Le Malade imaginaire, acte III, scène 3. Explication linéaire
Commentaire de texte : Le Malade imaginaire, acte III, scène 3. Explication linéaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Qiang Xiao • 25 Mars 2022 • Commentaire de texte • 2 158 Mots (9 Pages) • 827 Vues
Molière, Le Malade imaginaire, acte III, scène 3. Explication linéaire n°3
Nous avons appris à la fin de l'acte II que Béralde représentait la dernière chance de faire changer Argan d'avis sur son projet d'envoyer Angélique au couvent (à défaut de la marier avec Thomas Diafoirus). Béralde a pris soin de préparer son frère par un intermède "qui vaut bien une ordonnance de M. Purgon". La scène trois les met face à face. Après avoir tenté inutilement de le dissuader et détourné la colère que suscitait la mise ne cause de Béline, Béralde va devoir aborder le cœur du sujet : la médecine et les médecins. C'est à vrai dire Argan qui prend l'initiative dans sa réplique initiale "Mais raisonnons un peu". L'ironie de se verbe apparaitra par la suite puisque ce n'st précisément pas la raison qui le conduit, à la différence de son frère, mais une confiance aveugle, ou plutôt la foi. de fait, l'échange d'arguments qui suit va mettre face à face, au-delà de la question de la médecine proprement dite, deux positions opposées : d'un côté la raison, l'esprit de libre examen et, de l'autre, la foi, le respect de la tradition et des dogmes. ces deux positions peuvent correspondre respectivement au libertinage , dans son sens XVII° siècle, inspiré de la philosophie épicurienne, et de l'autre du fanatisme religieux qui a valu déjà par le passé bien des déconvenues à Molière, en particulier quand Tartuffe, malgré l'appui royal, a été censuré après les manœuvres de la cabale des dévots orchestrée essentiellement par la Compagnie du Saint Sacrement, puis l'arrêt après quelques représentations seulement de Dom Juan qui abordait de nouveau ce sujet sensible.
L'extrait présente les réponses que Béralde oppose à chacun des arguments que son frère met en avant pour le convaincre du bien fondé de la médecine. Ces arguments dessinent une gradation car ils se veulent de plus en plus efficaces. A chaque fois, Argan recourt à une question rhétorique de forme négative, c'est-à-dire en fait une affirmation renforcée, à laquelle Béralde répond par une affirmation qui la détruit. La reprise par chacun de l'apostrophe "mon frère", loin de souligner une complicité, renforce au contraire la distance qui les sépare par sa connotation ironique.
La première question introduit bien les véritables enjeux du débat par l'usage du verbe "croyez". La médecine serait donc bien affaire de foi pour Argan. Béralde fait aussitôt entendre que le choix de ce terme n'est pas pertinent et souligne la distinction entre deux domaines. En effet, le terme " salut" qu'il emploie peut se comprendre au sens de santé et donc "croire" à la médecine ne garantirait pas la santé, mais le mot peut aussi s'entendre dans son sens religieux et ce que veut alors dire la réplique de Béralde est qu'il faut séparer le domaine du religieux qui est affaire de foi, celle qui peut amener le salut, c'est-à-dire la rédemption par Dieu et la vie éternelle, et celui de la santé physique qui relève, elle, de la science et de la raison. Le groupe de mots "pour son salut" se trouve bien mis en valeur dans la phrase placé juste après la conjonction de subordination "que" qui introduit la complétive. Par ailleurs, Béralde utilise le verbe "vois" dont le sens s'oppose à la foi aveugle, si l'on peut dire. Il s'agit de se fier à son expérience, au témoignage de ses sens et non de croire a priori et aveuglément, c'est-à-dire de croire tout simplement. On peut rappeler en ce sens l'épisode de Thomas dans les Evangiles qui veut s'assurer de l'identité du Christ ressuscité en touchant lui-même les plaies de ses mains. Dans la suite de l'échange, le champ lexical de la vue sera omniprésent : "à regarder les choses", "je ne vois point", "je ne vois rien", "les hommes ne voient goutte", "au devant des yeux des voiles trop épais". Argan va d'abord faire usage d'un argument d'autorité en s'appuyant sur la force de la tradition et l'universalité : "une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont révérée". Le dernier verbe achève de conférer à l'ensemble une connotation religieuse indéniable. L'argument est renforcé par la reprise insistante et hyperbolique de "tout", "tous". L'étonnement d'Argan son indignation sont lisibles dans l'interjection initiale "Quoi?" A cette approche affective, Béralde oppose la position du "philosophe", c'est-à-dire, dans son sens XVII° siècle, du libertin, ou du moins du penseur qui, sur le modèle d'un Descartes, prend pour guide la raison et le modèle mathématique (ce qui n'implique en rien, en l'occurrence, l'athéisme). Il met toute la force possible dans sa réponse, d'abord en commençant par la négation "Bien loin de la tenir véritable" qui, d'entrée, insiste sur le fait que sa position se situe à l'opposé de celle de son frère dont elle reprend exactement les termes ("ne tenez pas véritable"/"tenir véritable"). Il use ensuite de formulations hyperboliques en particulier grâce aux trois superlatifs successifs qui, pourrait-on dire, enfoncent le clou en soulignant encore les termes dépréciatifs très forts : "une des plus grandes folies", "point de plus plaisante momerie", "rien de plus ridicule". La croyance en la médecine serait donc le fait des fous, des enfants ou des "ridicules", ceux qui prêtent à rire (de fait c'est bien l'image que Molière donne d'Argan depuis le début de la pièce : il semble avoir perdu la raison, est totalement infantilisé par un entourage qui se moque de lui). Peut-être Argan est-il sensible à la dimension personnelle de cette attaque, quoi qu'il en soit, il relance le débat par une nouvelle question oratoire. Dans sa réponse, Béralde laisse transparaître une approche épicurienne, en substituant à un Dieu Créateur "la nature" qui serait responsable de notre manque de clairvoyance exprimé par l'image des "voiles trop épais". Cependant, cette myopie (plus qu'une cécité) ne relève pas d'un interdit éternel (comme serait celui de la divinité). Béralde précise en effet que les "ressorts de notre machine" sont des "mystères", mais "jusqu'ici", autrement dit, les progrès de la science peuvent laisser espérer qu'il n'en sera pas toujours ainsi. Cette référence à la science est aussi perceptible par l'expression "ressorts de notre machine" directement reprise du vocabulaire cartésien. A cette ignorance affirmée des humains en général, Argan oppose aussitôt "les médecins" qui, eux, précisément, seraient détenteurs de connaissances du fait de leur statut particulier. Le "donc" souligne une fois encore sa son étonnement et son indignation. Béralde va donc définir précisément en quoi consiste ce savoir médical. Il s'apparente à une connaissance purement théorique qui n'a aucun effet pratique. De fait, les études de médecine à la Faculté s'apparentent à l'époque aux "fort belles humanités", autrement dit à l'étude du latin et du grec. L'adjectif mélioratif "belles" prend ici une connotation ironique comme le suggèrent l'emploi insistant de l'adverbe "fort" et la reprise immédiate de "beau latin". On peut également relever la répétition du verbe "savent", trois fois dans des affirmations ironiques répétitives en parataxe, puis négativement à la fin, après la conjonction de coordination "mais", dans une formule mise en valeur par l'inversion, le présentatif et la formulation négative finale très insistante: "c'est ce qu'ils ne savent point du tout".
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