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Où s'arrête ma responsabilité ?

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Par   •  1 Mars 2023  •  Dissertation  •  2 199 Mots (9 Pages)  •  474 Vues

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Où s’arrête ma responsabilité ?

Il nous faut partir de ce constat de départ que le sentiment commun et immédiat éprouvé par tous est que le seul moyen par lequel une personne n’est plus responsable de ses actes est soit d’être relaxé par la justice, soit d’être incapable de discernement. En droit, la responsabilité désigne le fait pour une personne juridique (physique ou morale) d’être tenue à certaines obligations, en conséquence de certains actes dont elle a accompli. Cette responsabilité peut être de nature contractuelle (résulte d’un manquement à l’accord des volontés), ou de nature délictuelle (le fait de commettre un dommage à autrui). La première définition renvoie à la responsabilité civile qui désigne le fait de commettre un dommage et la seconde une violation de la loi. Il s’agit donc, dans les deux cas, de répondre de ses actes (intentionnels ou non) et de leurs conséquences pour autrui. Ces deux responsabilités s’arrêtent dès lors que l’auteur du dommage a soit réparer le dommage soit purger sa peine du fait de l’infraction qu’il a commis. Certains de ces peines peuvent toutefois aller jusqu’à la perpétuité.

Mais alors, où s’arrête donc ma responsabilité ? En fait, la responsabilité est une condition de la liberté. L'homme libre est celui qui choisit et répond de ses actes. Qu’en est-il donc de cette responsabilité chez Levinas ? Pour cet auteur, ma responsabilité ne se réduit pas seulement à la réparation ni à la condamnation d’un dommage que l’on cause à autrui et n’est pas d’ordre juridique mais d’ordre éthique ou moral. Être responsable ne consiste pas à répondre de soi mais, plus précisément, à répondre d’autrui, à répondre de ce qui est fragile, de ce qui se donne comme vulnérable. Cela dit, ma responsabilité pour autrui est sans condition. Je dois l’accepter, elle m’incombe dès lors que le visage d’autrui me regarde.

La responsabilité se réduit-elle seulement à répondre de soi devant autrui ou au contraire à répondre devant l’autre des fautes et des souffrances de l’autre ?

Notre démonstration se fera en trois temps. Dans un premier temps, nous montrerons que face à autrui, je suis appelé à une responsabilité d’éthique transcendantale. Ensuite, nous démontrerons que cette responsabilité pour autrui ne cesse jamais, elle est infinie et s’étend à tout ce qui est altérité. Enfin, nous nous poserons la question : A quelles conditions s’arrête ma responsabilité ?

Face à autrui, je suis appelé à une responsabilité d’éthique transcendantale, c’est-à dire dont la source ne trouve pas dans les phénomènes du monde mais hors de toute époque, en un temps immémorial.

C’est ainsi que dans son ouvrage Autrement qu’être ou delà de l’essence, Levinas affirme que « La capacité de l’être et de la conscience, son corrélat est insuffisant pour contenir l’intrigue qui se noue dans le visage d’Autrui, trace d’un passé immémorial, suscitant une responsabilité qui vient d’en déca et va au-delà de ce qui tient dans le suspens d’une époque ». En tant qu’autre, il m’appelle à une responsabilité d’avant et au-delà de l’être. C’est dire que ma responsabilité n’a de sens que par ce que l’autre m’assigne de sa présence. Il m’assigne à responsabilité par l’énigme irrésolue de son visage. Pour Levinas, c’est justement par ce qu’on ne connait jamais tout à fait l’autre, qu’on est forcé de s’ouvrir à la différence, d’accueillir l’altérité en nous et ainsi de s’ouvrir à notre être éthique, éthique qui se justifie par le visage nu de l’autre « Je pense plutôt », écrit Levinas, dans la totalité et infini, que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur des yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation sociale avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est qu’il ne s’y réduit pas ». Le visage n’est pas une figure car il ne se laisse pas dévisager. Autrui n’est nulle part ailleurs qu’en son visage, et seul ce qui est visage est autrui.

Si le visage ne se donne pas à voir, il se donne à entendre, il parle, il m’adresse un ordre, une injonction impérieuse : « Tu ne tueras pas ». Ce commandement renvoie non seulement à l’interdit du meurtre mais aussi, et plus largement, de réduire l’autre homme à l’état d’objet. Phénoménologiquement, le visage ne relève pas du caché mais il se montre, il n’est pas comme un dieu. Le visage m’ordonne, me rend responsable devant lui. Sa positivité est qu’il m’obsède, et m’ordonne de ne pas lui faire de mal, il me dit « aide moi ».

