Commentaire discours décisif §34-36
Commentaire de texte : Commentaire discours décisif §34-36. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Adrien Meilhac • 8 Mars 2024 • Commentaire de texte • 3 510 Mots (15 Pages) • 107 Vues
Histoire de la philosophie
Dissertation - Discours Décisif §34-36
Le XIIe siècle espagnole est une période d’effondrement et d’affrontement entre musulman et chrétiens au Nord, mais aussi entre musulmans au Sud. Dès 1121 est fondé le mouvement Almohade (en arabe : al-Mowaḥḥidoun, signifiant littéralement “qui proclame l’unité divine), qui s’oppose alors au pouvoir almoravide présent notamment dans la péninsule ibérique. En quelques dizaines d’années, l’émirat Almoravide se morcèle en un ensemble de taïfa (faction, groupe, ou petit royaume en arabe), laissant de la place aux chrétiens et au califat Almohade, qui prennent alors les terres et le pouvoir. Cordou est prise en 1148, Séville en 1150, et bientôt tout l’ancien émirat Almoravide se retrouve aux mains des Almohade. Il s’agit maintenant pour le nouveau califat de stabiliser son pouvoir, d’autant que le reste des taïfas continuent leur lutte, notamment autour de Séville, territoire contesté et où est livré plusieurs batailles et siège au cours de cette période, comme par exemple en 1173, 1177, 1178, ou 1181. De plus, il faut voir qu'au-delà d’un affrontement territorial, les deux royaumes musulmans s’opposent aussi d’un point de vue religieux, conflit prenant pour point central le malékisme (école juridique de l’Islam sunnite), que les almohade rejettent. C’est donc dans cette période d’affrontement et de stabilisation d’un nouveau royaume que vit Ibn-Rushd, aussi dit Averroès. Philosophe, juriste, et grand cadi de Séville entre 1169 et 1171, puis en 1179, il publie durant cette même année une de ses œuvres principales : le Discours Décisif. Cet ouvrage philosophique cherche à statuer sur le droit et la légitimité de la philosophie au sein de la foi musulmane. Mais c’est aussi un publication juridique, qui à pour second objectif de réorganiser et stabiliser un Islam fragmenté par les écoles théologique et les madhahib (école du droit musulman). Pour les almohade, il ne suffit pas de prendre les armes pour être légitime, il faut encore avoir une véritable justification religieuse, et c’est à cela que va servir Averroès : Abû Ya'qûb Yûsuf (sultan Yusuf 1er) demande à notre auteur d’écrire ses commentaire d’Aristote et commande en partie ses ouvrages. A cet égard Averroès propose dans ses écrits une vision rationaliste et hiérarchisé de la pensée philosophique au sein de l’Islam, visant à unifier les interprétations de la foi. Il s’attaque en particulier au théologien, qui voit comme des sectes interprétant de manière diverse la Loi, et créant ainsi des dissensions. Le Discours Décisif commence dans une première partie par légiféré sur le droit à la philosophie et à l’interprétation, puis il consiste dans une deuxième partie en une réponse aux objections des théologiens et de Al-Ghazali. L'extrait que nous allons étudier se situe dans cette deuxième partie, allant du paragraphe 34 à 36, prenant comme thème central un enjeu a priori morale : l’auteur se demande qui à le droit d'interpréter le texte révélé, et notamment le sens abscons, c’est à dire les parties qui nécessite une interprétation qui ne soit pas littérale. Notre philosophe expose dans cet extrait la supériorité du syllogisme démonstratif, intellectuellement comme religieusement, ce qui lui permet de dire que seuls les philosophes, où ceux qu’il appelle lui-même “savant” sont autorisés à étudier les parties équivoques du Coran. A l’aune du contexte historique et intellectuel, nous pouvons alors nous demander comment dans cet extrait Averroès légitimise-t-il un droit à l’interprétation fondé sur l’examen rationnel ? On commencera par voir que l’homme de science possède une législation particulière, basé sur une hiérarchie des natures et le texte révélée. On verra dans une deuxième partie pourquoi l’homme lambda, celui qui fait partie de la foule, peut être condamné pour ses erreurs d’interprétations. Enfin, on mettra en lumière en lumière dans une troisième et dernière partie le fondement religieux du droit mit en place par Averroès.
