Code civil de 1804
Bien qu'elle ait considéré que l’article 1386 du Code civil de 1804 n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce, la Cour de cassation n'a pour autant pas cassé la décision rendue par la Cour d'appel. En effet, la Chambre civile a considéré que la responsabilité civile du propriétaire du remorqueur à vapeur ne devait pas être écartée, et ce sur le fondement du premier alinéa de l'article 1384. Les juges de cassation affirment en ce sens qu'aux termes de l’article 1384 du Code civil de 1804, l’explosion résultant d’un vice de construction de la machine, « qui exclut le cas fortuit et la force majeure, établit, vis-à-vis de la victime de l’accident, la responsabilité du propriétaire du remorqueur ». Aussi, ils précisent que le propriétaire ne peut « s’y soustraire en prouvant, soit la faute du constructeur de la machine, soit le caractère occulte du vice incriminé ». Est ainsi écartée la responsabilité du fait personnel du propriétaire et donc la notion de faute. En jugeant que ce dernier est responsable du dommage causé par la machine dont il est le propriétaire sans qu'il ait pour autant commis une faute, la Cour de cassation reconnaît l'existence d'une responsabilité « hors faute » autre que celle envisagée aux articles 1385 et 1386 mais fondée sur le premier alinéa de l'ancien article 1384. Celui-ci se voit donc pour la première fois conféré une valeur normative, sans considération de la simple fonction introductive que lui avaient assigné les rédacteurs du Code civil de 1804.
Ayant consacré la valeur normative de l'ancien article 1384 et donc une responsabilité civile générale écartée de la notion de faute, à savoir la responsabilité du fait des choses, la Cour de cassation a établi le régime juridique particulier de cette nouvelle responsabilité.
II/ Le régime de la responsabilité du fait des choses
Si la Cour de cassation est venue élargir le champ de la responsabilité civile avec la consécration d'une responsabilité écartée de la notion de faute, elle est également venue exclure en l'espèce le cas fortuit et la force majeure en complexifiant la constitution de cette dernière (A). L'arrêt Teffaine, s'il consacre la responsabilité du fait des choses, n'établit qu'un régime juridique général, ayant laissé place à une période généralement qualifée de période de flottement jurisprudentiel (B).
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