Analyse des cannibales de Montaigne
Commentaire de texte : Analyse des cannibales de Montaigne. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Jonathan Namekong Youmsi • 6 Mars 2021 • Commentaire de texte • 2 650 Mots (11 Pages) • 603 Vues
OBJET 1 / LL N°1 / « DES CANNIBALES », LIVRE 1, CHAP.
31, in LES ESSAIS (1580)
[IDÉE SÉDUISANTE DE DÉPART :]
Montaigne, homme de l’entre-deux, est à la fois un homme du
monde archaïque de la tradition par ses convictions et ses choix
profonds, un chevalier à l’ancienne, et un homme de l’extrême
modernité de son époque. L’extrême modernité de son époque, c’est — outre l’essor de l’imprimerie, qui lui permettra d’acquérir cinq
mille volumes dans sa librairie — la découverte de nouvelles terres et
de nouvelles cultures : l’Occident prédateur a envoyé, en effet, des
expéditions qui se sont rapidement traduites en annexions sanglantes
pour drainer richesses et matières vers la vieille Europe, sous couvert
d’évangélisation. Montaigne, porteur d’une double culture spirituelle,
à la fois juive par sa mère, et catholique par son père, reste
évidemment très ouvert et très critique sur ces questions. Il est
absolument fasciné par ces nouvelles civilisations dont les
conquistadors rendent compte presque toujours de manière
caricaturale, et y voit, lui, précisément des civilisations, non des «
barbares », comme la doxa des prédateurs occidentaux qui veulent se
donner bonne conscience, le laisse entendre. Il sera à ce point fasciné
par la chose et par la question, qu’il ira rencontrer à Rouen des
indigènes, ramenés de force, comme trophées, pour pouvoir
s’entretenir avec eux. N’oublions pas, surtout que Montaigne
professait qu’il faut « frotter et limer sa pensée contre celle d’autrui »,
et qu’« un honnête homme est un homme mêlé » ; comme toutes les
grandes citations, ses citations peuvent se décliner : « il faut frotter et
limer sa » civilisation « contre celle d’autrui » ; c’est précisément ce
que fait Michel de Montaigne, ici.
Ils ont leurs guerres contre les nations qui sont au delà de
leurs montaignes, plus avant en la terre ferme, ausquelles ils
vont tous nuds, n’ayant autres armes que des arcs ou des
espées de bois, apointées par un bout, à la mode des langues
de noz espieuz.
Ayant lu et relu les relations des voyageurs et conquérants,
Montaigne s’interroge sur l’instinct guerrier de ces soi-disant
« naturels », et, constate, qu’étant dans “l’état de nature“ —
c’est-à-dire : nus “ — ils n’ont pas jugé souhaitable de
perfectionner leurs outils de mort. Les Occidentaux, qui ne
sauraient en dire autant, sont donc bien plus corrompus que
ces peuples, certes primitifs, mais parfaitement civilisés, en
somme. En outre, leurs guerres ne semblent que des guerres de
défense, non des guerres de conquête, à la différence des
Occidentaux ; dès le départ, ces deux synecdoques montrent
combien Montaigne s’affirme comme étant persuadé que la
vraie civilisation n’est pas du tout dans le camp que les
Occidentaux pourraient croire. Ce qu’il décrit ici, ce sont des
nations non belliqueuses, qui cherchent à se protéger, sans
plus.
C’est chose esmerveillable que de la fermeté de leurs
combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et effusion de
sang ; car, de routes et d’effroy, ils ne sçavent que c’est.
Chacun raporte pour son trophée la teste de l’ennemy qu’il a
tué, et l’attache à l’entrée de son logis.
En bon « chevalier », Montaigne est naturellement
favorablement impressionné par l’ardeur que des combattants
peuvent mettre au combat. Il admire leur courage, leur
détermination sans partage, et même leur radicalité. C’est une
civilisation qui porte encore la fougue de la jeunesse, On
appréciera l’hypallage « fermeté de leurs combats »,
puisqu’elle désigne la fermeté des combattants, et montre
combien ils savent s’oublier au profit de la cause dans laquelle
ils sont engagés, prêts à tout donner d’eux. La pratique des
trophées n’était pas à l’époque une pratique qui pouvait
choquer ; il n’y a donc pas lieu d’extrapoler.
Apres avoir long temps bien traité leurs prisonniers, et de
toutes les commoditez dont ils se peuvent aviser, celuy qui en
est le maistre, faict une grande assemblée de ses cognoissans :
il attache une corde à l’un des bras du prisonnier, par le bout
de laquelle il le tient, esloigné de quelques pas, de peur d’en
estre offencé, et donne au plus cher de ses amis l’autre bras à
tenir de mesme ; et eux deux, en presence de toute
l’assemblée, l’assomment
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