Le Bourgeois gentilhomme, 1670, Acte V, scène 7 / Molière
Fiche de lecture : Le Bourgeois gentilhomme, 1670, Acte V, scène 7 / Molière. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar darklordlox • 8 Janvier 2022 • Fiche de lecture • 1 588 Mots (7 Pages) • 1 211 Vues
LaL n°3 : Le Malade imaginaire, III, 10
TOINETTE, en médecin, ARGAN, BERALDE
TOINETTE. Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fièvrottes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine: c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe; et je voudrais, monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes et l'envie que j'aurais de vous rendre service.
ARGAN. Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
TOINETTE. Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ah ! je vous ferai bien aller comme vous devez. Ouais ! ce pouls-là fait l'impertinent ; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?
ARGAN. Monsieur Purgon.
TOINETTE. Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?
ARGAN. Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.
TOINETTE. Ce sont tous des ignorants. C'est du poumon que vous êtes malade.
ARGAN. Du poumon ?
TOINETTE. Oui. Que sentez-vous ?
ARGAN. Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE. Justement, le poumon.
ARGAN. Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.
TOINETTE. Le poumon.
ARGAN. J'ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE. Le poumon.
ARGAN. Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE. Le poumon.
ARGAN. Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'étaient des coliques.
TOINETTE. Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?
ARGAN. Oui, monsieur.
Correction analyse III, 10
La confrontation est préparée dès la III, 2. Béralde, le frère sage d'Argan, rencontre Toinette pour empêcher le mariage forcé entre Angélique et Thomas Diafoirus. Tous deux s'entendent pour faire tout leur possible. Si Béralde tente de convaincre Argan par la dialectique, Toinette, dans la grande tradition du valet, prépare "un tour" ("j'ai résolu de jouer un tour de ma tête", III, 2).
Ce tour est d'ailleurs qualifié d'"imagination burlesque" (III, 2). Le terme burlesque signifie "grotesque", "saugrenu", "farcesque" Il est employé pour marquer un renversement des valeurs. C'est d'autant plus le cas que la pièce est jouée pendant la période de carnaval, période durant laquelle la société renverse provisoirement les hiérarchies sociales par le jeu du déguisement. Une telle expression de Toinette suggère un comique farcesque, trivial et un jeu exagéré.
Le tour est rendu possible par la démission de Monsieur Purgon, qui a rompu commerce, le médecin attitré d'Argan. Toinette jouera le rôle du médecin qui manque désormais à son maître.
III, 9 : Toinette prépare l'entrée en scène du médecin. Je ne le connais pas mais il me ressemble comme deux gouttes d'eau. Le jeu portera sur la mystification d'Argan par sa servante, dans un comique outrancier.
- Une critique de la médecine et surtout des médecins
1. Une mise en abyme farcesque qui ridicule la médecine et les médecins
La présentation des personnages nous annonce une mise en abyme. Toinette joue le rôle d'un médecin, dont elle porte l'habit (didascalie initiale). Ce médecin est outrancier, farcesque. Il ne doit pas révéler son identité malgré la ressemblance, et pour cause, à Toinette.
- Un médecin inconnu d’Argan
- La servante use donc d'un biais grossier et comique : "médecin passager", dans une tournure généralisante par l’épithète « passager », et dont on insiste sur l'itinérance à travers une énumération ternaire et une gradation ascendante (de ville à royaume). L’objectif est de détourner Argan de ses soupçons et qu’il soit ainsi pris au piège.
- La ridiculisation de l’orgueil des médecins :
Toinette, pour que sa ruse fonctionne, cad éloigner Purgon d’Argan, doit se montrer plus « attirant » que lui. Aussi l’objectif de cette tirade est de provoquer l’admiration d’Argan en faisant l’éloge de ses talents médicaux.
- Toinette annonce dans un premier temps les raisons pour lesquelles elle exerce : La fin de la première phrase annonce ces buts (2x C.C. de but, avec anaphore de « pour »). Toinette cherche des malades à sa mesure, et pour cela utilise des termes laudatifs : la périphrase « illustres matières » (= patients), « dignes », « grands et beaux ».
- Mais les buts exprimés parodient surtout l’orgueil des médecins, car il ne faut pas comprendre que ce sont les malades qui sont illustres, mais les médecins eux-mêmes par le pouvoir dont ils disposent. Il s’agit d’une hypallage. Aussi la première phrase met trois fois en valeur la 1e p. sg en la plaçant après chaque référence au patient : dans le COS « à ma capacité », dans le CDN « dignes de m’occuper » et enfin dans la PSR rejetée en fin de phrase (que j’ai trouvés).
