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Le Tribunal de l’Union européenne

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Par   •  28 Décembre 2017  •  Commentaire de texte  •  2 732 Mots (11 Pages)  •  498 Vues

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L e Tribunal de l’Union européenne confirme l’amende record de 1,06  milliard d’euros infligée par la Commission européenne à Intel, pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché mondial des processeurs dits « x86 », composant essentiel de tout ordinateur tant pour les performances du système que pour son coût global (Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, n° C (2009) 3726, aff. COMP/C-3/37.990 – Intel). Le Tribunal confirme en l’espèce la plus forte amende jamais imposée à une entreprise, plus du double de celle infligée dans le même secteur d’activité à Microsoft en 2004. Cette affaire ancienne a été déclenchée en 2000 suite à une plainte d’AMD, concurrent quasi-unique d’Intel sur ce marché. La Commission européenne avait caractérisé une infraction unique couvrant la période 2002-2007 par laquelle Intel aurait mis en œuvre une stratégie d’éviction de ses concurrents à travers deux séries de pratiques : – La première consistait pour Intel à mettre en place un système tarifaire auprès des quatre principaux fabricants d’ordinateur (de 2002 à 2005 pour Dell, NEC et HP, et de janvier à décembre 2007 pour Lenovo) reposant sur l’octroi de rabais conditionnés à un approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif auprès d’Intel. De même, Intel a octroyé des paiements à MSH, le plus gros distributeur européen d’ordinateur de bureaux, à la condition que ce dernier vende exclusivement des ordinateurs équipés de processeurs Intel. – La seconde série de pratiques qualifiées de « restrictions non dé- guisées » par la Commission européenne consistait en l’octroi de paiements directs à trois fabricants d’ordinateurs (HP, Acer et Lenovo) pour stopper, retarder ou limiter le lancement de produits spécifiques intégrant des puces du seul concurrent d’Intel, AMD. La position dominante d’Intel sur le marché ne faisait pas débat : cette dernière a en effet détenue, pendant la période considérée, une part de marché de 70 % sur un marché de technologies caractérisé par de fortes barrières à l’entrée résultant d’investissements irrécupérables dans la recherche et le développement, la propriété intellectuelle et les installations de production nécessaires à la fabrication des processeurs. Le Tribunal procède à une qualification des rabais d’exclusivité mis en place par Intel (I.) et établit le principe de la condamnation per se de ces pratiques lorsqu’elles sont mises en place par une entreprise en position dominante (II.).

 I. – LA QUALIFICATION DES RABAIS D’EXCLUSIVITÉ Le Tribunal, se fondant sur la jurisprudence Hoffmann-La Roche de la Cour de justice (CJCE, 13  févr. 1979, aff. 85/76, ECLI:EU:C:1979:36), rappelle qu’il existe trois types de rabais pouvant être accordés par une entreprise en position dominante (arrêt commenté, pts. 74 et s.). La première catégorie de rabais concerne les rabais quantitatifs : ce sont les rabais liés exclusivement au volume des achats effectués auprès d’une entreprise en position dominante, reflétant les gains d’efficience et les économies d’échelle réalisés par l’entreprise. Ils sont généralement considérés comme ne constituant pas d’abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE. La seconde catégorie concerne les rabais d’exclusivité consistant pour l’entreprise en position dominante à « lier – fût-ce à leur demande – des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise ». La troisième catégorie concerne les rabais dans lesquels « l’octroi d’une incitation financière n’est pas directement lié à une condition d’un ap- ÉTUDE Perspectives 1http://lamyline.lamy.fr Numéro 41 I Octobre - Décembre 2014 RLC I 91 provisionnement exclusif ou quasi exclusif auprès de l’entreprise en position dominante, mais où le mécanisme de l’octroi du rabais peut aussi revêtir un effet fidélisant ». Il peut s’agir, par exemple, de rabais rétroactifs individualisés, s’appliquant sur la totalité des volumes achetés par le client, et non pas sur la partie incrémentale du seuil ou de prix bas et sélectifs (CJUE, 27 mars 2012, aff. C-209/10 Post Danmark, ECLI:EU:C:2012:172) susceptibles