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En quoi, dans La Princesse de Clèves, la société place-t-elle l'individu face à des contradictions insurmontables ?

Dissertation : En quoi, dans La Princesse de Clèves, la société place-t-elle l'individu face à des contradictions insurmontables ?. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  9 Juin 2023  •  Dissertation  •  3 633 Mots (15 Pages)  •  311 Vues

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Dissertation La Princesse de Clèves

En quoi, dans La Princesse de Clèves, la société place-t-elle l'individu

face à des contradictions insurmontables ?

        Le dramaturge Pierre Corneille place ses personnages dans des dilemmes ainsi nommés cornéliens : Rodrigue doit-il tuer le père de celle qu’il aime ou refuser de laver l’honneur de son père giflé ? Tiraillé entre passion et raison, le héros cornélien est justement héroïque en ce qu’il ne tergiverse qu’un temps et choisit toujours l’honneur. Dans La Princesse de Clèves, roman d’analyse psychologique publié anonymement en 1678 qui se déroule à la cour des Valois en 1558-1559, Mme de Lafayette présente également ses personnages dans des situations de choix difficiles. C’est pourquoi nous étudierons en quoi, dans La Princesse de Clèves, la société place l’individu face à des contradictions insurmontables : dans cette société de cour où l’on se doit de plaire au maître, le vidame de Chartres doit-il renoncer à être le favori de la reine ou doit-il lui cacher ses galanteries ? Marié à une femme vertueuse qui ne l’aime pas mais lutte contre l’amour qu’elle éprouve pour un autre, le prince de Clèves doit-il éloigner son épouse de la cour ou l’y laisser au risque de devenir fou de jalousie ? Il s’agira donc de montrer que le roman peint l’individu pris au piège d’une cour qui prétend valoriser la morale mais suscite haine, rivalité, et lie intrigues politiques et amoureuses. Car c’est le paraître qui règne à la cour, obligeant à feindre ce que l’on n’est pas. Mais c’est surtout l’amour qui laisse affleurer les pires contradictions, puisque amour et mariage semblent inconciliables. Pourtant, l’héroïne éponyme semble tracer sa voie et surmonter les contradictions sociales sans échapper pour autant à une destinée tragique.

        Si l'individu, dans  La Princesse de Clèves est placé face à des contradictions insurmontables, c'est d'abord parce qu'il vit dans une société de cour où chacun doit cacher la vérité de son être pour complaire à son maître, conserver sa réputation, se prémunir des médisances et des pièges de la cour, et préserver une intimité. Telle est la leçon donnée par sa mère à l’héroïne : « Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit madame de Chartres, vous serez souvent trompée : ce qui paraît n’est presque jamais la vérité. » Tout membre de la cour joue donc un double jeu, cache ses véritables sentiments, se plaçant dans une contradiction entre la vérité de son être et ce qu’il montre de lui.

        En effet, les courtisans sont habités par une ambition politique qui les oblige à faire leur cour aux puissants, ce qui implique souvent de feindre des sentiments qu'ils n'ont pas et cacher la vérité de leur être. Même la reine, pour pouvoir rester auprès du roi, prétend ne pas souffrir de l'attachement public d'Henri II pour sa maîtresse officielle Diane de Poitiers.. « Il semblait qu’elle souffrît sans peine l’attachement du roi pour la duchesse de Valentinois, et elle n’en témoignait aucune jalousie ; mais elle avait une si profonde dissimulation, qu’il était difficile de juger de ses sentiments ; et la politique l’obligeait d’approcher cette duchesse de sa personne, afin d’en approcher aussi le roi. » Elle prétend également être l’amie du connétable de Montmorency que, pourtant, elle déteste car il a dit « plusieurs fois au roi, que de tous ses enfants il n’y avait que les naturels qui lui ressemblassent ». Même les Guise, quoique puissants par leur nièce la reine dauphine, cachent leur haine de Brissac du fait de ses liens avec Diane de Poitiers et se servent donc d'un tiers pour lui nuire : « MM. de Guise, qui ne l’aiment pas, mais qui n’osent le témoigner à cause de madame de Valentinois, se servirent de M. le vidame, qui est son ennemi déclaré, pour empêcher qu’il n’obtînt aucune des choses qu’il était venu demander. » Le même vidame de Chartres, lorsque la reine lui déclare ses sentiments, est évidemment flatté de cet aveu, mais comprend aussi tout le pouvoir que ce sentiment pourra lui apporter et cachera donc à Catherine de Médicis ses galanteries, notamment avec Mme de Martigues. Ainsi, les ambitions courtisanes placent-elles l'individu devant la contradiction de toujours mentir.

