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Commentaire de texte sur Nietzsche, La Généalogie de la morale, paragraphe 6 de la Troisième dissertation

Fiche de lecture : Commentaire de texte sur Nietzsche, La Généalogie de la morale, paragraphe 6 de la Troisième dissertation. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  19 Avril 2024  •  Fiche de lecture  •  2 030 Mots (9 Pages)  •  136 Vues

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Boussac Lilou T°A

Commentaire de texte sur Nietzsche, La Généalogie de la morale, paragraphe 6 de la Troisième dissertation

        Qu’est-ce que le beau ? Question soulevée mainte fois par les philosophes, et ce, depuis l’antiquité, et qui n’admet pas de réponse univoque. L’art manifeste le désir humain de créer du beau, l’art, au sens antique du terme (tekhnè en grec) est synonyme de technique, de savoir-faire de l’artisan. Bien qu’il ne soit pas réellement possible de définir l’art en tant que tel, il est possible de lui trouver une fonction, comme susciter une sensation agréable par exemple. Cependant, est-il possible que l’art détienne une objectivité, que le beau ne procure aucune inclination ? Ce point de vue abordé par Kant où le beau est vu comme un Idéal ascétique, Nietzsche tente de le déconstruire, à travers cet extrait du sixième paragraphe de la "Troisième dissertation”  de La Généalogie de la morale. Peut-on donc affirmer que le beau ne suscite aucun intérêt ? La définition kantienne du beau, énoncé comme un précepte, n’admet-elle pas de faille ? Comment certifier le caractère impersonnel que suscite l'œuvre sur le spectateur ? Qu’en est-il du point de vue de l’artiste, à la fois créateur et spectateur ? 


        En premier lieu, Nietzsche s’attache à reconsidérer la vision de Kant sur l’idée même du beau. En effet, ce dernier définit le beau, dans sa première partie de la Critique de la faculté de juger, comme “ce qui  est représenté, sans concept, comme l’objet d’une satisfaction universelle”, d’où les deux prédicats susnommés : impersonnalité et universalité. En effet, pour Kant, le jugement de goût, c'est-à-dire, la faculté de juger si une œuvre est belle ou laide, s'apparente à un jugement de fait, de telle sorte que qualifier une œuvre de “belle” revient à attribuer à cette œuvre une qualité immuable, intrinsèque, de même que l’on qualifie une peinture d’huile sur toile ou d’aquarelle : ce n’est pas un point réfutable du tableau, c’est un fait. En qualifiant une œuvre de la sorte, (“c’est beau”), l’on sous-entend que cette qualité est visible et attribuable par l’ensemble des individus, elle est en ce sens universelle : il n’y a qu’un seul bon goût.

        Qui plus est, le beau n’admet pas de concept (concept, venant du latin concipere, “admettre de sa pensée”), en d’autre terme, le beau, qui n’est pas assimilable à l’agréable (sentiment de plaisir purement subjectif, suscitant un intérêt sensitif pour l’individu), ne provient pas de l’entendement. Nietzsche, bien que qualifiant assez explicitement cette vision de la chose belle (universelle et sans concept) comme assez invraisemblable, s’attache tout d’abord à souligner l’erreur qu’à commis Kant dans sa méditation sur la question de l’art et du beau. Ce dernier a, pour Nietzsche, omis un élément dans sa réflexion, et non le moindre : le point de vue créateur du dit “beau”. En ne se focalisant que sur le spectateur, Kant a fourni une définition du beau alors erronée, en incluant le spectateur lui-même dans ce concept et faisant abstraction de l’expérience même de l'artiste. Ce qui est beau, ou ce qui ne l’est pas, est donc définie à partir d’une vision extérieure de l'œuvre uniquement, celle du spectateur donc, et non sur une vision globale, sur l’ensemble des perspectives, qui fonde l'œuvre. Cette définition englobe ainsi plus le spectateur que l'œuvre en elle-même, que son processus de création. On ne peut donc résumer une œuvre par sa seule vue extérieure, distanciée et détachée de cette dernière, il n’est pas possible de définir le beau seulement par le ressenti de celui qui le regarde.

        D’autant plus que le problème ne réside pas seulement dans le point de vue abordé par Kant au sujet de la définition du beau, qui est donc l’unique vision du spectateur sur la création artistique, mais surtout par la méconnaissance de ce dernier, qui n’est pas nécessairement un être ascétique.

La réponse apportée au problème esthétique proposée par Kant n’est donc pas valable. Outre l’omission, volontaire ou non, de l’expérience de l’artiste dans le processus créatif aboutissant au “beau”, Nietzsche souhaite également démontrer que cette définition erronée de la beauté se base de facto par une méconnaissance du sujet étudié, le dit spectateur. Ici, Nietzsche se place à l'antipode de Kant quant à vision de ce dernier. Alors que Kant imagine l’individu comme un être parfaitement froid et impersonnel, Nietzsche souhaite mettre en exergue le point suivant : si, Kant et autres théoriciens du beau avaient pris le temps d’observer, d’analyser un individu observant une œuvre d’art, peut-être auraient-ils reconsidéré leur description du beau. Ce que Nietzsche tente de démontrer, comme le feront plus tard les sociologues tel que Bourdieu de manière plus détaillée, c’est qu’il est impossible de scinder le sujet de ses sentiments, de ses désirs, de ses expériences personnelles, en somme, ce qui le définit, ce qui fait qu’un individu est sa propre personne, dotée de qualités sensibles, et non une machine indistinguable de son prochain. On ne peut, en effet, en prenant en compte l’ensemble des caractéristiques constituant un individu, définir le beau comme un sentiment subjectif universel.

Par exemple, Bourdieu cite l’importance de la classe sociale, comme un facteur déterminant dans l’appréciation du beau : « l'universalisme esthétique, dont Kant a donné l'expression la plus pure dans une interrogation sur les conditions de possibilité du jugement de goût passe sous silence les conditions sociales de possibilité de ce jugement ». Le goût est un habitus qui s’ignore, dans le sens où, la capacité d’appréciation d’une œuvre artistique dépassant le stade de “l’agréable” est le signe d’une appartenance à une position privilégiée dans la société, exempte de toutes contraintes économiques nécessaire à l’acquisition d’un total désintérêt pour l’œuvre artistique. Le goût est le produit d'un déterminisme social permettant de se distinguer, il est donc loin d’être universel ou innée, il s’acquiert en fonction de l’éducation reçue, en l'occurrence, dû à une position élevée au sein de la société. Certes, Nietzsche ne va pas aussi loin dans sa réflexion, mais il souligne néanmoins que l’individu ne peut rester indifférent face à une œuvre, et que ces expériences face à l’art sont pour chacun singulières, puisque notre rapport à ce dernier relève de nos expériences personnelles, et ne laissent le spectateur non point indifférent, bien au contraire : la confrontation à l’art est une expérience sensible extraordinaire, remarquable. De plus, si l’on analyse le mot esthétique (théorie de l’art et du beau), l’on remarque que sa racine grecque, aisthesis signifie “sensation” : il semble alors contre intuitif, de vouloir supprimer le caractère sensible que produit l’art. Ainsi, cette méconnaissance, voire cette absence d’expérience en tant que spectateur du beau a conduit ces philosophes à élaborer une définition si impersonnelle quant à l’appréciation d’une œuvre d’art qu’il est difficile, pour Nietzsche qui accorde autant d’importance au sentiment dionysiaque qui se rapporte à l’art, d’acquiescer à cette vision-là.

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