- Toujours dans le but d’épater Argan, Toinette développe le thème de la maladie de façon très hyperbolique : Toinette fait se suivre deux accumulations de maladies qui s’opposent de façon antithétique. Les maladies sans importance d’abord, dénigrés comme le montre l’emploi d’un lexique péjoratif (dédaigne, menu fatras, ordinaires, bagatelles voire le néologisme « fiévrottes ») : chaque maladie est qualifiée par une expansion du nom qui la minimise. La seconde énumération est l’inverse de la première, le lexique devient mélioratif avec la répétition de l’adjectif « bon ».
- Les deux énumérations sont suivies par l’acmé de cette longue phrase, un parallélisme (c’est là que) qui insiste (répétition du présentatif « c’est » + gradation ascendante des verbes) sur la qualité de la médecine de Toinette, parodiant une fois encore l’orgueil de la médecine.
- L’opposition des deux énumérations est renforcée par un jeu de scène que l’on perçoit à travers la tirade (= didascalies internes) : la répétition du démonstratif « ces » devient un déictique, comme un doigt pointé vers des maladies bénignes qu'il dénigre, à l’opposé de la répétition de « bonnes » qui marquerait un geste enthousiaste de la part de Toinette.
- La mise en scène du pouvoir des médecins sur leurs malades :
- La fin de la tirade repose sur le principe de surenchère afin d’impressionner Argan : accumulation de termes techniques (avoir le lexique = être médecin, l’habit fait le moine, proverbe d’ailleurs détourné par Béralde un peu plus tôt). Il s’agit de critiquer l’incompétence des médecins qui cachent leur ignorance/incompétence derrière un registre très savant.
- En outre la surenchère propose des maladies de plus en plus graves, une gradation ascendante qui mène à l’évocation de la mort du patient (énumération ternaire avec gradation ascendante: abandonné, désespéré à l’agonie). On imagine le contraste comique entre une Toinette survoltée et Argan terrifié à l’idée d’être atteint d’une telle maladie.
2. Une auscultation farcesque
- Un Argan qui manque encore de conviction :
- La réaction d’Argan est polie (je vous suis obligé) mais ne traduit pas l’empressement du malade à accepter Toinette comme médecin. Argan ne souligne que « les bontés » et non les soins et le secours apportés par ce nouveau médecin. Tout semble traduire la méfiance du psg. Toinette doit donc joindre le geste à la parole pour mener son stratagème à bien.
- L’incompétence du médecin, le comique de geste :
- Aucune didascalie ne nous donne d'indications de jeu, cependant la réplique de Toinette suggère encore une fois l'exagération farcesque. Elle réclame son bras à Argan de façon ostentatoire (donnez-moi : impératif impérieux + "votre pouls" : synecdoque qui sous-entend que c'est le bras qu'elle cherche).
- S'ensuit une parodie de combat entre le faux-médecin et le bras d'Argan (interjection + expression relâchée "ouais" + références au combat "allons donc", "battre").
- L'on remarque toutefois que, même parodiée, cette scène suit les étapes d'une consultation telle qu'elles existent au XVIIe siècle.
- L’incompétence du médecin : le comique de mots
- L'auscultation se poursuit sur un rythme enlevé. Les répliques s'enchaînent (questions/réponses, comme une auscultation traditionnelle) mais très rapidement, comme le montre la suite de stichomythies. Toinette prend le dessus sur Argan.
- Toinette règle ses comptes avec Purgon en le dénigrant (périphrase péjorative « cet homme-là » et Purgon n’est pas qualifié de confrère) sans ménagement. N’oublions pas qu’il s’agit de l’objectif du stratagème : guérir Argan de sa folie en éloignant ces médecins.
- L'effet de surprise vient alors du diagnostic fait par le faux-médecin "le poumon", absurde pour le public qui, depuis le début de la pièce, sait qu'Argan souffre du foie. En outre cette réponse surprenante est l'objet d'un comique de répétition. Cette scène a pour but premier de faire rire le spectateur.
- L’extrait s’achève sur la fin de la gradation descendante (du haut du corps vers le bas), développant un comique trivial typique de la farce : la référence au ventre, et par synecdoque des intestins, le lien est d’ailleurs fait directement par Toinette dans la PSCirc conjonctive de comparaison (comme si c’étaient des coliques ?)
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