Première chambre civile de la Cour de cassation, 7 novembre 2018
Commentaire d'arrêt : Première chambre civile de la Cour de cassation, 7 novembre 2018. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar totorahill • 5 Avril 2019 • Commentaire d'arrêt • 2 577 Mots (11 Pages) • 1 793 Vues
Alors que l’écrivain Jean Gastaldi affirmait que « la filiation est une notion de sentiments plus que de gènes », la multiplication des actions relatives à la filiation témoignent tout de même du désir de chaque individu de connaitre ses véritables origines biologiques.
Dans son arrêt du 7 novembre 2018, la Première chambre civile de la Cour de cassation statue ainsi au sujet de la mise en œuvre du délai de prescription et du contrôle de proportionnalité en matière de contestation de paternité.
En l’espèce, par testament authentique reçu en 2010, un homme avait déclaré reconnaître comme étant sa fille une femme inscrite à l’état civil comme née de sa mère et de son époux, tous deux décédés. Sa filiation biologique avait été établie par un test de paternité. Après la mort du testateur, la femme avait intenté une action en contestation de la paternité de son père déclaré et établissement de celle du déclarant. Il ressortait également qu’elle avait entretenu depuis l’enfance des liens affectifs avec son véritable père biologique.
Dans son arrêt du 6 juillet 2017, une cour d’appel de Bourges avait déclaré irrecevable son action en contestation à l’issue d’un contrôle de proportionnalité auquel elle s’était livrée, en application des articles 334 et 321 du Code civil.
D'une part, la cour d’appel invoquait l'article 320 du Code civil pour faire obstacle à l'établissement d'une filiation qui contredirait celle légalement établie. Elle rappelait ensuite que le délai pour agir en contestation de paternité était ici expiré. Les juges estimaient enfin que ce délai légal de prescription était raisonnable et qu'il ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de la jeune femme.
La femme avait alors formé un pourvoi en cassation. Dans un premier temps, elle estimait qu’au regard de l’article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’action tendant à faire établir sa filiation biologique devait demeurer imprescriptible quand le parent biologique avait manifesté son intention d’établir son lien de filiation. Dans un deuxième temps, elle ajoutait que les juges devaient apprécier si la mise en œuvre de cette prescription ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale. Enfin, elle demandait que soit ordonnée une expertise biologique aux fins de caractériser une ascendance génétique avec son véritable père.
Le délai de prescription de dix ans pour agir en contestation de paternité est-il raisonnable et proportionné par rapport au droit au respect de la vie privée et familiale ?
Dans son arrêt du 7 novembre 2018, la Cour de cassation rejette le pourvoi et répond par l’affirmative. Elle confirme en effet le contrôle de proportionnalité car elle estime que le délai de prescription imposé respectait un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents.
Par conséquent, la Cour de cassation réaffirme la conventionalité de l’article 321 du code civil qui enferme les actions relatives à la filiation dans un délai de droit commun de dix ans.
A travers sa décision du 7 novembre 2018, la Cour de cassation s’exprime ainsi sur la manière dont le contrôle de proportionnalité doit être réalisé dans le cadre des actions relatives à la filiation.
La Cour de cassation commence par délimiter le cadre du contrôle de proportionnalité (I), avant de justifier l’atteinte qu’elle estime proportionnée au droit au respect de la vie privée (II).
I. La délimitation du cadre du contrôle concret de proportionnalité
La Cour de cassation commence par faire le rappel de la règle applicable en matière de prescription (A), avant de vérifier la conventionalité des règles en matière d’actions relatives à la filiation (B).
A. Le rappel pédagogique de la règle applicable en matière de prescription
La Cour de cassation énonce « qu’aux termes de l’article 320 du code civil, […], la filiation légalement établie fait obstacle, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ».
La filiation se définit comme « le lien de parenté unissant l’enfant à son père ou à sa mère », et « plus largement tout lien de parenté en ligne directe » (selon le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu).
L’article 321 du Code civil dispose à cet égard que « sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. A l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité ».
Enfin, l’article 334 du même code ajoute qu’à « défaut de possession d'état conforme au titre, l'action en contestation peut être engagée par toute personne qui y a intérêt dans le délai prévu à l'article 321 ».
En l’espèce, la demanderesse devait donc obtenir la destruction du lien de filiation qui était établi à sa naissance à l’égard du mari de sa mère avant de pouvoir établir sa filiation paternelle à l’égard de son véritable père biologique.
La Cour de cassation rappelle qu’il fallait appliquer l’article 320 du Code civil pour contester le lien de filiation non conforté par une possession d’état conforme au titre, avant de faire appliquer les articles 321 et 334 du même code.
Cette mention de la Cour de cassation est positive dans le sens où elle permet de rappeler les règles applicables en matière de prescription. En effet, une loi nouvelle était intervenue pour raccourcir le délai pour agir, car l’ancien délai trentenaire courait toujours.
Ce rappel justifie son raisonnement qui démontre que la jeune femme ne pouvait pas jouir d’un délai supérieur au délai de trente ans courant à compter de sa majorité. Par conséquent, son action en contestation de paternité était déjà prescrite. La Cour de cassation considère le délai de prescription comme raisonnable.
Cependant, l’intérêt de la décision de la Cour de cassation doit également résulter de la vérification de la conventionalité des règles en matière d’actions relatives à la filiation.
B. La vérification de la conventionalité des règles en matière d’actions
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