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La justice est-elle une nécessité sociale ou bien une exigence idéale ?

Fiche : La justice est-elle une nécessité sociale ou bien une exigence idéale ?. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  29 Octobre 2017  •  Fiche  •  3 734 Mots (15 Pages)  •  1 020 Vues

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SYNTHESE V:  La justice est-elle une nécessité sociale ou bien une exigence idéale ?

Introduction

        Quelque définition que l’on donne de la justice, il s’agit de savoir si elle est déjà socialement établie ou seulement attendue par une revendication critique. Est-elle de l’ordre de la nécessité, forcément déjà là, ou de l’ordre de l’exigence, encore insatisfaite ? La différence est essentielle : dans le premier cas, la justice est une réalité effective, qu’il importe de comprendre. Dans le second cas, elle relève au contraire de la dénonciation de l’état de fait existant, au nom d’une norme idéale et supérieure. En bref, la justice est-elle une nécessité sociale ou bien une exigence idéale ?

          L’enjeu s’enrichit encore du fait que la nécessité peut se comprendre soit comme l’inévitable, soit comme l’indispensable. Certes, en un premier sens, que nous étudierons dans une première partie de notre développement, il s’agit de la nécessité inconditionnelle, ou inévitable, à savoir les effets sociaux de la domination sur l’activité de légitimation par l’imagination. Comme on vient de le voir, l’appel à la justice comme exigence idéale s’oppose à cette nécessité inévitable.

        D’où vient, cependant, cette justice comprise comme norme critique idéale de l’ordre social ? C’est ce que nous étudierons dans une seconde partie. Mais « nécessaire » peut aussi être compris en un second sens, qui désigne ce qui est indispensable à une survie ou bien à une pleine activité, ou nécessité conditionnelle. La justice est alors une nécessité sociale dans la mesure où elle est indispensable à la meilleure organisation possible de la société.  Cette indispensable justice est-elle alors réalisée ? C’est ce qu’il faudra établir en une troisième et dernière partie.

 I. Il y a une contrainte de la nécessité qui institue la justice en place dans chaque groupe social

     La justice comme ensemble précis et systématique de demandes et d’interdits s’enracine toujours dans un cadre social qui la produit : en effet, pour les définir, elle doit être issue de besoins collectifs et d’une organisation d’ensemble des rapports humains. Dans cette perspective sociologique, le sentiment de justice est alors le sentiment individuel d’attachement au groupe social.

A. La justice impose à l’individu la soumission au groupe

       La présentation terre-à-terre du point de vue des humbles par Steinbeck ne se limite pas à une myopie individualiste. Bien au contraire : le chapitre premier présente des figures génériques des hommes, des enfants et des femmes confrontés à la nature et à leurs rôles sociaux respectifs. De façon élémentaire, c’est au moins dans un ordre familial que l’homme se confronte avec la nature. C’est un ordre social global que le vagabond aux « vêtements neufs » porte avec lui (RC, 13), et qui cause la peur du chauffeur brutalement confronté à un ancien détenu (RC, 22). C’est encore un ordre social qu’il cherche à retrouver dans sa famille. La justice n’est d’ailleurs perçue par les Joad qu’à partir des contraintes imposées par leur propre misère, et conduisant àdes réactions habituelles chez eux comme chez n’importe quel voisin. Cette nécessité sociale impose des pseudo évidences locales, qui seraient considérées ailleurs comme aberrantes. Il en va ainsi dans le vol de la maison abandonnée, considéré chez les Joad comme habileté légitime du chapardeur le plus rapide.

« - Votre papa l’a volée (sa maison) ?

- Bien sûr. Il l’a trouvée à un mille et demi à l’est et il l’a traînée jusqu’ici. » (RC, 43).

       De façon tout aussi inattendue pour un regard extérieur, ou simplement pour la génération suivante des Joad, l’honnêteté du croyant se reconnaissait autrefois à ses gesticulations extravagantes lors des célébrations. « Je vous prie de croire que quand le vieux Tom tenait une bonne dose de Saint-Esprit, fallait se cavaler en vitesse de crainte d’être renversé et piétiné. » (RC, 44). Mais le vol et les gesticulations ne sont ici que des symptômes de la pauvreté matérielle et spirituelle du groupe tout entier, à la fois soumis et aveugle à sa condition misérable. En somme, la nécessité de l’ordre social peut imposer n’importe quel contenu comme légitime à ses membres.

       La justice n’est peut-être qu’une formulation et systématique du fonctionnement habituel du groupe social qui la revendique.Dans Les Choéphores, où l’affirmation sociale du groupe est celle de la filiation royale outragée, le même principe de fidélité à la coutume s’impose à Oreste. Ce dernier est de « la lignée d’un aigle » (C, 247), Electre fait appel au « foyer de ton père » (C, 237). Parlant de la juste place de la femme, Oreste exige la soumission à celui qui la nourrit : « Mais au foyer, elle vit du labeur de l’homme. » (C, 921) Et après le meurtre de Clytemnestre, le choeur manifeste dans une métaphore architecturale sa satisfaction de voir restauré l’ordre du maître : « Debout, palais : tu n’es que trop longtemps resté à terre. » (C, 963-964) La justice, dira enfin Pascal, ne se comprend que comme ordre reçu, établi, et pour cette seule raison considéré comme juste.

« La coutume [est] toute l’équité, pour cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de toute autorité. » (Pascal, L 60, LG 56)

       Mais il a rangé ce fragment dans la liasse portant le titre « Misière », et en réalité, suggère ainsi Pascal, cette pseudo-légitimité se comprend comme un faux mystère, voire une mystification. Mais il s’agit d’une mystification aussi inévitable que l’ordre social lui-même. Les sociologues du XIXe siècle, tel Durkheim, l’appelleront « ordre social », sans plus s’en étonner. Mais Pascal, au contraire, multiplie les formules pour souligner l’étrangeté irrationnelle de cette soumission permanente de l’imagination à un ordre social infiniment arbitraire.

 B. L’inévitable tyrannie du moi soumet la justice à l’intérêt dominant

       Mais la nécessité ne se limite pas au règne de la survie autonome. Elle engage assez vite celui qui domine à soumettre autrui à son bon vouloir. Et cette domination de la force prétend à la légitimité. Toute rapine, toute prise de possession arbitraire est avidement justifiée d’un titre de propriété improvisé. « Mien, tien. Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants. » (Pascal, L 64, LG 60) .Il s’agit là d’un penchant très profond à légitimer son intérêt et même sa domination en lui donnant une justification. « Chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. » (Pascal, L 597, série XXIV, LG 509) De sorte que la justice se définit par une double nécessité contradictoire de soumission réelle de l’individu à l’ordre social et de volonté par l’individu de tyrannie de l’ordre social. Mais chaque contrainte est sans doute l’effet de l’autre : dans l’ordre social tel qu’il est, chacun est l’ennemi de tous. C’est aussi ce que suggère Steinbeck : l’ordre social est anonyme, la méchanceté est personnelle. Il existe donc un ordre économique indifférent et impersonnel oublieux de l’humain, destructeur des victimes (les Joad) autant que des vainqueurs (le propriétaire gros et méchant).

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