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Analyse du film "La sarrasine"

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Par   •  29 Octobre 2021  •  Commentaire d'oeuvre  •  2 283 Mots (10 Pages)  •  446 Vues

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Lecture croisée

Dialogue entre « La Sarrasine » de Bruno Ramirez et Paul Tana, et « L’ossessione identitaria » de Francesco Remotti

Charlotte Marincola

10/05/2021


Dès les premières scènes, le film de Paul Tana et Bruno Ramirez, La Sarrasine, nous projette dans un contexte culturel hybride. L’action se situe à Montréal, au Canada, au début du XXème siècle, pays qu’un groupe de migrants italiens a choisi comme destination. Le film explore surtout les rapports entre cette communauté migrante et la société québécoise d’accueil ; les réalisateurs donnent à voir la complexité de cette coexistence aux équilibres fragiles, tristement marquée par des rapports de forces inégaux. Il en ressort un cadre riche et articulé, parfaitement en mesure d’illustrer les implications et les dynamiques qui surgissent lors d’une rencontre interculturelle.

 La narration se développe autour des figures de Giuseppe et Ninetta Moschella, mari et femme. Giuseppe est un tailleur italien qui a ouvert son atelier à Montréal, Ninetta l’a suivi et gère la pension où tous deux accueillent des compatriotes qui, comme eux, ont décidé de quitter leur pays en quête de fortune. Cependant les deux protagonistes se heurtent très vite à la réalité. Malgré leur ouverture d’esprit et leur volonté d’intégration et adhésion avec les valeurs de la culture québécoise, leur présence est vécue comme une intrusion et suscite surtout des sentiments d’hostilité. Malheureusement, l’idylle initiale se brise très vite et Giuseppe, contre toute attente, reste impliqué dans le meurtre d’un Québécois. Face à la perspective de passer le reste de ses jours en prison, Giuseppe finira par se suicider. Ninetta quant à elle, se bat pour que son mari soit libéré tout en affrontant, parallèlement, un parcours d’affirmation identitaire qui la porte à sortir de la double condition de subordination qui l’afflige en tant que migrante et en tant que femme.

 Les problématiques et les thèmes affrontés dans cette œuvre offrent de nombreuses pistes de réflexion. Quant à cette analyse, elle se concentrera sur le constat que les rencontres et les contacts entre Italiens et Québécois semblent fonctionner quand les constructions identitaires collectives, qui produisent des interférences nuisibles, cèdent le pas à une confrontation individuelle, à une rencontre et reconnaissance interpersonnelles. Dans le film, comme nous le verrons ensuite, lorsque l’interaction a lieu entre sujets prisonniers de l’appartenance à leurs groupes respectifs, il n’y a pas de communication ni d’intégration possible. Néanmoins, de nouveaux espaces de confrontation s’ouvrent lorsque les individus sont en mesure d’interagir avec l’Autre sans l’englober automatiquement dans une identité sociale et collective.

Ce schéma, que l’on observe à plusieurs reprises tout au long de la narration, semblerait suggérer une conception de l’identité qui « dialogue » avec la façon dont l’anthropologue italien Francesco Remotti aborde la question dans L’ossessione Identitaria. La rencontre interculturelle ne peut qu’échouer quand on nie la nature fluide, plurielle et complexe de l’espace identitaire en emprisonnant l’Autre dans des appartenances stéréotypées comme, par exemple, l’identité nationale.