Notre extrait s’ouvre sur un constat simple “On peut quasiment dire: ceux qui s'opposent sur ces questions extrêmement ardues, soit sont dans le vrai, et dans ce cas ils seront récompensés; soit se trompent, et alors ils seront pardonnés.”. On peut comprendre au vu de ce que nous avons déjà dit précédemment qu’Averroès parle ici des philosophes et autres hommes de science qui font usage du syllogisme démonstratif. Ces hommes-là, les personnes les plus intelligentes, ceux dont l’usage de la raison et de la démonstration et acquis dans l’esprit, s’opposent au sujet des interprétations du Coran, de la manière d'interpréter tel ou tel mot, et de sa correspondance au résultat de l’examen rationnel. Une fois ces noms indéterminés expliqués, intéressons-nous au reste de la phrase, qui expose une idée tout à fait étonnante puisque soit ces savants “sont dans le vrai, et dans ce cas ils seront récompensés; soit se trompent, et alors ils seront pardonnés.”. La première partie de fait pas de débat : celui qui réussit dans son examen des choses est récompensé, sa bonne action est approuvée par notre juriste. Cependant, le reste de la phrase laisse supposer que l’erreur du même homme dans le même exercice n’est pas désapprouvée. Au contraire, cette entreprise, même si elle est un échec, est pardonnée. Averroès expose ici la première idée de sa thèse, c’est-à-dire qu’il donne un traitement de faveur, une sorte de dérogation aux savants, qui ont alors le droit de commettre des erreurs dans leur raisonnement et leur interprétation. Ce premier paragraphe continue dans une explication de ce régime juridique particulier en disant “Car le fait d'assentir à quelque chose par l'effet d'une preuve établie dans son esprit est un acte contraint et non libre, c'est-à-dire qu'il n'est pas en notre pouvoir d'assentir ou non de la même façon qu'il est en notre pouvoir de nous mettre ou non debout.”. L’auteur commence par donner un premier argument, celui-ci est rationnel et basé sur la manière dont l’assentiment au démonstration se fait dans notre esprit. Pour lui, lorsque notre esprit se trouve face à une “preuve établie”, à savoir les idées produites par des syllogismes rationnelles, nous adhérons sans que notre volonté n’ai à faire quoique ce soit. En effet, ce type de syllogisme propose, du moment que les prémisses sont vraies, des résultats qui sont certains. Et notre esprit, face à cette démonstration est d’une certaine manière “contraint”. Sa force logique implique l’assentiment à ce qu’il prouve. Ainsi, contrairement à notre corps, qui est l’objet de notre volonté le plus facilement accessible, notre esprit échappe apparemment en partie à notre volonté lorsqu’il est face à une démonstration. On peut donc attribuer cette force contraignante à la puissance logique que possède le syllogisme démonstratif. Or, si cette force dépasse notre propre volonté, cela signifie que “celui qui donne son assentiment à une proposition erronée parce que quelque incertitude l'a affecté, s'il est homme de la science, est pardonnable”. En effet, il peut arriver au médecin, aux philosophes ou au juriste de faire erreur dans son raisonnement puisqu’il tire ses règles de l’expérience. Sa méthode étant empirique, et partant du particulier pour aller au générale, il se peut que l’on accepte comme vrai des prémisses qui ne le sont en fait aucunement. Mais si cette erreur est pardonnable, ce n’est pas parce que l’erreur est possible, mais plutôt car “une condition de la responsabilité légale est le libre arbitre”. Pour Averroès, le véritable problème ne se trouve pas dans l’erreur qu’à fait le savant, où dans les raisons de cette erreur, mais plutôt dans la personne qui l’a commise. Il apparaît ici que c’est en qualité d’homme savant que la personne peut-être graciée, et non pas sur le type ou les raisons de cet échec. Et si l’homme de science possède ce régime spécial, c’est parce qu’en voyant un syllogisme démonstratif, il s’impose dans son esprit, lui qui sait les comprendre et les décrypter. Le premier argument maintenant rationnellement expliqué, Averroès continue de légitimer son idée en écrivant “C'est pourquoi le Prophète - sur lui soit la paix - a dit: «Qu'un juge produise un effort de jugement personnel et tombe juste, il sera doublement récompensé. Qu'il se trompe, il aura une récompense [simple]”. Il fait ici appelle à un deuxième argument, cette fois-ci d’autorité car religieux, la Loi, afin de soutenir que sa thèse est conforme à ce qu’énonce les écrits divins. On rappellera d’ailleurs qu’il en va toujours pour notre philosophie de faire fonctionner philosophie et foi en parallèle, l’une soutenant l’autre réciproquement. Mais au-delà de la légitimité qu’apporte cette phrase, il faut noter que le Prophète dit qu’un juge qui se trompe n’est pas pardonné mais “aura une récompense [simple]”. Cela diffère de la version d’Averroès, en cela que l’erreur n’est ici pas acceptée, elle est récompensée. On peut alors se demander si en faisant ça, le prophète n’encourage pas en partie ses fidèles les plus intelligents à faire impunément des erreurs ? Mais l’auteur nous éclaire assez peu de temps après en disant “Or y a-t-il juge plus éminent que celui qui juge que l'être est tel plutôt que tel? Ces juges-là, ce sont les savants auxquels Dieu a réservé et à eux seuls - le droit d'interpréter; et cette erreur dont la Loi stipule qu'elle est pardonnable, c'est celle qui peut être le fait des savants lorsqu'ils examinent les questions extrêmement ardues que la Révélation les a engagés à examiner.”. Il faut ici mettre en exergue les deux idées qui soutiennent la thèse du philosophe et les paroles du Prophète dans cette citation : Le philosophe est la personne la plus apte à juger les étants car c’est le plus compétent, et la Loi l’appelle à examiner la nature des choses. En effet, juger de la nature des choses, déterminer leur essence, est la tâche la plus complexe et celle qui ramène à Dieu. Ceux qui sont capables de cet examen sont les personnes les plus compétentes intellectuellement comme le soulignent les termes “y a-t-il juge plus éminent que celui qui juge que l'être est tel plutôt que tel?”. Ainsi, ces gens-là sont apparemment appelés à examiner les étants par la Révélation : “ils examinent les questions extrêmement ardues que la Révélation les a engagés à examiner”. On peut donc dire que l’homme savant, où l’homme qui possède la connaissance des syllogismes démonstratif, n’est pas responsable de ses erreurs en cela qu’il est contraint à adhérer à certaines idées fausses par la force logique de la démonstration. De plus, il est pardonné par le Coran qui appelle ses fidèles les plus intellectuels à l’examen des choses, et le fait de répondre à cette demande ne peut jamais mener à une punition ou une infidélité. Mais qu’en est-il de l’homme qui n’est pas savant ? Lui aussi n’a-t-il pas le droit de tenter une interprétation ou une explication des choses et des étants ?
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