En quoi cette formule cristallise certaines caractéristiques et enjeux principaux des mobilisations populaires contemporaines ?
Dissertation : En quoi cette formule cristallise certaines caractéristiques et enjeux principaux des mobilisations populaires contemporaines ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar roky12 • 10 Novembre 2022 • Dissertation • 3 120 Mots (13 Pages) • 408 Vues
Sujet :
La marque de fabrique du mouvement social new-yorkais « Occupy Wall Street », né en septembre 2011, pouvait se résumer par la question suivante :« What is our one demand ? » (Trad. Quelle est notre revendication ? ») En quoi cette formule cristallise certaines caractéristiques et enjeux principaux des mobilisations populaires contemporaines ? Développez votre argument.
Contextualisation de la question-étendard « what is our one demand ? »
Cette question-slogan d’OWS se trouvait sur l’affiche de communication ci-dessous conçue par le magasine canadien anticonsumériste Adbusters (c’est aussi Adbusters qui lance l’idée de l’occupation populaire du quartier de Wall Street « #occupywallstreet » ).
[pic 1]
http://www.adbusters.org/
Dans le cours magistral, j’essaie de faire un point sur l’histoire de cette affiche, que je reprends ici : le taureau chargeant de Wall Street (The charging Bull) est une sculpture de bronze de l’artiste Arturo Di Modica située dans un parc tout près de la bourse de New York. L’histoire de cette sculpture est racontée dans un article sur Wikipédia. C’est après le Crash boursier de 1987 que l’artiste a installé son œuvre, réalisée à ses frais et sans autorisation. L’artiste est adepte de « l’art guerilla ». Il a déposé son œuvre tel un cadeau de Noel en décembre 1989 face à la Bourse. L’œuvre a très vite été enlevée, seulement sous la pression des protestations, elle a été replacée dans le quartier, un peu plus loin sur Bowling Green. La recherche d’information sur l’intention de l’artiste reste inachevée ou bien l’ambiguïté est entretenue. Ce phénomène là mériterait une analyse sociologique. Il peut en effet y avoir plusieurs versions d’interprétation qui ne sont pas sans révéler quelques éléments d’une lutte pour la mise en forme sociale de modèles culturels concurrents dans un champ historique donné (citation de A. Touraine, voir chapitre 2). A ce titre, l’œuvre est une vraie réussite artistique critique, d’art-guerilla. Le taureau chargeant symboliserait la force, le pouvoir et l’espoir du peuple américain pour le futur, sa croyance dans le marché financier et son ambition de prospérité. Ainsi, le taureau charge toujours du bas vers le haut, le sens également de la hausse de la bourse. Dans le langage des traders, les investisseurs qui pensent que la bourse va monter sont appelés les taureaux (Bulls) et l’expression Bullish signifie « hausse de la bourse » alors que ceux qui pensent que la bourse va baisser sont nommés les Ours (Bears). Seulement, l’artiste a aussi voulu dénoncer l’ambivalence de cette force et de cet optimisme financier, qui peut entraîner la bonne comme la mauvaise fortune. Et, le taureau en mouvement est aussi un taureau qui charge, c’est-à-dire un peuple qui se retourne contre l’oligarchie financière et qui la menace si celle-ci ne joue pas son rôle. Le caractère subversif de l’oeuvre a quand même été gommé. Le taureau est devenu une attraction pour les visiteurs qui veulent le toucher pour être assurés de leur bonne fortune.
Adbusters, par la création d’une série d’affiches à partir de l’œuvre de Arturo Di Moca, ainsi que le succès d’OWS donnent un nouveau sens à cette œuvre. Pour Adbusters et OWS, le taureau représente la brutalité des marchés, « la bestiole en prend pour son grade » ((Anselme 2011) et le peuple ne s’y reconnaît plus (pas):, il s’y oppose strictement. On le voit derrière, estompé par les fumées du gaz lacrymogène diffusé par les forces de l’ordre. Ce peuple est en colère, inquiétant et cagoulé, violent et armé de bâtons. La ballerine est comme suspendue au bon vouloir du taureau et en même temps on a l’impression que c’est elle qui a le pouvoir sur lui. Le slogan qui l’accompagne ne s’adresse pas aux acteurs de la bourse, mais à celles et ceux qui lisent et entendent la question, soit le peuple, en situation d’acteurs dominés. C’est un acte libertaire, qui n’en appelle pas au pouvoir régulateur de l’état ou de tout autre pouvoir économique mais qui s’adresse aux individus et en appelle à leur force de mobilisation et d’organisation. Ainsi, la demande est étroitement associée à la ballerine, une et indivisible qui représenterait une demande civile cohérente, unitaire, forte, tranquille et protégée par son statut même de force civile.
Derrière le slogan et l’affiche qui le contient, il y a plus qu’une belle image et un beau texte. Il y a une volonté de remodeler l’environnement mental des récepteurs du message. C’est ce que les biologistes de l’évolution appelle les « mèmes », tiré d’un anglicisme du mot meme qui veut dire gène) et qui font référence à ces messages culturels trancendants véhiculés par les industries culturelles mais aussi, en l’occurrence, par les activistes culturels. Adbusters et son fondateur Kalle Lasn sont convaincus que le pouvoir est esthétique. Cela rejoint les thèses des situationnistes (Guy Debord), dadaïstes, surréalistes……Ainsi, ces activistes culturels croient dans les medias pour subvertir les pouvoirs traditionnels et les ébranler.
Cependant, l’activisme de OWS et contenu dans le slogan « what is our one demand ? » est plus politique encore dans le sens où c’est un manifeste qui en appelle au passage à l’action. Il porte un espoir de modifier le rapport de forces et de donner sens à une société moins top down et contrôlée par des entreprises mondiales, l’oligarchie financière, que bottom up mieux enracinée dans la société par sa représentativité de la majorité. Adbusters en appelle ici en effet à une sorte de superconscience collective construite sur la base du web, des réseaux sociaux et des consciences civiques des individus singuliers victimes des inégalités du système économique et culturel. Le slogan met en scène la force en même temps que la faiblesse du mouvement populaire. Le peuple est à la fois diffus, insaisissable, désordonné, indocile, imprévisible et il peut construire sa puissance sur la peur qu’il suscite et la violence qu’il incarne. Une part de l’anarchisme considère que la violence se justifie dans certaines circonstances et conditions historiques, lorsqu’il s’agit de lutter contre des systèmes politiques et/ou économiques autoritaires, fascistes ou libéraux. L’attribution de la qualité de violence aux faits activistes est bien sûr un enjeu du conflit social. Les pirates informatiques qui dérobent des données confidentielles de grandes entreprises ou de services secrets pratiquentils la violence ? Wikileaks, ce site spécialisé dans la divulgation de câbles diplomatiques américains, est-il violent? Les syndicalistes arrachant la chemise du DRH d’Air France fontils acte de violence ? La violence est-elle justifiable ?…
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