L’autre à travers son visage qui interroge mes certitudes, me force à penser ce qui échappe à l’infini, à la pensée même, car par la pensée de l’infini, je m’ouvre à l’altérité, autrement dit, je suis non indifférent à la différence. C’est ainsi que le visage de l’autre, dans sa grande nudité, m’interdit l’indifférence. C’est effectivement ce qu’affirme Levinas dans son ouvrage, éthique et infini « Dès lors que l’autrui me regarde, j’en suis responsable, sans même avoir à prendre de responsabilités à son égard, sa responsabilité m’incombe ».  Pour Levinas, je ne peux être moi sans cet autre qui m’appelle à responsabilité. Je suis responsable de lui indépendamment de toute faute commise vis-à-vis de lui. Ce qui me relie à autrui est une obligation première à son égard, une assignation primordiale à répondre de celui qui se donne comme le “sans défense”, à la fois dénuement et transcendance.

Ainsi, l’intéressement à l’autre dépasse le souci de soi. Mais alors cette responsabilité pour autrui ne cesse jamais ? Est-elle infinie ?

Ma responsabilité pour autrui ne cesse jamais, elle est infinie et s’étend à tout ce qui est altérité.

Pour Levinas, en effet, la dignité de l’homme consiste avant tout dans cette responsabilité incessible qui, dans des cas extrêmes, peut aller jusqu’à l’acte de prendre le destin de l’Autre. Il comprend le rapport social ultime comme soin de l’Autre, comme responsabilité sans condition, assumées pour l’Autre. C’est pourquoi Dostoïevski dans les frères Karamazov affirme que « Nous sommes tous responsable de tout et de tout devant tous, et moi plus que les autres ». Cette assertion implique que le moi est responsable d’une responsabilité infinie, qui répond de toutes les autres et de tout chez les autres, même de leur responsabilité, autrement dit, le moi a toujours une responsabilité de plus que tous les autres. Cette responsabilité est la condition même de son existence, il ne peut pas se décharger de celle-ci, il en est le garant. C’est pourquoi, on dit d’un Etat (personne physique) qu’il est responsable de tous les citoyens qui se trouvent sur son territoire et a pour responsabilité d’assurer la liberté de chacun, leur survie, leur sécurité, leur protection et de leur porté secours si un danger les menaces. De même, un chef de famille (personne physique) est responsable de tous les membres de sa famille, il doit leur procurer sécurité et assurance, il doit prendre soin de chacun et répondre à leur besoin. C’est ainsi que Levinas affirme dans totalité et infini que « Le visage de l’autre me rappelle à mes obligations et me juge ». Être sujet, c’est répondre à l’appel selon Levinas. Dans le rapport avec le visage, la responsabilité n’est pas le fait de répondre de ses actes mais le fait d’être commandé, d’être à l’accusatif. La responsabilité est donc de l’ordre du passif et non pas de l’actif. Commettre le mal, ce n’est pas voir le visage. En fait être responsable, c’est se sentir en position d’élu, cette responsabilité est infinie. Il faut comprendre que pour Levinas, l’infini c’est à la fois l’altérité et la transcendance désignant par-là la relation à autrui, cette infinité (ou diachronie) c’est le non totalisable qui brise ce qu’il appelle la totalité. La responsabilité pour autrui vide le moi de son égoïsme, au lieu de penser à ses propres intérêts, d’être dans le solipsisme, le moi accepte, sans condition, d’être infiniment responsable devant autrui. Il se donne cependant, comme seule priorité, l’autre. On peut même prendre l’exemple de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui dispose que « la loi est l’expression de la volonté générale ». Effectivement, la loi n’est nullement pas le reflet de la volonté particulière d’une société mais le reflet de la volonté générale, ce n’est pas l’individualité qui prime mais plus tôt la généralité et cette généralité s’étend à tous les individus. C’est pourquoi, Levinas admet volontiers que la responsabilité pour autrui n’est pas une responsabilité de soi à soi, mais une responsabilité d’ordre générale, infinie et oblige-le-moi a être le garant des fautes et des souffrances de l’autre et dans ce cas, prendre en main le destin de l’autre. Toutefois, admettre le fait que le moi prend en main le destin de l’autre c’est dépendre l’autre du moi, c’est l’assujettir totalement. Or Nul ne peut dépendre de l’autre, chacun est libre de faire ce qu’il veut dans les limites prescrites par la loi. Il y’a donc une condition à la responsabilité du moi, ne pas porter atteindre à la liberté de l’autre.

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