Le doute
Synthèse : Le doute. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Fyzer49 • 30 Octobre 2019 • Synthèse • 3 429 Mots (14 Pages) • 824 Vues
► Si nous commençons la réflexion par le doute, c'est que ce dernier est primordial en philosophie. Si le doute n'est pas toujours philosophique, à l'inverse il n'est pas de philosophie qui ne commence par douter. On le voit bien chez Descartes, qui en fait l'acte inaugural de sa philosophie première. Mais la philosophie inverse la signification que revêt l'expérience ordinaire du doute : Alors qu'il débouche souvent sur la déception et le triste constat de l'inconstance des choses, le philosophe le « retourne » au plus grand avantage de l'esprit, par une sorte de ruse de la raison dont il a le secret. => Le doute devient alors l'instrument par lequel l'esprit prend conscience de sa puissance, de sa souveraineté et de son infinie liberté.
A Le doute ordinaire : les raisons d'un échec
Rien de plus commun que le doute, cette défiance que nous avons coutume d'éprouver à l'égard des choses, de nous-mêmes ou d'autrui. « je ne sais pas si… » Le doute est le contraire de la foi : c'est un manque de confiance. L'on peut aussi bien douter de soi, de ses capacités, que de la parole d'autrui : ses compliments à mon égard, ses condoléances, le témoignage de son amitié sont-ils sincères ? Déf° : On le voit, le doute est une disposition naturelle du sens commun à n'accorder aveuglément ni sa confiance, ni sa croyance. C'est par là que le doute est philosophe : il est, à l'intérieur même du sens commun, ce qui nous donne le ressort de le dépasser, si nous nous en donnons la peine. En effet, le doute, en nous empêchant de croire trop rapidement, en différant notre adhésion, nous donne le recul qui nous permettra de soumettre toute chose à examen, à enquête. Le doute nous met véritablement en possession de notre jugement, par l'obstacle qu'il fait à son exercice trop rapide (juger trop rapidement = préjuger) C’est la leçon du sceptique Montaigne : à ceux qui seraient tout prêts à juger barbares les peuples cannibales, Montaigne réplique qu'on peut bien les juger tels dans l'absolu, mais non par rapport à eux, censeurs européens, qui se livrent à bien pire barbarie encore. Rien de tel, pour nous délivrer des jugements hâtifs, que de consulter l'expérience, qui nous fait comparer toutes choses entre elles, et réfute tout point de vue unilatéral sur la réalité. A nous de tirer les leçons de l'expérience, qui déçoit souvent nos plus fortes certitudes. Mais nous n'entendons ces leçons que d'une oreille, et retombons vite dans la paresse des préjugés, quitte à passer d'un préjugé à un autre. Voilà pourquoi le doute, tel qu'il s'exerce au niveau du sens commun, s'avère juste capable de rendre fluctuantes toutes nos croyances et toutes nos opinions, de nous rendre hésitants et indécis : il ne sait que penser de l'amitié, celui qui a vu son fidèle lieutenant le trahir ; il perd ses convictions politiques, celui qui voit son parti les perdre devant lui à l'épreuve du pouvoir. L'expérience lamine toute certitude et toute croyance ; elle met tout son génie à nous désorienter, à nous faire perdre nos repères les mieux assurés.
Mais, de cette expérience de la désorientation, l'homme revient. Ne dit-on pas d'un homme qui a une riche expérience humaine qu'il est revenu de tout ?
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Or, de quoi revient-on, au juste ?
Moins, contrairement à ce qu'on pourrait croire, de nos convictions que de l'incertitude, cette ombre que l'expérience a fait planer sur nos certitudes. Le propre du sens commun, plongé qu'il est dans l'expérience, est de ne pas douter jusqu'au bout, ni assez. Il est toujours déjà revenu du doute au moment où il doute : en cela, son doute est inauthentique. La raison en est simple : la même cause qui nous fait douter de tout nous ramène au bercail de la certitude. (Je suis certain qu’il n’y a rien de vrai !) => Qui se tient dans l'expérience se tient dans un océan agité qui change tout le temps : elle altère nos croyances les plus fermes comme il fait descendre et monter la barque du pêcheur. Mais, précisément, cela ne rend que plus nécessaire pour cette barque d'avoir une ancre. C'est l'absence de repères qui nous oblige à nous orienter : c'est l'instabilité qui nous fait rechercher la stabilité. Ainsi du doute propre au sens commun : il ne nous arrache à la certitude que pour mieux nous y faire retomber. Le doute ordinaire ne nous fait rien gagner, sinon plus d'amertume ; en tout cas, nous n'en sortons pas plus sages. L'amitié a ses déçus, comme le socialisme les siens : l'absence de foi est leur nouveau credo, et s'abîme dans ces certitudes, tristes fruits d'une généralisation de l'expérience, que l'homme ne vaut pas cher, qu'ils sont tous pourris, etc. Le sens commun est ainsi fait qu'il préfère la certitude du néant à un néant de certitude : le doute n'a servi qu'à transformer les certitudes positives de l'optimisme naïf en certitudes négatives du pessimisme cynique. Les vertus philosophiques contenues en puissance dans le doute meurent ainsi, avant même d'avoir exprimé toute leur puissance, dans l'esprit de l'homme enlisé dans l'expérience.
B Le doute philosophique : l'esprit du scepticisme La philosophie est l'activité intellectuelle qui, pensant l'expérience, nous en arrache. Le doute, porté on l'a vu par l'expérience elle-même, elle va le porter à son tour et plus loin par la pensée, et s'efforcer de ne pas le faire retomber dans des certitudes négatives de l'esprit contemplant son impuissance. Le scepticisme est cet effort pour arracher la pensée au nihilisme propre aux premières pensées de l'esprit immergé dans l'expérience. Pour qui sait un peu de philosophie, cette définition ne manquera pas de surprendre. En effet, ne dit-on pas, dans certains manuels, que le scepticisme est cette doctrine de l'Antiquité qui nie que l'on puisse rien connaître ? Ne croit-on pas en résumer l'esprit quand on la réduit à la célèbre formule : « Je ne sais qu'une chose, que je ne sais rien » ? Le scepticisme n'est-il donc pas de toute évidence un nihilisme [Doctrine selon laquelle rien n’existe, ni vérité, ni valeur]? Les lecteurs les plus attentifs des auteurs sceptiques, comme Jean-Paul Dumont, nous obligent à corriger cette représentation approximative, en resituant la « doctrine » sceptique (la nondoctrine, devrait-on dire plutôt) dans son contexte historique. En fait, ce ne sont pas les sceptiques eux-mêmes, mais les Académiciens (on appelle ainsi les disciples de Platon), qui ont développé l'image d'un scepticisme radicalement négatif, composé de formules telles que : « Tout est faux »; « Rien n'est vrai », etc. Or, le scepticisme authentique, celui d'un Pyrrhon, d'un Sextus Empiricus, n'est pas cela. Il ne peut se laisser réduire à de tels dogmes, lui qui précisément avait pour sens de combattre tout dogme. Et d'ailleurs, il n'est que trop facile de voir que celui qui affirme que tout est faux se contredit lui-même. Il serait contraire à l'essence du scepticisme de sombrer dans un dogmatisme nihiliste : tout est faux ; on ne peut rien connaître...
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