Commentaire Choses Vues (1838) Victor Hugo
Commentaire de texte : Commentaire Choses Vues (1838) Victor Hugo. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Mathéo Wagner • 11 Mai 2022 • Commentaire de texte • 2 615 Mots (11 Pages) • 1 840 Vues
Le récit autobiographique est un exercice apprécié, notamment par les auteurs réalistes, par sa représentation fidèle du réel et par le témoignage rapporté d’une époque. Le réalisme a donc une visée analytique des problèmes sociaux et de compréhension des comportements de ses contemporains. Dans cet extrait, de Choses vues (1838), Victor Hugo se rend à la Chambre des Pairs à Paris. Cependant, sur son chemin, il voit un homme condamné pour vol être mené à son châtiment. Le condamné est alors confronté à une riche femme qui, au contraire de l'homme, ne le voit pas. Nous pouvons ainsi, légitimement, nous demander en quoi le récit est-il orienté vers la dénonciation des inégalités sociales ? Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la particularité du texte qui prend une forme de récit allégorique. Nous verrons, dans un second temps, que la scène relatée dans cet extrait est autobiographique.
La scène met en relation des éléments concrets avec certaines caractéristiques abstraites, nous pouvons ainsi la qualifier d’allégorique.
Tout d’abord cette portée allégorique se traduit par deux descriptions opposées et symboliques. En effet, l’auteur dépeint le portrait des deux protagonistes. Il utilise plusieurs compléments du nom « homme » pour décrire celui-ci tels que : « blond, pâle, maigre, hagard (…) », cette énumération succincte d’adjectifs qualificatifs permet au lecteur d’avoir une image générale de l’homme présenté. Victor Hugo ne s’arrête pas à un portrait grossier de l’individu, mais juxtapose des éléments de description grâce à l’emploi d’une multitude de virgules ou de points-virgules, en utilisant exclusivement des groupes nominaux excluant ainsi tout verbe, ce qui donne une grande vivacité à la peinture de l’auteur : « un pantalon de grosse toile (…) », où seul le nom commun « pantalon » est complété par son expansion : « de grosse toile » ; la juxtaposition de tous ces groupes nominaux par l’emploi d’une ponctuation particulière alourdit grandement la syntaxe de la phrase appuyant ainsi la description faite. De plus, il procède à une représentation méthodique de l’homme, en commençant par le bas, comme pour mettre en relief son origine sociale assurément basse, c’est-à-dire par ses « pieds nus et écorchés », en passant par sa « blouse » et pour finir sur sa « tête nue et hérissée ». Cette utilisation excessive d’expansions du nom « homme » confère au portrait un réalisme évident par une grande précision. Hugo va encore plus loin pour nous donner une image très travaillée et exacte en opposant deux portraits bien différents : celui de l’homme inspirant pauvreté et misère comme nous le reflète parfaitement le champ lexical associé : « maigre », « souillée », « écorchés » contrastant avec celui d’une femme ravissante comme le souligne la gradation d’adjectifs qualificatifs : « fraîche, blanche, belle, éblouissante » ; qui brille par sa grande richesse comme nous le prouve l’accumulation ternaire : « les rubans, les dentelles et les fourrures » et sa joie démontrée par la proposition relative : « qui riait et jouait (…) » et les groupes nominaux : « en chapeau rose (…) » qui la complètent. Nous remarquons que pour la description de la « duchesse », Hugo fait le choix de la décrire, contrairement à l’homme, en partant du haut de son corps : « chapeau rose », comme pour soutenir sa haute origine sociale. Le parallélisme dans la construction du portrait ne fait qu’accentuer la distance présente entre les deux personnages en opposant misère et richesse.
