Lecture linéaire La Mort De Mme De Chartres La princesse de Clèves
Fiche de lecture : Lecture linéaire La Mort De Mme De Chartres La princesse de Clèves. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar BriceN • 3 Avril 2020 • Fiche de lecture • 2 640 Mots (11 Pages) • 44 873 Vues
Explication linéaire n°1du roman : La Princesse de Clèves,
Mme de Lafayette, 1668, (la mort de Mme de Chartres)
« Il faut nous quitter, ma fille, lui dit-elle, en lui tendant la main ; le péril où je vous laisse et le besoin que vous avez de moi augmentent le déplaisir que j’ai de vous quitter. Vous avez de l’inclination pour M. de Nemours : je ne vous demande point de me l’avouer ; je ne suis plus en état de me servir de votre sincérité pour vous conduire[1]. Il y a déjà longtemps que je me suis aperçue de cette inclination ; mais je ne vous en ai pas voulu parler d’abord, de peur de vous en faire apercevoir vous-même. Vous ne la connaissez que trop présentement : vous êtes sur le bord du précipice ; il faut de grands efforts et de grandes violences pour vous retenir. Songez ce que vous devez à votre mari, songez ce que vous vous devez à vous-même, et pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise, et que je vous ai tant souhaitée. Ayez de la force et du courage, ma fille ; retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous emmener, ne craignez point de prendre des partis[2] trop rudes et trop difficiles ; quelque affreux qu’ils vous paraissent d’abord, ils seront plus doux dans les suites[3] que les malheurs d’une galanterie. Si d’autres raisons que celles de la vertu et de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaite, je vous dirais que, si quelque chose était capable de troubler le bonheur que j’espère en sortant de ce monde, ce serait de vous voir tomber[4] comme les autres femmes : mais, si ce malheur vous doit arriver, je reçois la mort avec joie, pour n’en être pas le témoin. »
Explication linéaire n°1 : La Princesse de Clèves,
Mme de Lafayette, 1668, (la mort de Mme de Chartres)
La Princesse de Clèves est le premier roman d’analyse français. C’est un roman de l’époque classique. L’auteur, Madame de La Fayette, une précieuse, veut attirer l’attention sur les désordres de l’amour. Elle situe son roman dans le temps, au siècle précédent l’écriture du roman soit au XVIe siècle à la cour du roi Henri II, et peint les mœurs de cette époque. Elle fait revivre des figures historiques : le roi Henri II, la reine Catherine de Médicis, la reine Dauphine Marie Stuart. Elle insiste surtout sur l’analyse des sentiments de la passion amoureuse et sur le conflit passion / raison. L’extrait étudié se situe à la fin de la première partie du roman, quelques mois après l’arrivée à la cour du roi Henri II de la jeune Mlle de Chartres, qui a reçu une parfaite éducation vertueuse de sa mère. Le lendemain de son arrivée à la cour, la jeune fille fait la rencontre du prince de Clèves, qui tombe aussitôt éperdument amoureux d’elle et demande sa main. Le mariage est célébré peu de temps après, malgré l’absence d’inclination de la jeune fille pour le prince. Quelques temps plus tard, à l’occasion des fiançailles de Claude de France, la fille cadette du roi, un grand bal est donné à la cour. Toute la noblesse assiste à cet événement, avec le désir d’y paraître à son avantage. C’est dans ce cadre prestigieux que la princesse de Clèves rencontre pour la première fois le duc de Nemours, réputé pour son élégance et sa galanterie. Aussitôt une passion pour ce fameux duc de Nemours dévore le coeur de la princesse de Clèves, passion qu’elle n’aura de cesse de refouler. Le passage commenté se déroule au moment où la mère de la princesse de Clèves, Madame de
Chartres, est à l’article de la mort. Cette dernière a tout à fait compris l’inclination de sa fille pour le duc de Nemours. Elle fait venir sa fille pour lui dire adieu. Lors de cette scène particulièrement poignante, la mère met en garde sa fille contre les progrès de la passion qu’elle éprouve pour Nemours. Dans son discours, Madame de Chartres veut persuader sa fille de se retirer de la Cour. Les arguments les plus importants que Madame de Chartres utilise afin de convaincre sa fille sont ceux de la vertu et du devoir.
(Lecture du texte, lente, en respectant bien la ponctuation, le souffle du texte)
Problématique : Après que la passion entre Nemours et Mme de Clèves nous a été présentée, qu’apporte au roman cette mise en garde de Madame de Chartres ? (> portée morale du roman)
Mouvements du texte :
(1 à 8) La clairvoyance de la mère qui propose à sa fille un examen de conscience
(8 à 13) Les dernières injonctions : les règles morales à suivre (13 à 17) Le dernier souffle : le dernier avertissement avant la mort Explication linéaire :
1. | La clairvoyance de la mère qui propose à sa fille un examen de conscience (l.1 à 8) |
- Ligne 1 : Guillemets, discours de Madame de Chartres adressé à sa fille. Le pronom « nous » laisse place aussitôt au pronom « vous » = solitude annoncée.
- Ligne 2 : Dramatisation de la scène : sorte de « didascalie » au gérondif dans l’incise « en lui tendant la main » + Absence de paroles de sa fille + ouverture et fermeture de la phrase par le verbe « quitter » = gravité du moment + tournure impersonnelle « il faut » = idée de devoir, d’obligation. >> Accentue la solennité du moment. 2 apostrophes « ma fille » renforcent l’aspect pathétique de la situation et permettent à la mère de souligner le lien qui les unit en rappelant à sa fille son ascendance, son autorité maternelle.
