Annie Ernaux, La femme gelée
Commentaire de texte : Annie Ernaux, La femme gelée. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Lauren Whosaysni • 26 Février 2022 • Commentaire de texte • 2 000 Mots (8 Pages) • 3 330 Vues
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Annie Ernaux, La femme gelée, extrait
Auteur : Annie Ernaux, prof de lettre, écrivain, 20e siècle. Œuvre littéraire autobiographique et en lien avec la sociologie : intime et social dans ses livres =ouverture du « je » à tout le monde
Œuvre : La femme gelée = autobiographique. Montre les limites de l’émancipation des femmes des années 60. Mariée à un étudiant en droit, qui croit en l’égalité des droits, elle se retrouve vite prise au piège par les tâches ménagères, au détriment de ses aspirations
Problématique : Comment les difficultés de la lutte féminine pour l’égalité sont elles mises en valeur ?
Plan :
- L’idéal d’égalité
- le jeune couple moderne
- le couple des parents de la narratrice
- les couples d’étudiantes mariées
- La réalité quotidienne
- La réalité envahissante
- Place et rôle de l’homme et de la femme dans le couple
- La souffrance d’une femme gelée
- L’idéal d’égalité
- Le jeune couple moderne
- Une relation homme/femme se met en place à l’intérieur du foyer : « Jeune couple moderne ou intellectuel » (L 3) ce qui laisse sous-entendre une certaine égalité homme/ femme et la narratrice utilise le » nous » «comme nous sommes sérieux » (L 2) le « nous » est appuyée par un vocabulaire tel que « ensemble » (L 2), « même » (L 6), « ensemble » (L 56) ou encore « égalité » (L 55) l’apothéose de cette soi-disant union est marquée par une phrase non verbale très courte qui juxtapose deux mots redondants : « unis, pareils » (L 7) mais cette égalité dans le couple est de très courte durée.
- Ce qui en marque la fin est une sorte d’alarme «sonnerie stridente » (L 7) qui retentit comme une sirène, ceci est explicité par une phrase non verbale «finie la ressemblance » (L 8) le « nous » laisse alors la place à un clivage entre le « je » et le « il » en effet : «l’un des deux » (L 8) « moi » (L 10) « je suis seule » (L 11–12), « la seule » (L 14) s’oppose alors à « il » (L 16).
- L’égalité peut se voir aussi dans les études et le travail : « il souhaite que je réussisse au concours de prof », dans l’organisation des tâches : « il a horreur des femmes popotes », l’image de la bonne ménagère = tournée en dérision dans ces termes dépréciatifs de femme popote. Néanmoins, on peut aussi y voir que Le mari prend très rapidement un rôle dominant (L 54) « il m’encourage », « il souhaite que » ou encore « il me dit et me répète » (L 58) de plus il a un ton supérieur « pas mal » (L 53). Finalement, dans le « il souhaite que je réussisse au concours de prof », on trouve un peu de condescendance.
- Le couple des parents de la narratrice
- La narratrice constate avec amertume que c’est le seul couple à avoir mis en pratique l’égalité des tâches domestiques l.14 : « je revoyais mon père dans la cuisine », l.15-16 « non je n’ai pas vu bcp d’hommes peler des patates »
- Modèle récusé par son mari, qui les moque avec mépris = lexique dépréciatif : « mes parents », « l’aberration », « le couple bouffon », « cocasse », « délirant ». Le modèle des parents de son mari est celui de l’homme instruit et cultivé et de la femme popote : l.17 « monsieur père laisse son épouse s’occuper de tout dans la maison » = Ironie dans le discours de la narratrice avec « monsieur père » ou lorsqu’elle a recours à l’adverbe d’intensité « si » l.17 « lui, si dissert, cultivé »
- Les couples d’étudiantes mariées
- Ces jeunes femmes mariées sont « submergées d’occupation » l.31, et considèrent cela comme « une fierté » l.30, une « plénitude » l.31
- Antiphrase ironique : « la plénitude des femmes mariées » = dénonce le fait que les femmes mariées veulent faire des études et doivent finalement accepter d’être « submergée » en assumant à la fois son travail extérieur et les tâches de nourricière (l.34)
- La réalité quotidienne
- La réalité envahissante
- Ce sont elles qui vont transformer la relation du couple et vont faire basculer la vie de la narratrice notamment tout ce qui a trait à la nourriture. c’est d’ailleurs la « cocotte-minute » qui vient rappeler les différences (L6) on a une gradation de la place de la cuisine puisque cela commence par l’évocation de la « dînette » (L 11) et que ça se termine par « la nourriture corvée » (elle 27).
- Cette corvée semble très compliquée pour la narratrice qui a tout à apprendre. Elle évoque un difficile apprentissage de la cuisine « je ne savais pas » (L 12) ou « aucun passé dette culinaire » (L 13–12–14) « à toi d’apprendre » (L 22) et utilise des termes péjoratifs et se dévalorise par rapport à cette tâche avec des expressions telles que « une intellectuelle pommée incapable » (L 34), « une flemmarde », « malhabile » (L 33) « une braque » (L 40).ou bien « je me suis efforcée d’être la nourricière » (L 41) on remarque l’effort nécessaire à la narratrice.