Le fossé entre la représentation personnifiée de la fortune et de la pauvreté ne fait que de se creuser plus largement par le jeu des regards qui prend place entre les deux protagonistes et l’auteur. D’abord, dans la phrase liminaire de l’extrait nous retrouvons : « Je vis » ; le verbe « voir » est ici conjugué au passé simple pour son aspect bref d’action unique et terminée dans un récit écrit à l’imparfait pour mettre en relief cette première prise de contact visuel entre l’écrivain et l’homme. Plus loin dans le texte, le deuxième jeu de regards se met en place entre le misérable et la duchesse : « Le regard fixé sur cette voiture (…) » où le participe passé de « fixer » démontre le grand intérêt de l’homme pour « cette voiture », représentative de la richesse de la duchesse. Ce regard persistant pour la femme en face de lui, prouve que le malheureux éprouve une sorte d’envie irrésistible mais impossible de se rapprocher de la richesse, d’y ressembler, et d’y goûter. Cette insistance attire même le regard de Hugo comme le souligne le pronom possessif : « le mien » dans « attira le mien » ; l’auteur est ici comme spectateur et rapporteur de la scène. Ensuite, l’écrivain indique que : « Cette femme ne voyait pas l’homme terrible qui la regardait » avec le verbe intransitif « voir » employé avec une négation totale, « ne (…) pas » caractéristique de la négation totale, indique ici le mépris total de la femme, encapsulée dans une sphère de richesse et de bonheur, imperméable à la misère et le malheur du monde qui, lui, « la regardait » avec une insistance toute particulière, résonnant comme un appel à l’aide désespéré de la basse société. De plus, la rupture typographique de cette phrase remplissant à elle seule le rôle de paragraphe ne fait qu’accroître la distance, la considération misérable, et le dédain de la Haute société face au pauvre peuple. Nous comprenons aisément que ce jeu des regards entre l’homme symbole de misère, la femme représentant la fortune et l’écrivain faisant office de rapporteur a une portée symbolique importante.
La visée allégorique de l’extrait provient, en partie, de la portée symbolique de ce texte qui se caractérise d’une part par des regards critiques de la société mais aussi par d’autres procédés stylistiques d’autre part. Ainsi l’auteur fait le choix de séparer la description du pauvre homme et de la riche duchesse en deux paragraphes distincts (lignes 7 et 8) opposant ainsi les deux protagonistes par un fossé social abstrait et par un blanc typographique concret assumant donc pleinement cette fracture entre deux mondes totalement éloignés. En outre, nous remarquons un parallélisme syntaxique entre : « deux soldats » qui emmènent l’homme à son châtiment et les « deux laquais » au service de la duchesse, nous avons l’adjectif numéral « deux » auquel s’ajoute les noms communs complétés : ce parallélisme symbolique ne fait que confirmer la division sociale avec les « soldats » pour le petit peuple et les « laquais » pour la bourgeoisie et la noblesse ; le texte est construit sur une structure binaire opposant richesse et pauvreté comme le reflète parfaitement le contraste entre la « blouse courte, souillée de boue » et « l’intérieur tapissé de damas bouton d’or », boue et or sont deux termes imageant de la manière la plus claire l’écart séparant pauvreté et fortune. En addition, Hugo déshumanise complètement l’homme comme nous le montre : « Cet homme n’était plus pour moi un homme » ici, l’adverbe de négation « plus » nous indique que cet individu a été, jadis, humain mais que maintenant, il n’était plus que « le spectre de la misère » : il y a ici une transposition entre l’abstrait et le concret, la misère est personnifiée par le corps du condamné tandis que le condamné lui devient l’allégorie de la misère. De plus, l’auteur utilise une antiphrase : « l’apparition (…) lugubre, en plein jour, en plein soleil (…) », lugubre vient du latin lugubris qui veut dire : en deuil, funèbre, misérable ; « en plein jour » et « en plein soleil » sont reliés par un parallélisme syntaxique : il y a donc encore une opposition entre le malheur de la mort et le bonheur de la vie représenté par le « jour » et le « soleil ». L’auteur associe ainsi la notion de malheur avec celui de pauvreté et celui de bonheur avec celui de richesse par la puissance des symboles ce qui confère au texte une dimension allégorique certaine.
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