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Explication de texte Marivaux, L'île des Esclaves, scène 8

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Par   •  25 Février 2023  •  Commentaire de texte  •  3 327 Mots (14 Pages)  •  643 Vues

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OKRAJ                                 Explication linéaire :                         27/10/2022

Romain                                        Scène VIII

                                             L’Île des Esclaves, Marivaux 

        Dans son oeuvre Panorama d’un auteur, Estelle Doudet écrit à propos de l’Île des Esclaves de Marivaux « Certes, il rejette les systèmes philosophiques, mais plus qu'une utopie de ce qu'il faudrait désirer, le dramaturge propose un mythe fondé sur le renversement. » Nous verrons que cette citation illustre bien la scène 8 que nous allons étudier. Pierre Carlet de Marivaux écrit l’Île des Esclaves en 1725, tiraillé entre difficultés matérielles et affectives, marquées notamment par la perte de sa femme et la banqueroute de Law, l’écrivain se sensibilise alors aux difficultés sociales et met en scène une nouvelle dimension moraliste.

        Dans cette pièce, deux maitres et leurs domestiques font naufrage et se réfugient sur une île où ils sont contraints d’échanger noms, costumes et surtout fonctions sociales, cette inversion permettent aux valets de se moquer et se venger de leur maitres mais également de pardonner leurs outrances. Les personnages reprennent rôles et fonctions respectives et peuvent ainsi quitter l’île.

        L’extrait que nous allons étudier aujourd’hui est la scène 8, p.192 de notre édition. Après avoir parodié leurs maitres dans une comique scène d’amour, Cléanthis et Arlequin decident d’un stratagème amoureux, Euphrosine s’éprendra pour Arlequin et Iphicrate pour Cléanthis. La scène 8 est le moment pour Arlequin de témoigner son amour à Euphrosine, entre caractères antithétiques et brutalité, cette unique scène où se retrouve seuls les deux personnages marque un renversement de l’intrigue de la pièce.

Lecture du texte

        Ainsi, nous nous demanderons comment, à travers cette scène de déclaration amoureuse à la fois comique et brutale, Marivaux donne la parole à Euphrosine, une parole qui renverse le comique de la pièce et en annonce d’emblée le dénouement.

        Pour cela, nous découperons notre extrait en trois mouvements distincts. Le premier, de « Vous me trouvez un peu nigaud » à « Tu ne l’es dèjà que trop » pourrait s’apparenter à une déclaration amoureuse à la fois comique et désorganisée d’Arlequin, déclaration méprisée par Euphrosine. Dans le second mouvement, de « Je ne le serai jamais » à « je suis un mouton », apparait alors une sincérité du valet qui va toucher Euphrosine, lui permettant de devenir maitresse d’un discours qui va bouleverser l’ordre comique de la pièce dans le dernier mouvement, allant de « Respecte donc le malheur » à « J’ai perdu la parole ».