        Parallèlement aux motivations ambitieuses, c'est la crainte de perdre sa réputation qui oblige les courtisans à cacher leurs véritables objectifs. Dans le jeu social qui se joue à la cour, par exemple, Mme de Tournon se retrouve prise au piège qu'elle s'est elle-même construit. Lorsqu'elle veut finalement épouser d’Estouteville alors qu’elle a prétendu être une veuve éplorée et inconsolable, il lui faut demander l’intervention de son père pour sauver les apparences : « que ce mariage, qui était un effet de passion, aurait paru un effet de devoir et d’obéissance ; qu’elle avait gagné son père pour se faire commander de l’épouser, afin qu’il n’y eût pas un trop grand changement dans sa conduite, qui avait été si éloignée de se marier. » Lorsque Mme de Chartres entend sa fille dire qu’elle ne veut pas aller au bal du maréchal de Saint-André car elle trouve déplacé de participer à une fête donnée en son honneur par un amant, la mère conseille à sa fille de taire cette raison qui contrevient aux codes de la galanterie aristocratique : « Madame de Chartres combattit quelque temps l’opinion de sa fille, comme la trouvant particulière ; mais, voyant qu’elle s’y opiniâtrait, elle s’y rendit, et lui dit qu’il fallait donc qu’elle fît la malade, pour avoir un prétexte de n’y pas aller, parce que les raisons qui l’en empêchaient ne seraient pas approuvées, et qu’il fallait même empêcher qu’on ne les soupçonnât. » Cette mère attentive veille à couper court aux commérages qui ne manqueraient pas de naître devant une raison si originale. Ainsi, la sauvegarde des apparences est-elle une des contradictions sociales qui place les individus devant la nécessité de se construire une image éloignée de leur nature profonde.

        Enfin, la cour est une microsociété oisive qui se repaît d'événements et de situations intimes exposées au grand jour ; aussi les courtisans doivent-ils lutter pour conserver un peu de vie privée quand les yeux de toute l'assemblée sont rivés sur eux. La promiscuité constante, la vacuité des occupations mondaines obligent les courtisans à vivre au grand jour et à ruser pour ne pas voir livrer leur vie privée en pâture. Ainsi, lors de sa rencontre avec le duc de Nemours, la princesse de Clèves ne veut pas avouer à toute la cour qu’elle l’a reconnu sans le connaître, car ce serait avouer, alors qu’elle est mariée, qu’elle l’a trouvé à la hauteur de sa réputation de parangon de galanterie et de séduction. Mais la reine dauphine la trahit et donne en pâture à toute la compagnie le trouble de sa confidente et amie : « Vous devinez fort bien, répondit madame la dauphine ; et il y a même quelque chose d’obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l’avoir jamais vu. » De même, son goût pour les commérages amène la reine dauphine à créer non seulement des situations de contradictions morales, mais même de supplice. Quand Marie Stuart prétend faire avouer au duc de Nemours que l’histoire de la femme mariée qui a avoué sa passion à son mari le regarde, elle place à la torture les deux amants : « Je veux savoir de vous si une histoire que l’on m’a contée est véritable, et si vous n’êtes pas celui qui êtes amoureux et aimé d’une femme de la cour qui vous cache sa passion avec soin, et qui l’a avouée à son mari. Le trouble et l’embarras de madame de Clèves étaient au-delà de tout ce que l’on peut s’imaginer ; et si la mort se fût présentée pour la tirer de cet état, elle l’aurait trouvée agréable. Mais M. de Nemours était encore plus embarrassé, s’il est possible : le discours de madame la dauphine, (...) lui donnait une si grande confusion de pensées bizarres, qu’il lui fut impossible d’être maître de son visage. (…) Madame la dauphine voyant à quel point il était interdit : Regardez-le, regardez-le, dit-elle à madame de Clèves, et jugez si cette aventure n’est pas la sienne. »

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