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Histoire du Droit: Rome, ou la maturation du droit

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Par   •  27 Mars 2017  •  Cours  •  28 414 Mots (114 Pages)  •  701 Vues

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DEUXIÈME PARTIE :

ROME

ou LA MATURATION DU DROIT

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        Dès l’origine, le destin de Rome s’ouvre sous de tragiques auspices : le fondateur légendaire Romulus tue son frère Rémus. Les Romains appréhenderont dans ce meurtre fratricide le signe d’une menace latente toujours suspendue sur leur cité : les passions, les violences, les guerres civiles, sont prêtes à s’y déchaîner si une stricte morale ne vient contenir, au moins chez ses dirigeants, cette funeste propension. Horace le poète le reconnaît : « Un dur destin, le meurtre criminel du frère, pèse sur les Romains ». Aujourd’hui, les anthropologues mythologues ont montré que, dans de nombreuses civilisations, l’éclosion de la violence est marquée par un fratricide dont l’exemple le plus fameux est, dans l’Ancien Testament, l’assassinat d’Abel par son frère Caïn, l’ancêtre de la race humaine.

        Mais il faut remarquer ici la justification supérieure malgré tout donnée à Romulus : il punit son frère qui ne veut pas respecter les présages manifestant la volonté des Dieux : dans la mentalité romaine l’usage de la force est légitimé, politiquement et religieusement sinon moralement, si elle prétend faire respecter un ordre supérieur, à terme pacificateur, une Pax (qui est dite Pax Deorum lorsqu’il s’agit, comme ici, de l’entente entre les hommes et les divinités).

        Ainsi apparaît la préoccupation qui restera sous-jacente chez les Romains les plus éminents : comment utiliser la violence sans être pour autant entraîné par son impulsion dans la démesure, le mépris de toute règle morale. Les Romains se méfient de la Furor, cet instinct incoercible de destruction nécessaire à l’agressivité. Certes, le guerrier doit en être possédé pour se projeter hors de lui-même dans le combat, mais ce déchaînement viscéral risque, après la bataille, de menacer l’ordre pacifique de la cité dans sa vie normale. Aussi les soldats revenant de la guerre doivent-ils se débarrasser, se laver de cette brutalité ambiante lorsqu’ils reviennent à la vie civile. C’est l’origine de la fameuse cérémonie du Triomphe qui initialement constitua un rite collectif de purification. La couronne de lauriers du général victorieux est d’abord un moyen religieux, pour annuler les violences qu’il a ordonnées et qui seraient en temps de paix attentatoires aux prescriptions éthiques habituelles. (Mais, plus tard, avec la banalisation des guerres et de leurs cruautés, cet attribut lauré deviendra le symbole de la gloire militaire puis impériale).

        Sur un plan plus abstrait, l’illustre maxime de Cicéron (– 106 – 43) « Cedant arma togae », littéralement « que les armes le cèdent à la toge », témoigne aussi de cette volonté romaine traditionnelle de subordonner l’emploi des armes, donc de la violence, à une autorité civile supérieure qui assigne aux légionnaires le but politique qui justifie leur combat. Mais il est pathétique que ce soit  Cicéron, future victime d’une terreur politico-militaire, qui cisèle pour l’éternité cette formule, au moment où la vieille République disparaît sous les coups des légions dévoyées par les ambitieux. Il est significatif cependant que tous les empereurs, même issus d’un coup de force des légions, prétendront, hommage parfois du vice à la vertu, détenir leur pouvoir suprême, leur Imperium, d’une délégation régulière des souverains putatifs de Rome, le peuple et le Sénat. En théorie, à Rome, cité du droit, il ne peut y avoir de véritable autorité publique sans une légalité impersonnelle et transcendante. Dans cette perspective éminente, certains proposent de traduire, dans son esprit, l’adage cicéronien par « que la force le cède au droit, à la légalité ». C’est marquer que la contrainte, parfois nécessaire, ne peut trouver en elle-même sa propre finalité autonome, qu’elle ne peut se justifier que si elle reste un instrument pour imposer à terme un ordre durable fondé sur des principes moraux que l’on assimilera bientôt à la civilisation que Rome, selon sa mission providentielle, doit étendre et défendre.

        Mais Rome s’emparant d’un gigantesque empire tout autour du bassin méditerranéen est encore menacée, travaillée par un autre danger, venant cette fois de son peuple. Tous les citoyens, même appauvris, prolétarisés, veulent profiter eux aussi, à leur niveau, de ces conquêtes et des formidables richesses qu’elles drainent en Italie. Cette plèbe, dans la nouvelle acception très péjorative que lui donnent alors les moralistes, c’est-à-dire une populace désœuvrée, exige « panem et circenses » « du pain et des jeux » selon l’expression fameuse de Juvénal. Depuis la fin de la République, les politiques ambitieux et démagogues, puis les empereurs, lui font obtenir des distributions massives de denrées alimentaires et des jeux de plus en plus grandioses. A l’apogée de l’Empire, les arènes du Colisée comportent 50 000 places assises et autant debout ; le Circus maximus (« le plus grand cirque ») peut accueillir 250 000 personnes autour de sa piste de 600 mètres de long et de 200 de large (cf. le film Ben-Hur) : voyeurisme et sadisme s’y déchaînent, et les spectateurs se délectent des sanglants combats de centaines de gladiateurs, ou du festin anthropophage des fauves dévorant les condamnés.

        Les historiens d’aujourd’hui analysent cette orgie de cruautés comme une sorte de dérivatif, de compensation, « d’opium du peuple » en quelque sorte (selon le mot bien connu de Karl Marx à propos des religions), offert par les dirigeants pour acheter en contrepartie la passivité du peuple, qui ne cherche plus à retirer de sa qualité de citoyen que des avantages matériels et grossiers, en oubliant complètement la participation civique aux affaires publiques. C’est « l’abdication pratique du peuple en théorie souverain » selon la formule du grand historien André Aymard au milieu du vingtième siècle. D’autre part, ces historiens ont aussi montré que, contrairement à ce que pourrait laisser croire le tableau désespérant brossé par les moralistes romains, de nombreuses couches populaires urbaines restent actives sous l’Empire, et gagnent par elles-mêmes leurs subsistances habituelles, par exemple dans l’artisanat ou le commerce. Enfin, les couches supérieures sont également contaminées par ce matérialisme et cette bestialité. Pétrone dans le Satyricon (dont a été tiré une adaptation cinématographique fameuse) montre, sous Néron, la dépravation d’une haute société devenue scandaleuse en abusant de ses richesses colossales.

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