Final du chapitre des Cannibales, Montaigne, Essais, I 31.
Fiche : Final du chapitre des Cannibales, Montaigne, Essais, I 31.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar inesbbz • 26 Janvier 2016 • Fiche • 3 309 Mots (14 Pages) • 2 741 Vues
LA
Final du chapitre des Cannibales, Montaigne, Essais, I 31.
Montaigne, dans le chapitre des Cannibales, a choisi de remettre en question l’opinion négative que les Européens de son temps, à la fin du XVIe siècle, ont des populations indigènes du Nouveau Monde, notamment des Tupinambas du Brésil, qu’ils qualifient de “sauvages”. Lui, s'intéresse à leurs mœurs et finit par les réhabiliter, au nom de leur “pureté” originelle ; ils sont pour lui des hommes naturels, courageux, restés proches des origines de l’humanité, nullement des “barbares”. D’ailleurs, à la fin du chapitre, il va même montrer à son lecteur combien il les trouve clairvoyants et intelligents… Il s’appuie sur un épisode apparemment authentique, auquel il a assisté jadis : la rencontre du jeune roi Charles IX avec trois Indiens. Cette anecdote illustre et couronne la réflexion philosophique ; elle apporte un exemple concret, sous forme narrative, comme les aime Montaigne, au point que l'on peut considérer qu'il s'agit d'argumentation indirecte : il renverse le point de vue ; c’est au tour des indigènes de nous observer et de nous juger ! Ce passage offre, en une habile comparaison, une réflexion sur le pouvoir et la justice. Interrogeons-nous alors sur les intentions du locuteur-narrateur : Quelles sont les leçons de cette anecdote plutôt satirique ? Pour ce faire, étudions la critique de la société française, puis observons quelle image est donnée des Indigènes ; enfin nous serons en mesure de décrypter la dimension satirique de cette anecdote savoureuse et éloquente…
[Autres problématiques pour lesquelles il faudrait revoir le plan : en quoi peut-on dire que la fin des Cannibales a une portée satirique ? Quel regard entend-on poser sur notre vieille civilisation en guise de conclusion de chapitre ? ]
[I. Ce qui domine dans ce texte, c'est la critique de la société française par trois Brésiliens]
Montrons que Montaigne poursuit et achève sa remise en question des coutumes européennes...
[1) Quelles sont les circonstances de l'épisode.]
• La scène se déroule en un temps et un lieu précis, absolument réels : “à Rouen, du temps que le feu roi Charles neuf y était” ; une note nous en donne la date probable : 1562. Charles IX (1550-1574) a alors 12 ans et règne depuis… deux ans (régence de Catherine de Médicis, sa mère) ! Au moment où se place le récit de Montaigne, si l’on songe à la publication de 1580, ce roi est déjà mort (“feu” <= fatutus, qui a accompli son destin). C’est du passé ; voilà pourquoi la mémoire fait défaut au narrateur (il s'en plaint souvent): “dont j’ai perdu la troisième et en suis bien marri”(désolé, contrarié). Il va pourtant s’appuyer sur ses souvenirs pour relater le point de vue intéressant des Indiens (“trois d’entre eux”, “j’en ai encore deux en mémoire”). C'est effet Montaigne qui est narrateur ; son point de vue est interne dans le récit, mais externe face aux Indiens.
• C’est la curiosité de l’entourage du Roi, qui va entraîner leur jugement : alors que l’on se pose en modèle, cherche à les impressionner (“on leur fit voir notre façon, notre pompe, la forme d’une belle ville”, c'est-à-dire l'architecture et l'apparat de la cour de France, signes culturels, traduits par un lexique valorisant et l'énumération) et que l’on attend leur admiration : “Après cela, quelqu’un en demanda leur avis et voulut savoir d’eux ce qu’ils y avoient trouvé de plus admirable”. La question est orientée, rhétorique (“de plus admirable”) ; la réponse que les courtisans attendent ne peut être que favorable, enthousiaste. Ils vont être surpris par la réaction inattendue des indigènes, pas si dociles.
[2) La hiérarchie est remise en cause : ]
• Pas d’admiration chez ces étrangers, plutôt de l’étonnement : “fort étrange”, “secondement qu’ils avaient aperçu […] et trouvaient étrange” => l’adjectif est répété deux fois ; il est évident que ce qu’ils ont vu les dérange, les choque peut-être ; incompréhension.
• Ils trouvent d’abord anormal que le roi soit un “enfant” et que tant de guerriers soient à ses ordres, soumis (“obéir”) > anomalie. Il souligne l’opposition aberrante entre le nombre et la force, d’un côté, et la singularité et la faiblesse, de l’autre : “tant de grands hommes, portant barbe, forts et armés, qui étaient autour du roi” face à ce seul mot d’”enfant”. Le problème est au niveau de l’âge, du nombre, voire du rapport de force. En France, ce n’est pas le plus fort ni le plus âgé qui commande => pouvoir arbitraire, selon eux. Monde à l’envers, absurde. Ils ignorent l’hérédité du pouvoir, l’étiquette monarchique qui correspond à nos usages.
[3) Les inégalités sociales sont soulignées : ]
• Ensuite les « cannibales » dénoncent la misère et les différentes classes sociales, qui n’ont pas le même train de vie. Ils sont frappés par l’écart des ressources, l’inégalité des répartitions. “il y avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de commodités et que leurs moitiés étaient mendiants à leurs portes, décharnés de faim et de pauvreté”. De nouveau, des antithèses surgissent : l’abondance, le poids d’un côté, voire l'excès / le manque et la maigreur de l’autre. Deux extrêmes, soulignés par l'hyperbole. On pointe du doigt, 1. l’absence de partage, 2. le mépris dans la proximité (“à leurs portes”), la volonté de ne pas aider son prochain. 3. l’absence de révolte des “nécessiteux” : on devine qu’eux, ne se laisseraient pas faire : “qu’ils prissent les autres à la gorge, ou missent le feu à leurs maisons”. On dirait que les injustices sont passivement tolérées des deux côtés en Europe. 2e anomalie. Montaigne souligne ainsi l’ingénuité, la (fausse ?) naïveté de ces soi disant primitifs, qui sont capables de pointer du doigt certaines coutumes arbitraires de nos pays... au premier coup d'oeil, au lieu de s'extasier sur des bâtiments ! La première leçon qui se dégage alors, c'est l'illustration de la maxime de Montaigne : « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de notre usage » ! Mais ce n'est pas tout ! Difficile de ne pas, comme l'auteur, être admiratif de ces peuples...
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