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Devons-nous fonder notre morale sur la raison ?

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Par   •  19 Novembre 2016  •  Dissertation  •  3 085 Mots (13 Pages)  •  1 023 Vues

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Devons-nous fonder notre morale sur la raison ?

Dans le Ménon, un dialogue écrit par Platon, Socrate s’étonne que nous sachions reconnaître les hommes vertueux, mais que nous ne soyons pas capables de donner une définition satisfaisante de la vertu. Est-ce à dire que la vertu relève surtout d’une pratique qui n’a pas à être fondée sur des principes intelligibles ?

Ce problème peut être généralisé. Nous avons tous un sens moral, des valeurs morales, des interdits moraux, des intuitions morales. Selon les personnes, les groupes sociaux ou les époques, ces morales, plus ou moins particulières, plus ou moins singulières, varient. Par exemple, l’avortement sera immoral pour certains quand d’autres n’y verront aucun problème. Nous avons donc, de fait, une morale, mais cette morale est-elle fondée en raison ? Une morale fondée en raison ne devrait-elle pas être universelle, et non pas relatives aux individus, aux sociétés ou aux époques ? Si nous ne sommes pas capables de donner immédiatement un fondement rationnel à nos jugements moraux, ne devrions-nous pas nous mettre en quête de ce fondement ? Bref, devons-nous fonder notre morale sur la raison ?

D’un côté, il peut sembler désirable, voire nécessaire, de fonder la morale sur la raison. En effet, l’effort de fonder notre morale sur la raison ne nous permet-il pas d’entretenir un rapport critique à notre morale particulière et de progresser vers un universalisme moral, de dépasser le relativisme moral? Mais d’un autre côté, si notre morale fonctionne en pratique, est-il si nécessaire de nous mettre en quête d’un fondement théorique rationnel ? Est-il possible de trouver un principe rationnel à partir duquel dériver de façon cohérente notre morale dans sa complexité? Ne risquons-nous pas, à essayer de fonder la morale sur la raison, de perdre de vue la (ou les) véritables origines de notre morale ? Il y a ainsi une tension entre l’exigence d’universalité qui caractérise un fondement rationnel et la particularité de notre morale. Ainsi serons-nous amenés à nous demander si la difficulté qu’il y a à trouver un fondement rationnel de notre morale est une raison suffisante pour ne pas essayer d’en trouver un, ou du moins, de chercher les meilleures justifications rationnelles possibles à nos positions morales, quitte à mettre à mal nos convictions morales.

Il n’est pas obligatoire de fonder notre morale sur la raison, car la morale est plus affaire de pratique que de théorie.

Fonder sur la raison, c’est donner un principe ou des principes universellement valables qui permettent de justifier rationnellement nos jugements moraux. Or notre morale est déjà opératoire, quand bien même nous ne disposons pas de ces fondements. Donc on peut penser qu’il est inutile pratiquement de chercher ces fondements (même si cela peut être intéressant théoriquement). On peut développer cet argument en identifiant la morale à une forme de compétence pratique, de savoir-faire ou de savoir-être qui s’acquiert plus par la pratique et l’exercice que par le raisonnement et la démarche théorique de fondement. De la même façon que savoir nager suppose de se mettre à l’eau, savoir se comporter vertueusement dépend plus d’exercices que d’études théoriques. C’est tout le propos de la théorie des vertus, initiée par Aristote dans L’éthique à Nicomaque. Le principal devoir moral est de devenir vertueux, et non pas de fonder une théorie morale.

De plus, une vertu se définit moins comme un devoir moral que comme un trait de caractère bénéfique à conquérir par l’exercice. Et la vertu s’exerce toujours dans des situations particulières où il faut trouver la voie vertueuse, définie par Aristote comme la voie moyenne entre deux vices, comme médiété. La généralité d’un principe rationnel ne nous dispensera jamais de cet exercice de jugement. Il faut être courageux, mais dans telle situation, le courage est-il dans le combat ou la fuite ? Ainsi, l’exercice de la vertu n’exclut pas le raisonnement, la prudence, la sagacité. Mais ici, la tâche de la raison n’est pas de fonder la morale, de chercher des principes universellement valables. Elle est plutôt d’évaluer la situation et d’adapter nos actions aux fins qui nous semblent désirables.

Essayer de fonder la morale, ce serait donc essayer d’introduire dans nos pratiques morales une rigueur qui ne convient (et encore, cela se discute) qu’aux démarches théoriques. C’est en ce sens qu’Aristote dit, au début de L’éthique à Nicomaque, que c’est la marque d’un esprit éduqué de ne pas exiger plus de rigueur d’un domaine de l’activité humaine que ce domaine n’est capable d’en offrir. En somme, si l’on estime que la morale est plus affaire de pratique que de théorie, alors le plus urgent n’est pas d’essayer de fonder rationnellement la morale, mais de devenir moral.

De plus, il est peut être impossible et dangereux de fonder notre morale sur la raison étant donnée l’origine ou les origines de notre morale.

En effet, nous pouvons nous demander s’il est possible de trouver de pareils fondements. On constate que de nombreux candidats au rang de fondement de la morale échouent à fonder notre morale, au sens où ils ont clairement des conséquences qui contredisent nos intuitions morales les plus profondes. Dans ce cas là, nos intuitions morales factuelles invalident ces prétendus fondements. Par exemple, lorsque les utilitaristes comme Bentham ou Mill donnent comme fondement de la morale la recherche du bonheur du plus grand nombre, ils se heurtent au fait que le sacrifice d’un innocent pourrait alors être justifié moralement (par exemple, si les organes de l’individu sacrifié permettent de sauver de nombreuses vies). Or notre morale nous dit qu’il est immoral de sacrifier un innocent, quand bien même ce sacrifice fait le bonheur du plus grand nombre. Ici, l’intuitif (la saisie immédiate d’une vérité, sur le mode de l’évidence) l’emporte sur le discursif (la déduction d’une vérité à partir d’un raisonnement fondé rationnellement). De la même façon, on peut tenter de fonder notre morale sur des principes moraux à respecter inconditionnellement. Mais là encore, il y a sans doute toujours des circonstances dans lesquelles il devient immoral de s’en tenir à ses principes, aussi fondés soient-ils. Ce conflit entre différentes théories morales, qui toutes ont leur cohérence et toutes leurs limites, est d’ailleurs un argument qu’emploie MacIntyre, un partisan moderne de l’éthique des vertus, pour justifier l’idée qu’il est vain d’essayer de fonder

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