Le Soi, le couple et la famille
Étude de cas : Le Soi, le couple et la famille. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar ppppppppppjjjjjj • 30 Décembre 2017 • Étude de cas • 5 893 Mots (24 Pages) • 991 Vues
Le Soi, le couple et la famille
2ème édition, A. Colin, 2016.
Préface.
« Toute vie véritable est rencontre »
A Paul de Singly
« Toute vie véritable est rencontre ». Cet énoncé est de Martin Buber, tiré de son grand livre, Je et Tu, publié en 1923. Selon ce philosophe, le « Je » se construit doublement: « « Le monde en tant qu’expérience relève du mot fondamental Je-Cela. Le mot fondamental Je-Tu fonde le monde de la relation »[1]. C’est dans cette perspective que se situe Le Soi, le couple et la famille. Sa thèse est que l’idéal de la famille moderne est de rendre possible cette double exigence :
- D’une part, la relation entre les conjoints, la relation entre le parent et l’enfant doit autoriser la rencontre du « Je » et du « Cela » afin que le Je puisse découvrir des contenus, des expériences, sans nécessairement la médiation de l’autre. A ce niveau le Je de l’enfant ou de l’adulte a besoin d’être libre.
- - D’autre part ce Je doit rencontrer le Tu de l’amoureux, ou de la mère, du père afin de donner sens aux rencontres du Je avec les différents Cela.
Les charmes de cette famille moderne, quelle que soit sa forme, résident dans la rencontre interpersonnelle : celle qui peut éviter à un « oiseau d’âme » de voltiger au hasard, pour reprendre une image de Buber. L’individu, enfant ou adulte, « devient un Je au contact du Tu » (idem), souvent dans le cadre de ce que l’on désigne par commodité sous le terme « famille ». Si le « Je T’aime » est si important c’est parce que le Je n’existe véritablement que parce qu’il reconnaît un autre en Tu, et qu’il souhaite être reconnu comme Tu.
Ce livre présente comment cette double exigence s’inscrit dans la famille contemporaine. Chacun des membres de la famille, adulte ou enfant, espère se développer en tant qu’individu autonome tout en comptant sur ses proches. Vingt après la publication de la première édition de cet ouvrage, cette demande de qualité relationnelle est encore plus forte.
Pour mieux comprendre Le Soi, le couple et la famille, il peut être nécessaire de préciser ce que Philippe Corcuff (2003) nomme l’anthropologie philosophique sous jacente à ce travail : à savoir « une conception a priori de la condition humaine, des propriétés des humains et de leurs relations ». M’inspirant notamment de Peter Berger, Hans Kellner, Thomas Luckmann (1964, 1966), je postule que l’individu est fragile et vulnérable et qu’il a besoin que son monde personnel soit validé par des procédures soit « objectives » (comme les institutions), soit « subjectives (comme la conversation avec des proches). C’est pourquoi, encore plus dans la période actuelle, pleine d’incertitudes et de menaces, la femme ou l’homme a besoin d’une certaine sécurité que peuvent lui apporter des proches. Dans un univers dont l’avenir peut paraître dangereux, le « petit monde » dans lequel vit chaque individu singulier, petit ou grand, doit être consolidé davantage.
1. Cela sert à quoi un conjoint, un parent ?
A renforcer
C’est pour cela que la première composante du travail relationnel est d’assurer une certaine sécurité à l’enfant ou au partenaire. Dans le couple, la conversation constitue le support de ce travail de consolidation. Ted Thompson, dans Une étonnante retraite (2015), fait comprendre en creux cette demande. Après s’être émancipé d’un père juriste et rigide, Anders Hill vit de nombreuses années avec son épouse tout en réussissant en affaire. Cependant peu satisfait de la vie qu’il mène, il démissionne et se sépare d’Hélène. Afin de mieux préserver ses chances lors du jugement sur le divorce, son avocat lui recommande d’aller voir un thérapeute. Il suit cette consigne. Mais une fois qu’il a réglé les affaires de la séparation, il s’y rend encore jusqu’au jour il se demande la raison de cette poursuite : « S’agissait-il simplement de pouvoir parler des événements de la semaine à quelqu’un qu’il ne devait pas craindre d’ennuyer, exactement comme il l’avait fait avec Hélène durant des années, discourant en sous-vêtements sur les risques que présentait une embauche récente ou expliquant combien il était de plus en plus ridicule de chercher une place de parking à la gare, alors qu’elle laissait retomber son livre pour l’écouter avant de s’endormir ? Peut-être cela suffisait-t-il à justifier cette dépense ? Vue de cette façon, l’inefficacité d’Howard (le thérapeute) valait sans doute tout l’argent du monde ». Ce thérapeute l’écoute parler de sa vie ordinaire. Anders Hill se rend compte, trop tard lui semble-t-il, qu’il a sous-estimé cette fonction et regrette d’avoir pris une mauvaise décision en quittant Hélène. Il se sent, en quelque sorte, désintégré. Un conjoint est un autrui significatif qui, en écoutant, consolide le monde subjectif qu’a construit son partenaire, et valide son identité.
Dans L’occupation (2003), Annie Ernaux donne une autre version de la souffrance associée à l’absence d’une conversation continue. En effet elle voit un homme avec lequel elle ne vit plus puisqu’il l’a quittée pour une nouvelle compagne. Lorsqu’ils sont ensemble de nouveau, ils se parlent. Et « dans la conversation, il jetait parfois incidemment, ‘je ne t’ai pas dit ?’, enchaînant sans attendre la réponse le récit d’un fait survenu dans sa vie les jours précédents, l’annonce d’un fait concernant son travail. Cette fausse question m’assombrissait aussitôt. Elle signifiait qu’il avait déjà (souligné par AE) raconté cette chose à l’autre femme. C’est elle qui, en raison de sa proximité, avait la primeur de tout ce qui le concernait, de l’anodin à l’essentiel. J’étais toujours (AE) la seconde - dans le meilleur des cas – à être informée. Cette possibilité de partager, dans l’instant, ce qui arrive, ce qu’on pense, et qui joue un si grand rôle dans le confort du couple et sa durée, j’en étais dépossédée. ‘Je ne t’ai pas dit ?’ me plaçait dans le cercle des amis et des familiers qu’on voit épisodiquement. Je n’étais plus la première et indispensable dépositaire de sa vie au jour le jour. ‘Je ne t’ai pas dit ?’ me renvoyait à ma fonction d’oreille occasionnelle. ‘Je ne t’ai pas dit’ c’était : ‘je n’avais pas besoin de te le dire’. Contrairement à une analyse centrée exclusivement que sur le contenu, l’intérêt de la conversation conjugale réside dans son tempo, dans ce mélange bien décrit par l’auteure de l’anodin et de l’essentiel, car la reconnaissance réciproque de l’autre et de soi est « totale », sans hiérarchisation. Ce qui compte en réalité dans les échanges, c’est ce que la personne compte pour l’autre, et réciproquement.
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