de conduire à l’éviction de concurrents. En l’espèce, le Tribunal a qualifié les pratiques tarifaires d’Intel de rabais d’exclusivité relevant de la deuxième catégorie, considérant que ces rabais étaient conditionnés à l’approvisionnement des clients d’Intel « pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins » : en contrepartie des rabais, Dell et Lenove s’approvisionnaient à hauteur de 100 % de leurs besoins, HP à hauteur de 95 % et NEC à hauteur de 80 %. La jurisprudence Hoffmann-La Roche a pu en effet établir qu’une obligation d’achat portant sur 80 % ou 75 % des besoins qualifiait le caractère « considérable » de la part des besoins des clients (CJCE, 13 févr. 1979, préc.). Le Tribunal précise que la qualification de la pratique de « rabais d’exclusivité » ne requiert aucune obligation d’exclusivité formelle ou contraignante, mais « il suffit que l’entreprise en position dominante signale de manière crédible à son client que l’octroi d’un bé- néfice financier dépend d’un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif » (arrêt commenté, pt. 106). La distinction entre les trois catégories de rabais pratiqués par une entreprise dominante a une portée considérable puisque la première catégorie de rabais est présumée ne pas porter atteinte à la concurrence, la seconde catégorie, constitue une pratique anticoncurrentielle par l’objet dont l’effet d’éviction anticoncurrentiel n’a pas à être démontré par la Commission, alors que les rabais fidélisants relevant de la troisième catégorie doivent faire l’objet d’une analyse des circonstances de l’espèce permettant de dé- montrer un effet potentiel d’éviction. II. –  LA  CONDAMNATION PER SE DES  RABAIS D’EXCLUSIVITÉ PRATIQUÉS PAR UNE ENTREPRISE DOMINANTE Le Tribunal confirme le principe de l’appréciation per se des rabais d’exclusivité pratiqués par une entreprise dominante (A.). Peut-on pour autant espérer une évolution de cette appréciation rigide des abus (B.) ? A. –  La confirmation de l’appréciation per se des rabais d’exclusivité Le Tribunal rappelle la décision de principe posée par la Cour de Justice dans l’arrêt Hoffmann – La Roche (« le fait, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier – fût-ce à leur demande – des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais », CJCE, 13 févr. 1979, préc.) et décide que « les rabais d’exclusivité accordés par une entreprise en position dominante ont par leur nature même la capacité de restreindre la concurrence » (arrêt commenté, pt. 85). Selon le Tribunal, seules les pratiques tarifaires fidélisantes relevant de la troisième catégorie requièrent une analyse de l’ensemble des circonstances. Pourtant, il semblerait que ces pratiques aient été sanctionnées par la Commission sans que cette dernière ait procédé à une réelle démonstration de leurs effets négatifs sur la concurrence, par exemple dans les affaires Michelin  II (TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-203/01, ECLI:EU:T:2003:250), British Airways (CJCE, 15 mars 2007, aff. C-95/04 P, ECLI:EU:C:2007:166) et Tomra (CJUE, 19 avr. 2012, aff. C-549/10 P, ECLI:EU:C:2012:221). Cette différence de traitement se justifierait par le fait que « de tels rabais d’exclusivité, appliqués par une entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu’ils ne reposent pas – sauf circonstances exceptionnelles – sur une prestation économique justifiant cet avantage financier, mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès au marché aux autres producteurs » (arrêt commenté, pt. 77). 1 Le Tribunal confirme le principe de l’appréciation per se des rabais d’exclusivité pratiqués par une entreprise dominante. Ainsi, les arguments des requérantes alléguant le faible montant des rabais d’exclusivité litigieux, la courte durée des contrats d’approvisionnement (dont la faculté de résiliation avec un préavis de 30 jours), la faible partie du marché concernée par le comportement incriminé (en l’espèce, entre 14 % et 16 % du marché global était concerné pendant la durée totale des pratiques), le fait que les pratiques de rabais d’exclusivité ne portaient que sur un segment de marché, tel, pour Dell, celui des ordinateurs de bureau destiné aux entreprises, laissant aux clients une liberté d’approvisionnement sur les autres segments, ou encore la puissance d’achat des clients, ont été jugés inopérants