La France est elle encore une grande puissance ?

         Le 6 novembre 1956 à minuit, prend fin l'expédition de Suez par laquelle Français et Britanniques tentaient de reprendre par la force le canal nationalisé par le colonel Nasser. Imposé par les Soviétiques et les Américains, ce cessez-le-feu sonne pour la France et la Grande-Bretagne la fin de la direction coloniale du monde ; en même temps qu’il symbolise l’émergence du tiers monde, il rappelle si la domination des deux nouvelles « grandes puissances », les États-Unis et l’URSS.

Si la puissance d’un pays définit une capacité à contrôler les événements qui se produisent hors de ses frontières ou du moins à les influencer, nul doute que cet événement a constitué un tournant dans la perception de la puissance française.

La crise de Suez a marqué un éloignement la France du statut de grande puissance, mais celui demeure néanmoins complexe car il implique une influence se traduisant idéalement dans un très grand nombre de domaines : politique, militaire, économique, culturel, scientifique ou idéologique, assurant au final un très grand prestige au pays concerné. La puissance ainsi définie va au-delà du pouvoir de faire (potestas) ; elle comprend aussi une part de respect ou de légitimité dans le regard des autres nations (auctoritas) ; cette auctoritas pouvant subsister sans la potestas, du moins pendant un temps.

Les événements postérieurs tels que le retour du général de Gaulle, la construction européenne et surtout la fin de la Guerre froide et la disparation de l’Union soviétique, ont-ils permis de retourner cette situation ou bien le terrain perdu l’a-t-il été pour toujours ?

En ce début du XXIème siècle marqué par les progrès de la mondialisation et la montée de « puissances » émergentes aux premiers rangs 3 desquels la Chine, reste-t-il même quelque chose de la puissance française et si oui, dans quelle proportion ? Bref, la France est-elle encore une grande puissance ?

Si la puissance française a incontestablement diminué entre la première de la deuxième moitié du XXème siècle, notre pays joue encore un rôle notable dans les affaires du monde (I). Les mutations de la notion même de puissance ainsi que le nouveau contexte européen et international sont pour la France autant d’opportunités pour affirmer son influence (II).

 I) Si la France n’est plus la grande puissance incontestable qu’elle était il y a encore un siècle, le pays en possède encore nombre d’attributs

A) La France de 2021 est encore marquée par le statut qui était le sien avant le déclin de l’Europe au cours de la première moitié du XXème siècle

🡺 La France était encore au centre du monde avant les deux « guerres civiles européennes » Le moment où la France remplissait le plus complètement les critères de la grande puissance était sans doute le XVIIIème prolongé jusqu'aux premières années du XIXème siècle

• Pays le plus peuplé (la Chine de l’Europe)
• Pays le plus riche + le plus développé (très forte centralisation de Louis XIV à Napoélon)
• Référence culturelle ( la langue francaise, Versailles ; révolution française, DDHC)
• Hégémonie militaire sous Napoléon

🡺 En 1914 la France, faisait toujours figure de « grande puissance » Dans un monde dominé par l’Europe, la France conquiert en effet à la fin du XIXème un très vaste empire colonial qui a alors pour principal concurrent l'Angleterre

• Référence pour les arts, les sciences
• Puissance énomique et militaire

🡺 vient le déclin de l’Occident (ouvrage d’Oswald Spengler) tient sans doute au sentiment largement partagé d’affaiblissement de l’Europe au sortir de la Grande guerre.

La France en fut très largement affectée à la fois :

• dans les éléments objectifs de sa puissance (démographie, économie). Le pays est épuisé.
• dans son rayonnement (comme l’écrit Paul Valéry, les civilisations, mêmes celles issues des Lumières savent désormais qu’elles sont mortelles)
• en son sein même, la société française doute, pendant l’entre-deux-guerres, des valeurs de la démocratie parlementaire et du libéralisme économique, pourtant fondements du modèle occidental.

🡺 L’après 1945 relègue la France au rang de simple allié de la grande puissance américaine. Même si elle sort de la Seconde guerre mondiale avec le statut de vainqueur, la France est reléguée dans le monde de Yalta au rang d’allié du protecteur américain, organisateur du « monde libre ». Elle est membre de l’OTAN créée en 1949. - Retournement : alors qu’en 1917, les Etats-Unis s’étaient engagés dans une guerre européenne à nos côtés, en 1950, des bataillons français s’engagent en Corée dans une guerre Est-Ouest menée par les Etats-Unis.

B) Le pays dispose encore de nombre d’attributs de puissance

🡺 La France toujours au cœur du « concert des nations »

D’une part, au plan géostratégique, la France dispose de deux atouts statutaires d’une grande puissance : elle occupe un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU (avec un droit de veto, « privilège » qui a par exemple été utile lors de la crise irakienne en 2003) et elle dispose de l’arme nucléaire. 

🡺 De façon plus spécifique, la France dispose aussi, grâce à ses outre-mer du deuxième domaine maritime (zones économiques exclusives) du monde.

🡺 D’autre part, en termes de PIB nominal, la France demeure la 6ème ou la 7ème puissance économique de la planète, ce qui lui réserve une place dans toutes les enceintes où s’ébauche la gouvernance nouvelle de la mondialisation (G7, G20).

Le poids de la France est aussi servi par la structure de son économie : existence de grands groupes de taille mondiale, forte présence dans des secteurs hautement stratégiques comme l’aéronautique et le spatial (Ariane et le centre de Kourou sont d’abord des atouts français mis à disposition de l’Europe), l’énergie nucléaire (civil et militaire) et l’armement.

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