        Comme nous l’avons vu, la scène 8 est la seule scène où Arlequin et Euphrosine se retrouvent seuls, cela permet donc à Marivaux de mettre en avant les traits de caractères de ses deux personnages qui sont assez antithétiques. En effet, Marivaux emprunte le personnage d’Arlequin à la commedia dell’arte, personnage à la fois comique, bouffon, et qui porte souvent le rôle de l’entremetteur. Cependant, dans l’île des Esclaves, il a un rôle aussi différent qu’important. La scène 8 va alors le déstabiliser puisque c’est sur ses propres sentiments qu’il va devoir mettre des mots. Il apparait donc comme maladroit et parfois ridicule mais une certaine conscience nait en lui. Conscience que l’on trouve dans la première réplique de notre extrait, avec l’adjectif « nigaud », Arlequin prend bien conscience qu’il est différent en tout point de la dame qu’il convoite, et montre donc une facette jusqu’alors inconnue de son caractère. La forme interronégative « n’est-il pas vrai? » témoigne elle aussi d’une certaine conscience de la part d’Arlequin, il s’agit là d’une question rhétorique. La formule « mais cela se passera » peut être analysée en deux teintes, elle peut exprimer un souhait d’Arlequin, ici la réciprocité de ses sentiments, où alors une certaine forme d’ordre, l’idée étant que les esclaves, en position de force, tentent de faire naître l’amour chez les maitres. Le présentatif « c’est que », annonce déjà un aveu, et cet aveu est celui de son amour pour Euphrosine. Parmi les principaux thèmes des comédies de Marivaux figure le badinage amoureux, un discours de galanterie qui s’appuie sur un usage précieux du langage et du discours de séduction. C’est ici que l’on assiste à une transformation du personnage d’Arlequin comique en un Arlequin amoureux. Le valet apparait hésitant et tâtonnant avec la présence de la négation puisqu’il « ne sait comment le dire ». Puis, le valet fidèle à sa nature, exprime son sentiment « je vous aime » sans arrière pensée et de manière directe. Euphrosine semble perdue dans ce jeu des masques c’est pourquoi elle répond brièvement et spontanément « vous ? », preuve de sa stupéfaction mais également signe d’un retrait et du refus de s’engager avec le valet dans une conversation suivie. Arlequin reprend donc la parole en commençant son discours amoureux, discours dans lequel on retrouve la maladresse du personnage type. En effet, le ton employé est familier, Arlequin peine à adopter le ton de la galanterie, ses répliques sont lourdes avec de nombreuses exclamations et interjections telles que «  Eh pardi ! », signe du discours désorganisé du personnage qui rencontre des difficultés à s’exprimer. Par la tournure emphatique « qu’est ce qu’on peut faire de mieux », Arlequin tente de détourner la question d’Euphrosine, c’est comme s’il cherchait ses mots. Malgré la présence d’adverbe d’intensité comme « si » et d’exclamation, les compliments adressés à la femme semblent sincères mais demeurent plats et synonymiques, on a par exemple « belle », et on retrouvera plus loin « jolis » et ravissantes ». Cette platitude des compliments atteste bien du seul intérêt qu’a Arlequin pour Euphrosine à savoir sa beauté, il est en train de déclarer son amour à une femme qu’il ne connait pas. Le verbe impersonnel présent qui suit dans « il faut bien vous donner son coeur » raisonne comme une logique, une obligation pour le valet éprit d’amour, la répétition de l’adverbe « bien » crée à nouveau une insistance et une lourdeur de la tournure. Cette obligation peut également référer aux conditions sociales opposées des deux personnages : Arlequin en tant que valet, qui vient quémander l’amour et Euphrosine, maitresse qui peut obtenir n’importe quel coeur. Le présentatif « voici » qui introduit la réponse d’Euphrosine affiche nettement la distance sociale qui sépare les deux personnages, les avances d’Arlequin importunent la dame, on relève ici les termes hyperboliques « comble » et « infortune ». C’est ici que surgit le comique de cette déclaration à savoir la maladresse d’Arlequin, maladresse qui sera tant verbale que gestuelle puisque rappelons qu’au début de la scène 8, il tire Euphrosine par la manche. La didascalie qui suit indique un changement de dimension, le dialogue vire à un rapprochement tactile, arlequin prend les mains d’Euphrosine et en développe une certaine fascination. Fascination que l’on remarque avec les déterminant exclamatifs « quelles » et « que » ainsi que les nombreuses exclamations. Arlequin apparait comme un enfant devant une sucrerie, « que je serais heureux avec ça », il fonde même son bonheur sur la beauté des mains. Les phrases ici n’ont pas de lien logique, le discours est totalement désorganisé, avec un vocabulaire pauvre et des répétitions « tendre ». Il débute sur un éloge des mains de la dame qu’il surnommera d’ailleurs « Reine » puis en vient à exposer sa condition, il comprend qu’il n’est pas à la hauteur de la situation, il évoque ainsi « la charité » d’Euphrosine et en vient même à utiliser le conditionnel présent « deviendrais » accompagné de l’épithète « fou » pour dire l’impossibilité de la compatibilité amoureuse des deux personnages. La réponse d’Euphrosine à cela tend à repositionner le duo tel qu’il doit être, à ce conditionnel, elle utilise le présent du verbe être , pour affirmer sa position de maitresse et rappeller à Arlequin qu’il n’est qu’un valet et qu’il n’a nul besoin d’amour pour être « fou », elle se permet ainsi de le tutoyer puis elle lui rétribue la folie « tu ne l’es déjà » qu’elle accentue de l’adverbe trop ». Par la simplicité de son langage, parsemé de maladresses et d’étourderies, Arlequin affiche ici un personnage sincère, tout en rappelant sa condition de valet. Se heurtant à Euphrosine, qui refuse toute communication, il embraye sur un thème plus noble, celui de la dignité, permettant ainsi de montrer l’écart social et la complexité du jeu d’inversion.

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