La rationalité est-elle un obstacle ou un empêchement au sentiment amoureux ?

Lettre à Descartes – 23 juin 1643

Monsieur,

Votre missive rédigée avec la finesse intellectuelle que l’on vous connaît m’amène à me complaire dans des réflexions sur la place et la nature de l’être humain au sein de l’univers et comment elle est remise en cause par rapport aux changements de notre perception de la réalité. Si on se rappelle les expériences du noble Galilée et le Principia mathematica de Newton, pour ne nommer que ceux-là, nous pouvons nous questionner sur la mentalité et les croyances de notre époque. Nous ne pouvons plus cacher, déjà à mi-chemin dans notre siècle, qu’une révolution scientifique, littéraire et artistique commence à ébranler les fondements même de nos acquis. Au cœur de cette avancée vers la modernité, je dirais que votre théorie rationaliste remet justement en question notre monde. Je m’adresse donc à vous, très cher, aujourd’hui avec un questionnement qui me préoccupe depuis la lecture de votre dernière lettre : La rationalité est-elle un obstacle ou un empêchement au sentiment amoureux?

Tout d’abord, force est de constater que votre opinion quant à l’effet nocif des passions sur la raison est inébranlable. Je comprends que, selon votre approche, il est nécessaire de maîtriser les passions afin de ne pas distraire la raison. Si l’on considère l’expression ‘’l’amour est aveugle’’ vraie, nos perceptions peuvent alors être faussées, et notre raisonnement biaisé puisque nos sentiments nous détournent de l’observable, du rationnel. Vous dites aussi que la raison est ce qui nous rend homme, et nous différencie de la bête; et je vous l’accorde, car les animaux se font mener par leurs instincts. Cependant, qu’user de la raison ou de passion serait un signe de force ou de faiblesse me parait une conclusion précipitée. En considérant que la raison se fonde sur différents éléments d’un système que l’on appelle raisonnement, est-ce que le nouveau point de vue sur le monde que nous amène la passion ne serait pas, au contraire, une stratégie privilégiée pour restructurer notre raisonnement selon le monde qui nous entoure? Mettre de côté la passion serait, mon cher Monsieur, condamner la rationalité à se figer, s’encrasser dans les rouages de l’histoire et, au final, ne plus faire de sens. À cet effet, on pourrait ajouter qu’il serait difficile de poser que toutes décision rationnelle n’auraient aucun effet sur le monde, n’apporteraient pas des débats, des passions qui rendraient possible une réévaluation de la pensée rationnelle? Qu’en serait-il alors de nos expériences passées, ou encore de l’absence de celle-ci?

Personnellement, je dois au final avouer que votre raisonnement n’a pas l’avantage d’être absolue dans la mesure où il erratique tout rapport à la passion au service de la rationalité et que celle-ci doit être contrôlée afin de ne poser aucun obstacle au sentiment amoureux. Notre être reste un assemblage du corps et de l’âme, sans l’un ou l’autre nous ne serions pas en train d’échanger ces lettres. Peut-être est-il vrai que l’homme n’a pas de contrôle sur ses sentiments, qu’ils sont imprévisibles, changeants, mais n’est-il pas aussi vrai que le ressentiment de nos passions affecte notre raisonnement à même titre que le

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