Incendies de Wajdi Mouawad, scène 19
Commentaire de texte : Incendies de Wajdi Mouawad, scène 19. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Aurélien Leroux • 21 Avril 2017 • Commentaire de texte • 3 649 Mots (15 Pages) • 9 433 Vues
français: Incendies scène 19(extrait)
Situation et enjeux de l’extrait
La scène 19 est située au coeur de la pièce, qui en compte 38. Cette place centrale reflète l’importance que Wajdi Mouawad accorde à l’épisode de l’incendie du bus, qu’il réécrit d’ailleurs avec des variantes dans son roman Visage retrouvé et l’adaptation théâtrale de celui-ci, Un obus dans le coeur.
Cette scène est révélatrice à plus d’un titre.
-En premier lieu, du point de vue de l’avancée de l’intrigue et des informations qu’elle nous apprend sur le personnage.
= En effet, Jeanne et Simon sont passés au domicile d’Hermile Lebel, le notaire, pour signer des papiers relatifs à l’héritage de leur mère : tandis que Simon semble bien décidé à refuser d’accomplir les dernières volontés de sa mère (retrouver leur frère et leur père), LA Incendies scène 19 Page 2/11. Celle-ci a déjà commencé à chercher d’en savoir un peu plus sur leur mère.
Alors qu’un bus s’arrête tout près de la pelouse du pavillon de banlieue du notaire et que le bruit de marteaux piqueurs dans la rue est en fond sonore, Hermile Lebel évoque, par association d’idées, la phobie de Nawal pour les autobus.
À la demande de Jeanne, il raconte un épisode traumatisant dont elle avait été témoin dans son pays : le mitraillage et l’incendie d’un bus rempli de civils, parmi lesquels des femmes et des enfants.
C’est ainsi que le voile commence doucement de se lever sur le passé de Nawal, suscitant des réactions opposées chez les jumeaux.
L’événement est raconté une première fois, par Hermile Lebel, avec une distance spatiale et temporelle.
Ensuite il est rapporté par un témoin direct, Nawal elle-même, dans l’émotion du moment, lorsqu’elle s’adresse à Sawda.
= Ce jeu de croisement de paroles et de bascule temporelle est un phénomène récurrent de l’écriture de Wajdi Mouawad. En troisième lieu, l’épisode même du bus pose la question de l’irreprésentable au théâtre.
Il est en effet impossible de le figurer sur scène sans risquer d’amoindrir ou au contraire de faire basculer la représentation dans le Grand Guignol. Afin de donner la mesure de l’événement dans toute son atrocité, il importe donc que le récit supplée à la figuration et que la mise en scène imagine des solutions pour atteindre les spectateurs.
I- La succession de deux récits du même événement
Deux récits
Le récit d’Hermile et celui de Nawal portent sur le même événement impliquant des personnes anonymes (« Des hommes », « ils ») et un « autobus » sur lequel ces hommes jettent de l’essence avant de le mitrailler.
Les deux récits sont conduits au passé composé, temps caractéristique du récit oral, et ils ont tous les deux une situation initiale clairement identifiée, un milieu et une fin : un bus « bondé de monde » immobilisé, « aspergé d’essence » et dont les passagers sont mitraillés avant que le feu ne soit mis au véhicule et à ses occupants.
b) Mais des récits qui diffèrent
Cependant, ces deux récits en miroir sont à la fois complémentaires et opposés.
Celui d’Hermile Lebel est quatre fois plus court que celui de Nawal.
Il pose aussi une situation initiale différente de celui de Nawal : « un bus est passé devant elle » dans le premier récit tandis que, dans le second, le bus est déjà immobilisé.
Les actions rapportées par le notaire s’enchaînent rapidement à travers une énumération (« Des hommes sont arrivés…, ils ont bloqué… »), suivie d’une coordination qui prend la valeur d’une surenchère (« et puis d’autres hommes sont arrivés… »).
Hermile Lebel rapporte les faits clairement et sans émotion, en apportant quelques précisions (un autobus « bondé de monde », les hommes qui arrivent « en courant », ce qui traduit la promptitude et la détermination de ces hommes à commettre leur acte de barbarie).
Conduit à la troisième personne du singulier, le récit n’engage ici ni la subjectivité du locuteur ni sa sensibilité. Sobre et factuel, ce récit dont la fin est couverte par le bruit des marteaux-piqueurs, comme le signale la didascalie, devient donc elliptique et laisse imaginer ce qui peut résulter de cette série d’actions.
Au contraire, le récit de Nawal accorde la plus grande place au dénouement de l’épisode : le sort terrible des occupants du bus distingués par catégories dans une énumération / gradation : « les vieux, les enfants, les femmes, tout ! » avant d’opérer une sorte de zoom sur la mort cruelle d’une femme tuée alors qu’elle « essayait de sortir par la fenêtre » et de son enfant brûlé vif dans ses bras.
Dans le premier récit, le narrateur Hermile Lebel est extradiégétique : il rapporte ce que Nawal lui a raconté.
Dans le second, la narratrice est intradiégétique ; le récit, conduit à la première personne, la place au premier plan : « J’étais dans l’autobus, Sawda, j’étais avec eux ! » répète-t-elle, peut-être autant pour se convaincre elle-même que pour convaincre son interlocutrice qu’elle a survécu à cette épreuve.
En effet, contrairement à ce que sous-entendait le récit du notaire, Nawal n’est plus placée à l’extérieur du bus mais à l’intérieur. = Son témoignage est celui d’une rescapée, comme le signale son usage du pronom « nous » en position de complément d’objet direct dans la phrase : « Quand ils nous ont arrosés d’essence ».
Il nous est livré en focalisation interne, empreint d’émotion.
L’impuissance de Nawal se traduit aussi grammaticalement dans la position objet du pronom de première personne, comme dans la proposition « ils m’ont laissé descendre ».
c) Des récits vecteurs d’émotion
L’émotion très forte à laquelle est en proie la locutrice-narratrice transparaît à travers la multiplication des phrases exclamatives, en plusieurs mouvements, et avec des segments qui se répètent : « et après, après, ils ont tiré, et d’un coup, d’un coup vraiment, l’autobus a flambé, il a flambé avec tous ceux qu’il y avait dedans, il a flambé avec les vieux,
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