Toute vérité est-elle scientifique ?
Dissertation : Toute vérité est-elle scientifique ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Arthur M-Stintzi • 23 Mars 2017 • Dissertation • 2 462 Mots (10 Pages) • 3 212 Vues
« La vraie figure de la vérité, écrit Hegel, se trouve posée dans la scientificité1 ». Mais si la vérité scientifique peut être considérée comme la forme achevée de la vérité ou comme sa « vraie figure », elle n’en est pas la seule et il serait sans doute réducteur de refuser de considérer comme vrais tous les jugements que nous sommes capables de porter hors du contexte des connaissances proprement scientifiques. Nombreuses sont en effet les situations où, hors de toute référence à une quelconque connaissance scientifique, nous prenons conscience d’une erreur, d’une illusion ou d’un mensonge dont nous avons été ou pourrions être victimes, faisant ainsi l’expérience d’une vérité que nous ne songeons guère à soumettre au préalable d’une
connaissance scientifique souvent impossible ou tout simplement hors de propos.
Mais peut-on dire que ce à quoi nous accédons alors est bien « une vérité », au sens fort que nous donnons à cette expression lorsque nous attribuons à la vérité un caractère de permanence et d’indépendance du contexte de son énonciation2 ? Si l’on peut dire vrai hors du domaine de la science, peut-on pour autant « être dans le vrai » ou connaître une vérité digne de ce nom sans se soumettre aux conditions d’une démarche scientifique ? Mais il faut sans doute préalablement déterminer ce qu’il faut entendre par une telle démarche, et ce qui pourrait, à partir de là, rendre la vérité dépendante de la scientificité.
Lorsqu’on parle de « vérité scientifique », on entend généralement par là une vérité possédant un caractère de permanence, d’universalité et de nécessité (qui distingue un théorème de géométrie ou une loi de physique d’un énoncé comme : « il pleut »). Comme seul ce qui est démontrable semble pouvoir présenter ces caractères, on dira qu’une vérité scientifique est une vérité démontrée. C’est la définition qu’Aristote donne de la science : avoir la science de quelque chose, c’est être capable de la démontrer, et la science est une « disposition capable de démontrer3 ». C’est de là que résulte la nécessité des vérités qu’elle nous fait connaître (ce dont la vérité est démontrée ne peut pas, par définition, être faux), ainsi que leur permanence (résultant de leur nécessité4). Partant de cette définition de la science, et de la distinction nette avec l’opinion qu’elle permet de produire, on pourrait donner une double raison de réduire la connaissance de la vérité à la connaissance scientifique, et ainsi de penser que toute vérité est finalement scientifique : d’une part, seule une vérité scientifique est une vérité digne de ce nom (permanente et nécessaire), d’autre part, on ne peut prétendre connaître la vérité tant qu’on ne possède pas une démonstration qui la fonde comme telle, et qui nous fait échapper à la simple opinion (peut-on prétendre que c’est de « vérité » que l’on parle, tant qu’on ne fait que croire ?).
(a) Les titres entre crochets ne sont indiqués que pour faciliter la lecture du corrigé ; une dissertation, à l’épreuve écrite de philosophie du baccalauréat, ne doit pas en comporter.
1/3
Cette exigence de démonstration et de rationalité n’est cependant pas la seule condition de la scientificité. Si on laisse de côté, en effet, la logique et les mathématiques, et si l’on prend en considération les sciences qui visent à produire des connaissances dans un domaine d’objets déterminés, comme l’astronomie, la physique ou la biologie, c’est au moins autant l’épreuve de l’expérience que la rigueur de leur démonstration qui constitue la condition de leur scientificité. L’histoire des sciences nous montre, de ce point de vue, que la constitution des connaissances scientifiques n’est pas l’effet de raisonnements intemporels, mais d’un dialogue ininterrompu entre la raison et l’expérience, conduisant à penser toute théorie scientifique comme essentiellement provisoire et le vrai comme objet d’infinie approximation. Si donc la raison est à l’œuvre dans les sciences, c’est pour guider l’expérimentation et non pour établir, par voie démonstrative, des vérités échappant au temps. Mais cela, l’expérience ne le peut pas non plus. Comment en effet fonder sur l’expérience, toujours particulière, si répétés que soient les cas qu’elle nous présente, l’universalité d’une loi ? Hume a bien montré l’impossibilité d’une telle justification. Ainsi, une théorie scientifique, loin d’être une théorie démontrée ou vérifiée, se définit plutôt par sa capacité de rendre possible et de guider des expériences susceptibles de la remettre en question, par son caractère « falsifiable5 », par conséquent, plutôt que vérifiable. C’est ce qui en fait le caractère essentiellement provisoire. Mais si l’on admet cette définition de la scientificité par la falsifiabilité, et si l’on dissocie radicalement, par conséquent, comme le fait Karl Popper, les critères de la scientificité des critères de vérité6, comment continuer de soutenir que toute vérité est scientifique ? On ne peut pas même, dans cette perspective, affirmer avec assurance qu’il y a des vérités scientifiques. Tout au plus est-il permis de l’espérer, et de faire de la vérité l’horizon de la science. Quant aux connaissances scientifiques effectives, elles ne peuvent prétendre qu’à la « vérisimilitude7 ».
Mais n’est-ce pas là présupposer une conception de la vérité qu’une réflexion sur la nature de la connaissance scientifique pourrait contribuer à remettre en question ? L’héliocentrisme, on le sait, n’a été réellement démontré ni par Copernic (qui ne se fondait que sur la plus grande simplicité mathématique de sa description), ni même par Galilée (dont aucune expérience n’a réellement réussi à confirmer l’hypothèse copernicienne). Cela ne doit pas nous empêcher de dire que Galilée, en un sens, « était dans le vrai8 ». Il était dans le vrai au sens où l’héliocentrisme était l’hypothèse qu’il convenait d’adopter dans le contexte de la physique mathématique qu’il venait de fonder (et il ne faut pas entendre par là la simple fondation d’une nouvelle théorie physique, mais la fondation de la physique comme science, au sens moderne du terme, c’est-à-dire d’une connaissance de nature progressive, fondée sur le constant dialogue des mathématiques et de l’expérimentation). « Être dans le vrai », en ce sens, c’est s’exposer au risque de l’erreur, risque qui est aussi la condition de la rectification du vrai, et ainsi de son progrès. En ce sens, être dans le vrai, c’est tout simplement être dans la science,
...