Spinoza
Étude de cas : Spinoza. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar 3812021U • 7 Janvier 2022 • Étude de cas • 3 406 Mots (14 Pages) • 364 Vues
Ethique
Première partie : De Dieu
Appendice.
Spinoza.
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« Tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza ».
Henri Bergson.
« Par ce qui précède, j’ai expliqué la nature de Dieu, et ses propriétés, à savoir : qu’il existe nécessairement ; qu’il est unique ; qu’il est et agit à partir de la seule nécessité de sa nature ; qu’il est de toutes choses cause libre, et comment il l’est ; que toutes choses sont en lui, et dépendent de lui de telle sorte qu’elles ne peuvent sans lui ni être, ni être conçues ; et enfin que toutes les choses ont été prédéterminées par Dieu, non certes à partir d’une liberté de la volonté, autrement dit d’un bon plaisir absolu, mais à partir de la nature absolue de Dieu, autrement dit d’une infinie puissance. De surcroît, partout où l’occasion m’en a été donnée, j’ai pris soin d’éloigner les préjugés qui pouvaient empêcher que mes démonstrations ne soient perçues ; mais, parce que demeurent bon nombre de préjugés qui ont pu, et peuvent encore, et même considérablement, empêcher les hommes d’embrasser l’enchaînement des choses tel que je l’ai expliqué, j’ai pensé qu’il valait la peine de convoquer ici ces préjugés pour un examen rationnel. Or tous les préjugés, que je me charge ici d’indiquer, dépendent d’un seul : à savoir que les hommes, communément, supposent que toutes les choses naturelles agissent, comme eux-mêmes, en raison d’une fin ; et même, ils tiennent pour certain que Dieu lui-même dirige toutes choses en vue d’une fin précise : ils disent en effet que Dieu a fait toutes choses en raison de l’homme, et l’homme, pour qu’il l’honore. C’est donc cela seul que je considérerai d’abord, à savoir la recherche, premièrement, de la cause qui explique que la plupart acquiescent à ce préjugé, et que tous ont par nature une telle propension à l’embrasser. Ensuite, je montrerai la fausseté de ce préjugé, et enfin, comment de lui sont nés les préjugés sur le bien et le mal, le mérite et le péché, la louage et le blâme, l’ordre et la confusion, la beauté et la laideur, et sur d’autres choses du même genre.
Mais en fait, ce n’est pas le lieu ici de déduire ces préjugés de la nature de l’esprit humain : il me suffira de prendre pour fondement ce qui doit être connu de tous ; je veux dire, que tous les hommes naissent ignorants des causes des choses, et que tous ont l’appétit de chercher ce qui leur est utile, chose dont ils
sont conscients. De cela, il suit dès lors, premièrement, que les hommes ont pour opinion qu’ils sont libres, puisqu’ils sont conscients de leurs volitions et de leur appétit, et sont ignorants des causes par lesquelles ils sont disposés à vouloir et à avoir en appétit, et auxquelles même en rêve ils ne pensent pas. Il suit, deuxièmement, que les hommes en tout agissent en raison d’une fin ; évidemment, en raison de l’utile, dont ils ont l’appétit : d’où vient que, toujours, ils cherchent à savoir les causes seulement finales des choses accomplies, et quand ils les ont entendues, ils sont satisfaits ; à l’évidence, parce qu’ils n’ont aucune raison de douter davantage. Mais s’ils ne peuvent les entendre d’autrui, il ne leur reste plus qu’à se tourner vers eux-mêmes, à réfléchir aux fins par lesquelles ils sont eux-mêmes habituellement déterminés à des actes semblables, et ainsi à juger nécessairement à partir de leur propre caractère du caractère d’autrui.
De plus, comme ils trouvent en eux et hors d’eux bon nombre de moyens qui permettent très bien d’atteindre ce qui leur est utile, comme par exemple les yeux pour voir, des dent pour mâcher, des végétaux et des animaux pour s’alimenter, un soleil pour s’éclairer, une mer pour nourrir les poissons, etc., de là vint qu’ils ont considéré toutes les choses naturelles comme des moyens pour ce qui leur est utile ; et parce qu’ils savent que ces moyens, ils les ont trouvés et non pas fabriqués, ils y ont vu une raison de croire qu’il y avait quelqu’un d’autre, qui avait fabriqué ces moyens pour leur usage. Car, après avoir considéré ces choses comme des moyens, il leur devint impossible de croire qu’elles s’étaient faites les unes les autres ; mais, à partir des moyens qu’habituellement ils se fabriquaient pour eux-mêmes, ils ont été amenés à conclure qu’il y avait un ou plusieurs recteurs de la nature, dotés de liberté humaine, ayant pour eux pris soin de tout, et ayant pour leur usage tout fait. Or, le caractère de ces recteurs, puisqu’ils n’avaient rien entendu à leur sujet, ils ont également été amenés à le juger à partir du leur, et dès lors ils ont établi que les Dieux dirigent tout à l’usage des hommes, pour se les attacher, et être tenus par eux dans un suprême honneur ; d’où vint qu’il inventèrent, chacun à partir de son caractère, diverses manières d’honorer Dieu, pour que Dieu les préférât aux autres, et dirigeât la nature tout entière à l’usage de leur désir aveugle et de leur insatiable cupidité. Et c’est ainsi que ce préjugé tourna à la superstition, et s’enracina profondément dans les esprits ; ce qui entraîna chacun à s’appliquer avec le plus grand effort à comprendre les causes finales de toutes choses, et à les expliquer. Mais quand ils cherchèrent à montrer que la nature ne fait rien en vain (c’est-à-dire rien qui ne soit à l’usage des hommes), ils ne montrèrent, semble-t-il, rien d’autre, sinon que la nature, et les Dieux délirent autant que les hommes. Regarde, je t’en prie, où finalement on en est arrivé ! Au milieu de tant d’avantages de la nature, ils durent trouver un bon nombre d’inconvénients, tels les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc. ; et ils établirent que ces événements avaient lieu parce que les Dieux étaient irrités par les offenses qui leur étaient faites, autrement dit par les péchés commis contre leur culte ; et bien que l’expérience chaque jour protestât en montrant par une infinité d’exemples qu’avantages et inconvénients incombent sans distinction aux pieux et aux impies, ils ne renoncèrent pas pour autant à ce préjugé invétéré : en effet il leur fut plus facile de ranger cela parmi d’autres choses inconnues, dont ils ignoraient l’usage, et de conserver leur état présent et inné d’ignorance, plutôt que de détruire toute cette construction, et d’en inventer une nouvelle. Aussi ont-ils tenu pour certain que les jugements des Dieux dépassaient de très loin la compréhension des hommes : ce qui sans aucun doute aurait suffi à cacher pour l’éternité la vérité au genre humain, si les Mathématiques, tournée non pas vers les fins, mais seulement vers les essences et les propriétés des figures, n’avait montré aux hommes une autre norme de vérité ; et outre la Mathématique, on peut attribuer à d’autres causes encore (qu’il est superflu d’énumérer ici) cette possibilité qu’ont eue les hommes de reconnaître ces préjugés communs, et d’être conduits à la vraie connaissance des choses.
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