Agir sans raison, est-ce agir librement ?

Exemple de lafcadio dans Les Caves du Vatican : agir sans raison, est-ce agir librement ?

Lafcadio, dans les Caves du Vatican d’André Gide, veut se prouver qu’il est libre en accomplissant un acte gratuit. Ce personnage veut démontrer ainsi que son action n’est pas déterminée, mais au contraire spontanée. Est spontané ce qui se fait de soi-même, sans avoir été provoqué, qui se produit sans cause. L’idée de liberté implique en effet celle de liberté, au sens où être libre signifie être à l’origine de ses actions. Quoi de plus simple que de prouver sa liberté ? Il suffit en effet, comme Lafcadio, de faire un acte sans raison apparente. Lafcadio voyage dans un train en compagnie d’un homme qu’il ne connaît pas et qui partage son compartiment. Mû par la volonté de prouver qu’il est bel et bien libre d’agir comme il le souhaite, il s’apprête à commettre un acte gratuit : alors que l’homme qui se trouve dans le même compartiment que lui s’est mis à la fenêtre pour fumer sa pipe, il décide tout d’un coup de le jeter par la fenêtre. Il n’avait aucun raison d’accomplir un tel geste. S’agit-il pour autant d’un acte libre ?

La première objection consiste à opposer raison et motif. S’il n’avait pas de raison de tuer cet homme, Lafcadio avait toutefois un motif : celui de prouver par la l’existence d’un libre-arbitre. Loin d’être libre de toute détermination, l’acte de Lafcadio était parfaitement déterminé puisque sa volonté de prouver sa liberté est à l’origine de son meurtre.

Une seconde objection consiste à opposer cause et raison. Selon Descartes, nous sommes libres parce que nous pouvons comprendre « le bien et le mal » (Méditations métaphysique, 4ème méditation). C’est là ce qui nous différencie des objets et des animaux. Une raison d’agir implique une délibération préalable et la possibilité d’agir ou de ne pas agir selon cette délibération. Autrement dit, pour qu’un acte soit libre il faut à la fois que nous ayons des raisons d’agir dûment réfléchies et que nous puissions librement nous retenir. L’animal, au contraire, n’a pas le choix : il est déterminé par ses pulsions à faire telle ou telle action.

En conclusion, l’exemple de Lafcadio ne nous donne pas un exemple d’acte libre, mais seulement un exemple d’acte gratuit, c’est-à-dire sans cause apparente. Il y avait pourtant un motif, puisque Lafcadio voulait se prouver par là sa liberté. Selon Descartes, l’action de Lafcadio témoignerait sans aucun doute « du plus bas degrés de la liberté », puisque c’est un acte irréfléchi. L’acte pleinement libre, c’est celui que nous accomplissons en pleine connaissance de cause. En somme, c’est la connaissance qui étend notre liberté.

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