Remotti est très critique vis-à-vis de l’emploi social, politique, individuel ou même scientifique que l’on fait du mot identité. Selon lui, non seulement il s’agit d’un mot dont on abuse, mais aussi, surtout, d’un mot empoisonné porteur de tensions et de conflits sociaux qui, s’il est employé de façon superficielle et désinvolte, peut comporter des enjeux socio-politiques néfastes. Selon l’anthropologue, la référence à l’identité et l’exaltation de ce critère de répartition de l’humanité se fonde sur une conception erronée de l’idée même d’identité. L’idée que cette dernière constitue une entité fixe et immuable dans le temps, incontaminée et non négociable. Un espace clos et insulaire, dont il faut donc préserver l’intégrité:

«Dominata dall’identità, la vita sociale perde inesorabilmente la ricchezza degli scambi, degli intrecci, delle interrelazioni, lasciando il posto a una visione in cui le entità storiche e culturali (i ‘noi’) [sono] concepite come sfere chiuse e compatte, autonome e autosufficienti ».[1] 

Selon Remotti cette conception serait à l’origine d’un processus de réification : une catégorie abstraite et idéale qui devient réelle et presque tangible. Dans le cas de l’identité cette concrétisation crée des distances, porte à l'érection de murs qui, graduellement, se font de plus en plus insurmontables : les murs entre Nous et les Autres.

 La pellicule de Paul Tana et Bruno Ramirez ne fait que confirmer la théorie de Remotti. Les moments les plus emblématiques du film sont marqués par cette démarcation rigide Nous (les Québécois) VS Autres (les Italiens) qui entraîne des clivages et des tensions. Giuseppe, Ninetta, Pasquale, ou encore Carmelo, n’apparaissent, aux yeux de Théo et Félicité, qu’en tant qu’Italiens (donc vraisemblablement mafieux et violents) : privés d’une individualité, leur identité nationale et leur appartenance de classe parlent pour eux.

 Par ailleurs, nous met en garde Remotti, le mythe de l’identité ne s’éloigne que très peu du mythe de la race : alors que le premier se nourrit de fondements socio-historiques et de symboles culturels, le deuxième s’appuie sur des principes (soi-disant) biologiques. Mais les résultats très souvent sont les mêmes. Dans La Sarrasine, notamment, l’origine italienne des migrants et leur bagage culturel se devine non seulement à partir de la langue, mais aussi à travers la référence à des évènements de l’histoire italienne ou bien à la mise en scène d’objets et des croyances typiquement italiens. Il est intéressant d’observer à ce propos que l’évocation de ces traits identitaires fortement connotés assume une valeur différente selon le contexte et la prédisposition à l’intégration des protagonistes concernés.  Tant que l’échange a lieu entre Giuseppe Moschella et M. Lamoureux, deux hommes cultivés et ouverts à la compréhension de l’Autre, l’écho de la culture italienne (la représentation de La Gerusalemme Liberata de Tasso, l’évocation de l’épopée de Garibaldi, le goûter à base de pignolata) n’est que source de curiosité et d’enrichissement. Cependant, ces mêmes symboles identitaires peuvent exacerber l’intolérance et la violence verbale et physique. Il suffit de penser à la violence avec laquelle Théo s’acharne contre l’orgue de Barbarie de Pasquale à deux occasions. En dehors de l’église, quand il tente d' arrêter de son corps le son qui sort de l’orgue : « Allez-vous m’arrêter cette maudite musique là ! ».[2] Enfin dans la scène qui anticipe et déclenche le drame, Theo, toujours plus insultant, dégrade l’instrument en l’aspergeant d’alcool et en lui attribuant des appellatifs ridicules et provocateurs : « Hé ! Macaroni ! On t’a rapporté ta boite à musique ! (…) Si tu [ne] sors pas, on la brule ta musique à bouche ! ». [3]A ce stade l’objet est devenu le dépositaire, le symbole, à l’occurrence concret et tangible, de la culture Autre dont on ne tolère pas la présence. L’agression est d’autant plus perturbante si on considère l’attachement de Pasquale à l’instrument. Dans un milieu étranger où il peine à s’insérer, l’orgue lui rappelle son identité d’origine, la seule en mesure de le protéger et de lui garantir une promesse de stabilité. Voilà pourquoi il réagit avec une telle violence aux provocations de Théo entraînant ainsi un enchaînement de conséquences funestes.

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