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L’Annual Register et la première libéralisation du commerce du grain : transferts idéologiques entre la France et l’Angleterre dans la seconde moitié du XVIIIème siècle

Mémoire : L’Annual Register et la première libéralisation du commerce du grain : transferts idéologiques entre la France et l’Angleterre dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  25 Juin 2024  •  Mémoire  •  7 667 Mots (31 Pages)  •  84 Vues

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L’Annual Register et la première libéralisation du commerce du grain : transferts idéologiques entre la France et l’Angleterre dans la seconde moitié du XVIIIème siècle

 « Vers l’an 1750, la nation, rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, d’opéras, de romans, d’histoires romanesques, de réflexions morales plus romanesques encore, et de disputes théologiques sur la grâce et sur les convulsions, se mit enfin à raisonner sur les blés » Voltaire, article Bled, ou Blé dans Questions sur l’Encyclopédie par des amateurs (Kaplan 2017, 25)

Introduction

L’effervescence intellectuelle et idéologique du XVIIIème siècle tient aussi à une diffusion plus large des idées, favorisée notamment par l’explosion du nombre de périodiques, d’intrinsèques agents de transferts culturels et idéologiques qui contribuent à informer et à forger l’opinion de leurs lecteurs. En Angleterre, la création par Edmund Burke de l’Annual Register en 1758 vint ajouter un nouveau titre dans le foisonnement éditorial de la presse. Il était, comme son nom l’indique, édité une fois par an et s’adressait, selon ses propres termes, à des « hommes d’affaire » (Annual 1758, 1-2). Les auteurs y présentaient différents éléments tirés généralement de journaux, mais aussi des documents tels que des actes royaux, des discours, des extraits d’essais, des traités, soit tous matériaux qu’ils estimaient utiles à l’élaboration d’une histoire immédiate qui éclaire leurs lecteurs et leur apporte des connaissances et savoirs approfondis sur des sujets très hétérogènes. Pays voisin et rival millénaire, la France y tient naturellement une place de choix ; avec, entre autres, différents articles et brèves concernant la première libéralisation du commerce des grains, appliquée dès 1763 en France. Comment, par sa sélection de faits et la présentation qu’il en propose, ce journal britannique a-t-il contribué à forger l’opinion de ses lecteurs sur la première libéralisation du commerce des grains en France, qu’il s’agisse de la mesure elle-même ou de ses conséquences économiques et sociales ? Dans une première partie, nous étudierons la genèse du journal, ses objectifs et la place qui y est tenue par la France dans la période étudiée, soit de 1758 à 1771. Dans une seconde partie, nous nous intéresserons spécifiquement au traitement de la libéralisation du commerce du grain. Enfin, nous verrons comment l’analyse partielle de l’Annual Register sur ce sujet sert un discours politique et culturel.

  1. Un journal dans son temps

  1. La genèse de l’Annual Register 

L’histoire de l'Annual Register commença d’une certaine façon bien avant sa création en 1758. La fin du Licensing Act en 1695 inaugura de beaux jours pour la presse anglaise qui était désormais libre dans le sens où elle n’était plus soumise à un contrôle d’état ; de nombreux membres du Parlement estimaient qu’il devait être modifié pour mieux correspondre à son temps, mais après son abolition les divisions parlementaires furent trop importantes pour qu’un nouvel acte ne soit voté à ce sujet (Black 8). L'Annual Register fut le fruit d’un accord entre Edmund Burke – homme de lettres et philosophe - et les frères Dodsley, des libraires (Lock 165).[1] Il fut édité anonymement, comme beaucoup de périodiques de cette époque, pour à la fois créer un semblant d’impartialité éditoriale et respecter l’idéal du gentleman ne souhaitant pas gagner d’argent grâce à ses publications.

Les auteurs de ce journal sélectionnent des matériaux qu'ils estiment utiles à l'élaboration d'une « histoire » immédiate de l'année venant de s'écouler et permettant à leurs lecteurs d'améliorer leurs connaissances et savoirs, comme l'indique explicitement le titre même du journal : « The Annual Register, or a view of the History, Politicks and Literary for the year [...] ».[2] L'objectif est ainsi clairement établi et constamment réaffirmé dans les préfaces. Celle de 1758 stipule que :

[…] Those who aspire to a solid erudition, must undoubtedly take other methods to acquire it. […] But there are readers of another order, who must not be lest wholly unprovided : for such readers, it is our province to collect matters of a lighter nature ; but pleasing even by their levity ; by their variety ; and their aptitude to enter into common conversation. Things of this sort often gradually and imperceptibly insinuate a taste for knowledge, and in some measure gratify that taste. They steal some moments from the round of dissipation and pleasure. They relieve the minds of men of business, who cannot pass from severe labour to severe study, with an elegant relaxation. […] Not confined to a monthly publication, we have an opportunity of examining with care the products of the year, and of selecting what may appear most particularly deserving of notice. [...] (1-2)

Ainsi, l'Annual Register annonce, dès les premières pages de son premier volume, qu'il ne veut pas toucher un public particulièrement érudit mais au contraire donner des clefs de compréhension – sélectionnées par ses soins, avec « la plus grande attention » - à des lecteurs d'un niveau de culture plus modeste certes, mais souhaitant goûter au savoir, des « hommes d'affaires » ayant la majorité de leur temps occupé par des travaux d'importance, et auxquels l'Annual Register propose d'éclairer les connaissances par son contenu à la fois sérieux mais également léger, varié et pouvant être utilisé au gré des conversations. Le journal s'inscrit dans son époque, voulant développer les sphères de savoirs dans des milieux aisés, rendre « l'histoire » accessible et aiguiser les esprits critiques. Il était pour cela construit selon deux grandes parties distinctes : une première partie ‘historique’ constituée d’une narration des événements, de chroniques – différents éléments tirés généralement de journaux assemblés tel un ‘journal de bord’[3] – et d’un appendice de documents tels que des actes royaux ou des discours ; une seconde partie plus créative et libre, constituée de rubriques très différentes qui montrent bien l’hétérogénéité des centres d’intérêt abordés : « Characters » dans laquelle était publiés des portraits d’hommes importants, « Natural History » « Projects » pour les articles scientifiques ou techniques, « Essays » ou encore « Poetry ». Chaque volume contient entre quatre cents et cinq cents pages. L’Annual Register connut rapidement un succès populaire.

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