Le droit administratif est-il exorbitant du droit commun ?
Dissertation : Le droit administratif est-il exorbitant du droit commun ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Trystant • 8 Octobre 2022 • Dissertation • 3 147 Mots (13 Pages) • 559 Vues
Prosper Weil, professeur français de droit administratif disait « Le droit administratif est né d’un miracle qui subsiste chaque jours par un prodige renouvelé ». Reprenant l’idée répandue que le droit administratif est un droit particulier, dont les logiques sont différentes de celle du droit commun. En effet si le droit commun est l’ensemble de règles juridiques applicables à toutes les situations n’étant pas soumises à des règles particulières, le droit administratif semble en être exorbitant, c’est-à-dire en dehors du fonctionnement du model commun. En France ce dernier à d’ailleurs été séparé du système judiciaire qui s’appliquait aux autres droits durant la Révolution française. Historiquement donc le droit administratif s’est construit comme un droit appart, avec ses fonctionnements propres, ses objets propres mais aussi ses sujets propres. En effet, le droit administratif est le droit de l’administration. Cette dernière a un sens très large puisqu’il s’agit aussi bien matériellement que de l’activité de gestion d’une situation mais aussi organiquement de l’ensemble des administrateurs, des personnes publiques ou privées qui exercent une activité d’intérêt général et qui disposent pour cela de prérogatives de puissance publique, c’est-à-dire les prérogatives accordés à l’Etat et à ses représentants (le détenteur de la souveraineté sur un territoire et pour un peuple donné) pour remplir sa mission d’intérêt public. Ainsi le droit administratif est le droit de l’Etat et de ses représentants mais aussi des administrés. Il connait des litiges entre les personnes publiques administratives mais aussi des litiges entre les administrations et les administrés. Cette ‘’spécialité’’ le sépare donc des autres droits français et cette spécificité se poursuit même à travers les juridictions qui l’exercent puisqu’elles sont indépendantes de l’ordre judiciaire. Il y a donc une dualité juridictionnelle en France, c’est-à-dire deux systèmes différents selon les types de litiges : la juridiction judiciaire qui traite des litiges entre particuliers et du droit pénal et la juridiction administrative qui comme nous l’avons vu, ne se concentre que sur les litiges concernant des personnes publiques. Cette séparation fait donc apparaitre le droit administratif comme exorbitant du droit commun, comme un droit exceptionnel bénéficiant d’une juridiction d’exception, c’est-à-dire d’une juridiction spéciale, définie par la loi pour un cas particulier.[pic 1]
Cependant cette exorbitance de la juridiction administrative pose aujourd’hui question. En effet, comment expliqué que l’administration puisse se trouver en dehors du droit commun ? Cela ne constitue-t-il pas une inégalité de traitement quant aux autres juridictions ? De plus, la séparation juridictionnelle ayant été effectuée à la Révolution, n’est-elle pas aujourd’hui dépassée ? Ne doit-elle pas être repensée en rapprochant le droit administratif du droit commun comme c’est le cas par exemple au Royaume-Uni ? Enfin, ne faut-il pas relativiser l’exorbitance du droit administratif dans la mesure où ce dernier, comme l’ensemble du droit français est soumis au respect du texte juridique suprême de l’Etat : sa Constitution, c’est-à-dire le texte qui régit l’organisation des pouvoirs et garantie les libertés du peuple ?
Toutes ces questions nous amènent à nous demander en quelle mesure le droit administratif français est-il séparé du droit commun ?
Pour répondre à cette interrogation il s’agit d’observer le processus de construction du droit administratif français au fil du temps (I) puis nous mettrons en évidence la proximité de ce droit avec les autres droits nationaux puisque l’évolution du droit permet de relativiser la netteté de leur séparation (II)
I/ Le droit administratif : un droit historiquement particulier
Tout d’abord nous verrons que le dualisme juridictionnel est le fruit d’une réflexion historique et philosophique quant à la séparation des pouvoirs (A). Puis nous observerons le fonctionnement atypique basé sur la jurisprudence, du droit administratif
A/ Le dualisme juridictionnel : fruit de la séparation des pouvoirs
La Révolution française qui débute en 1789 porte en elle les principes des philosophes des Lumières qui ont alimenté des débats théoriques durant le siècle précédent. Parmi ces penseurs : le français Montesquieu. Dans l’esprit des lois, il théorise un nouveau model d’Etat basé sur la l’équilibre des pouvoirs qui sont les prérogatives de l’Etat. Ces pouvoirs sont : le législatif celui de voté les lois, l’exécutif celui d’exécuter les lois et le judiciaire qui doit sanctionner les manquements à la loi. Montesquieu considère qu’il faut séparer ces trois pouvoirs pour garantir la liberté des citoyens face à l’arbitraire d’un souverain qui possèderait ces trois pouvoirs sans limites. C’est donc suivant cette théorie que les révolutionnaires vont décider de retirer la compétence du juge judiciaire quant aux litiges de l’administration avec la loi des 16-24 aout 1790. Cette loi, vient en effet retirer à la nouvelle organisation judiciaire mise en place à la Révolution, la connaissance des litiges administratifs. Ceux-ci étant le fruit du pouvoir exécutif puisqu’ils concernent des personnes publiques et donc l’Etat, tandis que les litiges civils eux sont affiliés au pouvoir judiciaire. Ces deux pouvoirs étant séparés il apparait logique de séparer les deux juridictions. Cette séparation sera d’ailleurs rappelée lors du décret du 16 fructidor an III (1795) dans laquelle « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ». A l’époque, la figure du juge fait peur. En effet, sous l’Ancien régime les juges avaient tenté d’abuser de leur pouvoir et de prendre des actes contraignant l’administration royale. Se faisant ils étaient sortis de leur rôle de garant de la loi pour empiéter sur le pouvoir exécutif mais aussi législatif. Le roi avait d’ailleurs tenté de limiter leur pouvoir avec l’ordonnance de St Germain en 1641.
Ainsi, la Révolution française créer une exception de juridiction pour les contentieux administratifs. Cependant contrairement aux autres litiges, il ne crée pas un ordre juridictionnel pour juger ces litiges. Il leur préfère le système de l’administration-juge. C’est-à-dire un système où c’est l’administration elle-même qui règle les litiges qui la concerne. C’est un model de justice retenue c’est-à-dire que l’action de rendre la justice est conservée par le pouvoir exécutif lui-même (les ministres). Cela s’appose à la justice déléguée où c’est une juridiction indépendante des administrations qui juge les litiges. C’est avec le coup d’état de Napoléon Bonaparte en 1799, que l’ordre juridique administratif se développe avec la création du Conseil d’Etat. Ce conseil est rattaché aux consuls (le pouvoir exécutif du nouveau régime politique) et il a une vocation de conseil quant aux projets législatifs émanant de ces consuls. Il donne donc son avis mais peut aussi préparer ces projets pour le compte des consuls. Il n’a donc pas de mission juridictionnelle. Avec la loi du 28 pluviôse an VIII (1801), Napoléon Bonaparte organise les collectivités territoriales françaises. Il créer les préfets qui sont des agents locaux qui doivent appliquer les décisions prisent dans la capitale. Ces préfets sont accompagnés de conseils de préfectures qui sont des organes consultatifs qui donnent un avis sur les actes du préfet. Dans ce système la justice reste retenue car ces conseils n’ont qu’un rôle consultatif qui peut même être dépassé par les consuls et les préfets.
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