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Incendies, Wajdi Mouawad

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Par   •  20 Juin 2019  •  Commentaire de texte  •  13 818 Mots (56 Pages)  •  1 266 Vues

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Wadji Mouawad, Incendies (2003) p. 164-183 Une tragédie contemporaine

Extrait 1 Scène 1 Notairep. 165
V Comment cette scène d’exposition surprend-elle le spectateur ?

Première lecture

1. Hermile Lebel, en tant que notaire, assure le lien entre les vivants et les morts. Il permet la trans- mission des biens et fait connaître à leurs descendants les dernières volontés des défunts. Homme de loi, il garantit l’accomplissement de ces dernières. Hermile Lebel évoque à plusieurs reprises le terme de « testament » (l. 19 et 21). Il en souligne la tristesse, en l’assimilant au « mauvais temps » (l. 20) qui a accompagné la mort de Nawal, au moyen d’une formule de prétérition tombée dans le langage familier : « Je ne vous raconte pas le mauvais temps que ça représente » (l. 20. Par la redon- dance « étrange et bizarre » (l. 21), il met également en évidence le caractère singulier qu’un testament peut prendre (il annonce celui de Nawal). Mais il affirme son importance : « ça reste un mal néces- saire » (l. 22).

Analyse du texte

Une situation mystérieuse
2. La personnalité de la mère intrigue d’emblée. La formule banale « elle m’a souvent parlé de vous » (l. 12) est aussitôt corrigée: «en fait pas souvent, mais elle m’a déjà parlé de vous» (l. 13). La suc- cession des adverbes « Un peu. Parfois. Comme ça » (l. 13-14) réduit encore plus la parole et intrigue le spectateur : une mère qui ne parle pratiquement pas de ses enfants ? Le notaire en fait une carac- téristique propre : « Vous savez comment elle était, elle ne disait jamais rien à personne » (l. 15), « déjà elle ne disait rien et elle ne disait rien sur vous » (l. 17).Tous ces éléments suggèrent un secret, d’autant que Hermile Lebel mentionne aussi le silence définitif de Nawal : « avant qu’elle se soit mise à plus rien dire du tout» (l. 16). La mention de «son pays» où «il ne pleut jamais» (l. 19) achève de créer le mystère autour du personnage.
3. Le notaire s’adresse aux enfants de Nawal, les jumeaux, Jeanne et Simon : l’emploi de la deuxième personne le montre : « Entrez, entrez, entrez. Ne restez pas dans le passage... » (l. 3). De fait, le notaire ne cesse de s’adresser à eux (« vous rencontrer » (l. 7) ; « votre mère », « vous » (l. 11) ; « parlé de vous » (l. 12 et 13); «vous savez» (l. 15); «sur vous» (l. 17); «Je ne vous raconte pas» (l. 19); «Excusez-moi» (l. 22). Or les jumeaux se taisent tout au long de la scène : ce mutisme qui rappelle celui de Nawal suggère une relation difficile avec leur mère. Sans le vouloir, le notaire montre que Nawal parlait en des termes très froids de Jeanne et Simon, non pas en utilisant leurs prénoms ou en les revendiquant comme ses enfants, mais avec des formules les tenant à distance : « elle disait : les jumeaux. Elle disait la jumelle, souvent aussi le jumeau » (l. 14 et 15). En rapportant ces paroles au discours direct, Hermile Lebel souligne l’étrangeté de cette appellation. Le silence des enfants semble être leur réponse à cette froideur.
4. Les renseignements donnés par Hermile Lebel aux jumeaux sont aussi destinés aux spectateurs. Il s’agit de leur communiquer les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue, mais aussi de l’interpeller. L’impératif initial « Entrez, entrez, entrez » (l. 3) résonne par exemple comme une invitation lancée au public, alors que le spectacle commence. De même, la mention des « promesses » (l. 10) prend davantage de sens pour qui sait qu’Incendies s’inscrit dans une tétralogie intitulée Le Sang des promesses.

Un notaire peu ordinaire
5. « L’enfer est pavé de bonnes circonstances » (l. 8) pour « pavé de bonnes intentions », « je vous dis ça comme ça, de long en large » (l. 11-12) pour dire « sans ambages », « c’est pas comme les

Séquence 4

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Corpus A Oral

© Éditions Belin 2016

oiseaux » (l. 20) pour « ce n’est pas comme les oiseaux ». Ces maladresses d’expressions, associées aux nombreuses répétitions (11 occurrences du verbe dire par exemple, (l. 11, 14-17, 22) rendent le personnage un peu ridicule. Son élocution embarrassée renvoie à l’image traditionnelle du notaire jargonnant, personnage assigné à un rôle comique : « je veux dire bien avant qu’elle se soit mise à ne plus rien dire du tout, déjà elle ne disait rien et elle ne disait rien sur vous » (l. 16-17).

6. Le personnage est sincèrement ému. Il avoue très franchement « J’aimais votre mère » (l. 11), formule qu’il n’hésite pas à répéter (l. 12). On ne sait de quelle nature est cet amour (amitié ou sentiment amoureux), mais la mort de Nawal l’a plongé dans un vrai chagrin, comme l’atteste la didascalie finale « il éclate en sanglots », ce qui surprend d’autant plus que les enfants ne semblent pas réagir du tout à la mort de leur mère.

7. Hermile Lebel accompagne les jumeaux tout au long de leur quête et il va jusqu’à les suivre lorsque Simon part à la recherche de son frère. Sa bienveillance est extrême, comme en témoignent les paroles qu’il adresse aux jumeaux : « C’est sûr, c’est pas facile » (l. 2). Les encouragements qu’il leur adresse, par le biais des trois impératifs « Entrez, entrez, entrez ! » appuient cet effort d’accompa- gnement, d’autant qu’il reconnaît lui-même à quel point cette entrevue lui serait douloureuse : « Moi, je n’entrerais pas ». L’humanité dont il fait preuve dans cette scène laisse donc supposer que son rôle sera plus important que celui d’un notaire traditionnel.

Synthèse

8. Premier personnage à ouvrir la pièce, le notaire est également le seul qui a la parole. Il fait entrer les jumeaux dans son bureau, de la même manière qu’il fait entrer le public dans le spectacle. Il est là pour transmettre le testament de Nawal et inviter ses enfants à renouer le fil brisé du passé, en retrouvant leur frère et père. Il donne aux spectateurs les renseignements indispensables à l’action. Homme de parole, même si elle se révèle maladroite, il est celui qui s’oppose au silence dans lequel se sont murés les personnages. cet égard, il symbolise également la parole théâtrale, dans sa fonction consolatrice (voir p. 174, vers le bac écrit, dissertation).

Lexique

Au sens propre, les jumeaux hésitent à entrer dans le bureau du notaire

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