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La liberté contractuelle des personnes publiques

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Par   •  22 Octobre 2015  •  Dissertation  •  7 685 Mots (31 Pages)  •  2 219 Vues

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RFDA 2012 p.231

La liberté contractuelle des personnes publiques

Questions critiques à l'aune de quelques décisions récentes(1)

Thibaut Fleury, Docteur en droit, chargé d'enseignements en droit public à l'Université de Versailles-St-Quentin

L'essentiel

La reconnaissance doctrinale et jurisprudentielle d'une « liberté contractuelle » au profit des personnes publiques ne semble faire guère de doute aujourd'hui. Pourtant, l'analyse de certaines décisions récentes du Conseil constitutionnel, du Tribunal des conflits et du Conseil d'État démontre que la réponse aux questions du fondement et du régime de cette « liberté » demeure problématique. Cela conduit à s'interroger sur la pertinence du recours à cette notion pour qualifier juridiquement la faculté de contracter des personnes publiques.

« Existe-t-il une liberté contractuelle des personnes publiques ? » : c'est en ces termes que le professeur Leveneur ouvrait, en 1998, une intervention par laquelle il rappelait que la question, en dépit des apparences, méritait également d'être posée à propos de la liberté contractuelle en droit privé(2).

Qu'en est-il près de quinze ans plus tard ? La question est d'autant plus saugrenue que la réponse semble évidente : depuis 1998, de nombreux éléments jurisprudentiels et doctrinaux sont venus conforter l'existence d'une liberté contractuelle des personnes publiques. Entamé dans les années 1980, le mouvement jurisprudentiel relatif à cette question s'est confirmé dans les années 2000. « Principe général du droit » d'après le Conseil d'État(3), « principe » de valeur constitutionnelle d'après le Conseil constitutionnel, la « liberté contractuelle » des personnes publiques est un principe aujourd'hui bien ancré dans la jurisprudence relative aux contrats conclus par les collectivités territoriales et les établissements publics. Ce mouvement s'accompagne en outre d'une interprétation doctrinale qui ne laisse guère de place au doute. Dès 2002, une thèse vient ainsi proclamer la « liberté contractuelle des collectivités territoriales(4)» ; en 2003, partant du « constat que le contrat devient non seulement un processus privilégié pour régir les rapports entre l'État et les autres collectivités ou les collectivités territoriales entre elles, mais aussi un mode de gestion interne à l'administration de l'État »(5), M. Denoix de Saint Marc évoque le développement d'une « administration contractuelle ». En 2006, paraissent les Mélanges en l'honneur du professeur Guibal, au sein desquels plusieurs articles viennent rappeler que les personnes publiques jouissent d'une telle liberté(6). Jugée « inévitable »(7), la liberté contractuelle des personnes publique est aujourd'hui présentée comme « une donnée indépassable du droit des contrats publics »(8). À tel point que, « s'appuyant sur les potentialités » de cette liberté, certains auteurs ont récemment proposé d'« imaginer un ordre juridique commun modernisé (mondialisé ?) où la norme contractuelle serait le principe et la loi, la norme subsidiaire »(9).

La cause semble donc entendue : comme les personnes privées, physiques ou morales, les personnes publiques jouissent désormais, du fait notamment de la décentralisation et du développement de l'outil contractuel lui-même(10), d'une liberté contractuelle consistant « dans le fait que la formation du contrat sera entièrement abandonnée aux deux parties ». La « liberté » dont il est question serait « présente à chaque moment de la formation du contrat : liberté de contracter ou de ne pas contracter, liberté de choisir le type de contrat, liberté de choisir le cocontractant », « et surtout, liberté de s'engager par sa seule volonté »(11).

Certes, il n'est pas contesté que cette liberté est limitée : une personne publique ne peut contracter en matière de police administrative(12), d'enseignement public(13) ou encore de délimitation du domaine public(14) - pour ne citer que quelques exemples. Cette liberté est encore encadrée par l'existence de limitations de durée(15), par l'obligation d'insérer certaines clauses(16) ou, au contraire, l'interdiction d'en inclure d'autres(17). Il en va de même des limites qui encadrent le choix du cocontractant, tant en matière de marchés publics que de délégations de service public(18). Pourtant, en dépit de l'importance de ces limites, celles-ci sont présentées comme une confirmation de la valeur de principe de la liberté contractuelle des personnes publiques.

Telle n'est pourtant pas la conclusion à laquelle permet d'aboutir un examen attentif de quelques décisions célèbres rendues en la matière au cours des cinq dernières années par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et le Tribunal des conflits : là où l'on a souvent cru voir une consécration de la liberté contractuelle des personnes publiques, ce sont davantage les difficultés d'une telle consécration que révèlent ces décisions.

Tel est tout d'abord le cas de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 30 novembre 2006 à propos de la loi relative à l'énergie : on a vu dans cette décision une consécration de la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle des personnes publiques - nous proposerons d'y voir surtout un témoignage des difficultés que soulève la définition du fondement d'une telle liberté. L'affirmation vaut également à propos du régime juridique de cette « liberté » contractuelle : les affaires INSERM, KPMG, Compagnie générale des eaux et Commune de Béziers, réglées par le Tribunal des conflits et le Conseil d'État ces deux dernières années, illustrent en effet la très grande spécificité de ce régime - surtout lorsqu'est en jeu un contrat public.

L'émergence d'une « liberté contractuelle » des personnes publiques - parfois qualifiée d'« inattendue »(19) - demeure ainsi, en dépit des affirmations majoritaires, problématique. S'il ne s'agit pas de la nier, ni d'en exposer les limites que pose le droit positif, il s'agit de montrer que les difficultés que cette notion continue, dans la jurisprudence récente, de soulever, invitent à en repenser la pertinence théorique et pratique.

Quel fondement juridique pour la liberté contractuelle

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