par le Tribunal. Cette affaire est toutefois caractérisée par un verrouillage du marché à deux niveaux  : celui, amont, des équipementiers informatiques grâce aux rabais litigieux, et celui aval du distributeur MSH qui a bénéficié de paiements directs en contrepartie de la commercialisation des seuls ordinateurs équipés de processeurs Intel. Le tout complété par des restrictions non déguisées constituant des agissements tactiques visant à barrer l’accès d’AMD à des produits ou à des canaux de distribution spécifiques bien identifiés. Le Tribunal fonde son raisonnement sur l’effet de levier généré par le rabais d’exclusivité pratiqué par l’entreprise dominante sur la part non disputable de la demande du client : lorsqu’un rabais d’exclusivité est accordé par l’entreprise dominante, le concurrent doit offrir des conditions attrayantes pour les unités qu’il peut fournir (part disputable de la demande), mais également une compensation pour la perte du rabais d’exclusivité. Ainsi l’octroi d’un tel rabais rendrait structurellement plus difficile la possibilité pour un concurrent de soumettre une offre à un prix attrayant et donc d’accéder au marché (arrêt commenté, pt. 92). La solution d’une condamnation per se des rabais d’exclusivité peut présenter l’avantage, du point de vue de l’entreprise en position dominante, d’avoir une ligne opérationnelle claire et utile lui permettant d’anticiper les risques liés à ses pratiques tarifaires. Toutefois, elle pré- sente l’inconvénient d’une particulière rigidité susceptible de paralyser le comportement commercial des entreprises et de décourager l’innovation, allant ainsi à l’encontre de la finalité des règles de concurrence. Peut-on espérer une appréciation des effets anticoncurrentiels dans le 1http://lamyline.lamy.fr 92 I RLC Numéro 41 I Octobre - Décembre 2014 traitement par les autorités communautaires de concurrence des rabais d’exclusivité ou plus généralement des pratiques tarifaires fidélisantes ? B. –  Le rejet d’une appréciation par les effets des rabais d’exclusivité L’application per se des règles relatives aux abus de position dominante a été très critiquée par la doctrine, car elle paraît peu en phase avec les apports de la science économique (Colloque La réforme de l’article 82 du traité CE, interventions de Patrick Rey, 19 oct. 2005, Concurrence et consommation n° 146). Cette jurisprudence compartimente en effet les pratiques tarifaires selon la forme des remises et non pas au regard de leurs effets anticoncurrentiels, ne considérant pas, de ce fait, les gains d’efficience que ces remises permettraient d’atteindre. Or, les accords d’exclusivité peuvent notamment avoir pour objet de protéger la relation contractuelle des comportements parasitaires et les investissements spécifiques à la relation. La Commission a elle-même souhaité privilégier une approche des pratiques d’éviction par les effets en publiant ses « orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes » le 24 février 2009 (JOUE 24 févr. 2009, n° C 45, pts. 23 et s. Ci-après, les « Orientations article 82 ») qui prévoient expressément d’examiner si le système de rabais permet d’entraver l’expansion ou l’entrée même de concurrents aussi efficaces. Or, la présente décision est contraire à cette communication. Dans la présente affaire, la Commission a toutefois procédé à une analyse des effets d’éviction des pratiques, faisant application du test du concurrent aussi efficace, dénommé « test AEC » (As Effi- cient Competitor) évoqué dans ses Orientations article 82. Ce test implique de vérifier si un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait pu pénétrer le marché sans encourir de pertes. L’analyse prend en considération trois facteurs : la part disputable (la part des besoins qu’un client peut réellement transférer à un nouveau concurrent au cours d’une période donnée), un délai adéquat (un an au plus) et une mesure appropriée du coût viable (le coût évitable moyen). Suite à cette analyse de prix et de coûts, la Commission avait conclu qu’Intel elle-même n’aurait pu s’imposer sur le marché en présence des pratiques en cause. Le Tribunal rappelant que le constat d’illégalité des rabais d’exclusivité ne nécessitait pas un examen des circonstances de l’espèce, et donc que l’analyse opérée par la Commission avait un caractère surabondant, a jugé que la décision d’ouverture