- Lignes 1-2 : Annonce du plan que va suivre Madame de Chartres : « le péril » (lignes 3 à 8) ET « le besoin » (lignes 8 à 13). Elle commencera par évoquer les dangers de la situation dans laquelle se trouve sa fille, puis elle la ramènera à la raison en proposant une solution. Ces 2 premières lignes constituent donc le début du discours, l’entrée en matière, l’ouverture du discours de Mme de Chartres avec son plan d’attaque.
- Lignes 3-4 : Rappel des faits, de la situation compliquée dans laquelle se trouve sa fille au présent d’énonciation : phrase constituée de 3 propositions juxtaposées : parataxe, sécheresse du constat, sans jugement (si ce n’est le mot « péril » au début du discours…).
- Ligne 4 à 7 : Accumulation d’adverbes de temps : « plus en état », « déjà longtemps », « d’abord », « présentement » : dramatisation du propos renforcée par le temps qui passe et la mort qui approche. Urgence de la situation pour les 2 femmes : - pour la mère, conseiller et convaincre au plus vite sa fille car la mort approche / - pour la fille, se sortir de la situation délicate dans laquelle elle se trouve et qui pourrait la perdre.
- Nécessité pour Mme de Clèves de reconnaître le danger pour pouvoir le combattre. Nombreux termes de révélation, de vérité : « avouer », « sincérité », « conduire », « apercevoir ». Les paroles de la mère jouent le rôle de révélateurs pour la fille.
- Verbe « conduire » sens fort = guider moralement la jeune femme, l’aider dans ses choix, comme le ferait un prêtre en confession. Conduire // éduquer > guider dans le droit chemin, élever moralement.
- Ligne 6 : Après le passé composé du récit, retour au présent du constat. « Vous ne la connaissez que trop présentement » = 12 syllabes + « Vous êtes sur le bord du précipice » = 10 syllabes. Constat implacable, situation périlleuse. Il s’agit du constat sans appel de la situation dans laquelle sa fille se trouve, qui se renforce de la métaphore géographique « Vous êtes sur le bord du précipice » > Penser à la « Carte de Tendre » : l’inclination nous emporte, seule la volonté et les efforts peuvent nous sauver.
- Ligne 7 : tournure impersonnelle (// ligne 1) « il faut » > devoir, nécessité.
> Après le récit, dans la 1ère partie, des 1ers tumultes de l’inclination réciproque entre Mme de C et Nemours, le retour à la réalité est violent, froid. Madame de Chartres formule dans un 1er temps ce que sa fille n’ose formuler.
Les dernières injonctions, les règles morales à suivre (l.8-13)
- Lignes 8-10 : phrase au rythme ternaire, ponctuée par 3 verbes. Madame de Chartres tente de combattre les hésitations que sa fille porte en elle > 3 verbes de réflexion : « songez » x2, « pensez », comme si elle dirigeait sa conscience. Elle entame une phase de destruction des objections éventuelles de sa fille, de toutes les hésitations que sa fille pourrait avoir et elle lui donne la conduite à suivre. Force de persuasion.
- Omniprésence de la P5 « vous » sensible dans chaque impératif + pronom « vous ». Mère demande un effort de sa fille sur elle-même.
- Changement net de ton : apparition de nombreux impératifs, qui doivent bousculer l’interlocutrice : « songez », « pensez », « ayez », « retirez-vous », « obligez », « ne craignez point ». Entre conseil et obligation.
- Plusieurs verbes renvoient aux efforts qu’il faut réaliser pour obtenir une « réputation » = fait d’être honorablement connu du point de vue moral = « devoir » 2X, « acquérir », « souhaiter ».
- Remarquer la présence de 2 verbes pronominaux : « se devoir » (l.9) + « s’acquérir » (l.9-10) = Madame de Clèves s’est construite une réputation, elle en est seule responsable. Idée d’agir sur soi, de se contraindre.
- Utilisation du futur simple de l’indicatif « seront » > la mère est certaine de son plan d’action. Aucun doute sur l’exécution de ce plan et sa réussite.
- Ligne 10 : « force et courage » = qualités exigées, requises pour sa fille, reprises plus bas par le mot « vertu » = énergie morale, force d’âme qui pousse à bien agir.
- Ligne 11 à 13 : parataxe, conseils concrets qui poussent Madame de Clèves à agir, et non à subir.
- Classement de la souffrance à venir, hiérarchie dans le malheur. Utilisation d’un comparatif de supériorité « plus…que » : choix « rudes », « difficiles », « affreux » plus donc que « les malheurs (euphémisme ?) d’une galanterie ». Le nom « galanterie » est péjoratif et remplace les illusions que pourrait avoir Mme de Clèves. Antithèse « trop rudes et trop difficiles » VS « plus doux ». La marche à suivre dictée par la mère demande des efforts pénibles en premier lieu qui lui permettront plus tard d’atteindre une forme de bonheur et de paix. Opposition entre le paraître et l’être « paraissent » VS « seront ». Ne pas se laisser guider par la passion, mais par la raison.
> Au centre du discours, ces conseils (ou ces ordres) sont l’ultime aide de la mère envers sa fille. Ils visent aussi à donner à la suite du roman une noirceur nouvelle : les intrigues amoureuses feront souffrir celles qui ne leur opposent aucune résistance morale.
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