de la procédure par la Commission datant du 26 juillet 2007, celle-ci n’était donc, en toutes hypothèses, pas tenue de suivre les Orientations article 82 (arrêt commenté, pt. 155). Peut-on envisager pour autant qu’une procédure ouverte après le 24 février 2009 puisse être instruite selon les Orientations article 82 et qu’il en résulte un traitement concurrentiel des rabais d’exclusivité par les effets ? Il est à souligner, à titre liminaire, que les Orientations article 82 ne sont opposables qu’à la Commission et non pas à la Cour de justice ou au Tribunal (Orientations article 82, pt. 3). Or, le Tribunal se fait fort en l’espèce de remettre en cause le mécanisme du test AEC, estimant qu’un tel test se limite à vérifier que l’accès au marché est rendu impossible du fait des pratiques, et ne permet pas d’écarter l’éventualité d’un accès rendu plus difficile. Or, « un effet d’éviction ne se produit pas uniquement lorsque l’accès au marché est rendu impossible pour les concurrents. En effet, il suffit que cet accès soit rendu plus difficile » (arrêt commenté, pt. 149). En conséquence, l’application des Orientations article 82 par les autorités communautaires de concurrence semble à ce titre compromise. Face au maintien par ces dernières d’un traitement per se des accords d’exclusivité et des pratiques tarifaires fidélisantes, certains ont pu ainsi proposer que la Commission retire sa communication (Gormsen L., Why the European Commission’s Enforcement Priorities on Article 82 EC should be withdrawn?, ECLR 2010, vol. 31, n°2, p.45). Une approche par les effets est pourtant à souhaiter afin de d’arbitrer de façon plus subtile entre la possibilité pour une entreprise dominante de participer au jeu de la concurrence par les mérites, telle qu’affirmée par la Commission dans ses Orientations article 82, et la responsabilité particulière qui lui incombe de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché commun. Ainsi, l’Autorité de la concurrence française applique un traitement par les effets des accords d’exclusivité. En effet, faisant sienne l’analyse du Conseil de la concurrence dans son rapport pour 2007, elle a affirmé que les obligations d’exclusivité pratiquées par une entreprise dominante ne constituaient pas des restrictions de concurrence per se comme pouvant être porteuses de gains d’efficience pour le marché en cause (par ex. : Aut. conc., déc. n° 10-D-17, 25 mai 2010, relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la boule de pétanque de compétition, pt. 124). L’Autorité de la concurrence s’attache donc à démontrer les effets de ces pratiques pour qualifier l’infraction, considérant notamment leur durée et la part du marché liée. Quelle échappatoire reste-t-il à l’entreprise pratiquant des rabais d’exclusivité dans un contentieux concurrence européen ? Le premier moyen de défense demeure celui de contester de façon circonstanciée la définition du marché opérée par l’autorité de concurrence ainsi que son pouvoir de marché, afin d’éviter de se voir confrontée à une appré- ciation per se des abus de domination en matière de pratiques tarifaires fidélisantes et d’accords d’exclusivité au sens de l’article 102 TFUE. En deuxième lieu, les autorités communautaires admettent désormais que l’entreprise dominante puisse invoquer en défense des arguments tenant à la justification économique des pratiques par des gains d’efficience, appliquant un bilan économique des pratiques, à l’instar de celui visé à l’article 101, paragraphe 3, TFUE en matière d’ententes. Le Tribunal rappelle, rejetant sur ce point l’argument d’Intel, que ces gains d’efficience ne doivent pas résulter des rabais en tant que tels, mais des conditions d’octroi de ces rabais, à savoir en l’espèce, la quasi-exclusivité ou exclusivité d’approvisionnement octroyée par les entreprises clientes. Intel invoquait, en outre, la « meeting competition defense », argument permettant de riposter de manière proportionnée aux pratiques des concurrents. Toutefois, un tel moyen de défense, est difficile à cerner et apparaît particuliè- rement risqué dans ce type de contentieux. Enfin, un pourvoi est formé dans cette affaire et la Cour de justice aura à se prononcer sur le standard de preuve requis pour qualifier les rabais d’exclusivité pratiqués par une entreprise dominante

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