- Pour évoquer la cuisine elle utilise beaucoup d’accumulations qui donne l’impression qu’elle étouffe, qu’elle se sent envahie comme aux lignes 15 ou 24 « des œufs, des pattes, des endives, toute la bouffe ».
- Sa relation à la nourriture montre qu’elle n’y apporte aucun intérêt et utilise un vocabulaire familier qui montre qu’on est loin de la grande cuisine avec des termes tels que « la bouffe » (L 24) ou « les patates » (L31), « petits pois cramés » (L 41), « la purée » (L 44).
- On remarque une gradation avec » la nourriture décors » (L 25) puis « la nourriture surprise » (elle 26) et enfin « la nourriture corvée ». Cette corvée l’affecte profondément émotionnellement ce qui apparaît dans l’utilisation de termes tels que « angoisse », « découragement » (L 23) « ressentiment » (L 29) ou encore «sans joie » (L 41).
- Place et rôle de l’homme et de la femme dans le couple
- Cette obligation de cuisinier vient altérer son rapport à la vie et l’empêche notamment d’étudier, elle l’explique à la ligne 44, « je me sentais couler » ou encore « indifférence » (L 50) mais surtout avec l’alternance cuisine/étude dans l’accumulation : « Version anglaise, purée, philosophie de l’histoire, vite le supermarché va fermer », ou lorsqu’elle avoue : » Pas eu le temps de rendre un seul devoir » . Son rêve est détruit par la réalité et la narratrice s’insurge : « au nom de quelle supériorité ».
- 2 modèles s’opposent, celui des parents de la narratrice, dépréciés par le mari et celui des parents du mari. Un modèle se voit préférer à un autre, ce que constate la narratrice avec amertume : « mon modèle à moi n’est pas le bon »
- Les paroles au discours direct du mari viennent toutes contredire ses théories égalitaires. Cette mauvaise foi du mari, conscient ou inconsciente, se retrouve cachée derrière des formules de gentillesses ou de l’humour : l.49, 34, 14. Ces contradictions entre théorie sur l’égalité des sexes et réalité sont ainsi dissimulées.
- Finalement, le modèle traditionnel reprend ses droits et l’épouse se retrouve dans le rôle de « nourricière » et ce fardeau = souligné par les compléments circonstanciels de manière et de temps : « sans joie », « jour après jour » l.33 = pénibilité de la tâche
- Les études passent après finalement, » Pas eu le temps de rendre un seul devoir » et une hiérarchie se met en place dans le couple, miroitée par les études : « j’envisage un échec avec indifférence, je mise sur sa réussite à lui » = phrase antithétique, jeu d’opposition entre échec/ réussite et indifférence/ je mise.
- La narratrice ne se rebelle pas, accepte le modèle de soumission : « je n’ai pas reguimbé, hurlé ou annoncé froidement, aujourd’hui c’est ton tour.
- La souffrance d’une femme gelée
- Le passage de l’enfance à l’âge adulte : « Par la dînette » suggère encore un côté enfantin = jeu d’enfants qu’on offre aux filles pour qu’elles apprennent à cuisiner. Le passage de l’enfance à l’âge adulte est particulièrement difficile pour elle : l’énumération de la nourriture qui explique son découragement,
- La contradiction avec son enfance : « nourriture-décor », « les boîtes de conserve », « les bocaux multicolores » , « la nourriture surprise » sont des termes qui renvoient à l’enfance de celle-ci. Une enfance terminée, d’où le mot « Fini » en début de phrase. « Elle avait démarré, la différence », phrase qui comporte une prolepse, répète le sujet à deux reprises par une apposition et permet d’insister sur cette différence. Différence de deux états : où elle ne faisait rien, où ses parents faisaient tout, et où c’est à elle de tout faire « c’est à toi d’apprendre ma vieille ». « ma vielle » est assez vulgaire, elle est dans un état de soumission, obéissant aux codes imposés par la société.
- Un processus long et insidieux : Cet extrait commence par le début de leur vie ensemble. Plusieurs compléments circonstanciels de temps indiquent les mois et les saisons qui passent « un mois », « trois mois », « le soir descend plus tôt » nous laisse présager que c’est l’hiver », « été », « jour après jour », tous ces éléments sont caractéristiques du temps qui passe, et ainsi, de la situation qui s’aggrave.
- Elle se renferme sur elle-même, essayant d’être comme les autres « filles mariées », « version anglaise, purée, philosophie de l’histoire, vite le supermarché va fermer » est une phrase qui énumère ses activités et études. L’assonance en »é » et l’allitération en ‘‘s » vont dans le même sens. Cela montre la façon dont elle est déchirée, écartelée entre ses différentes obligations.
- Une disparition progressive : Tout au long de cet extrait, on peut relever le champ lexical de l’eau qui devient de plus en plus important. Dans la métaphore « me plonge dans un livre de cuisine », l’idée de « plonger » implique une absorption et une concentration totales. « couler », « diluer », il y a une métaphore de l’eau, du temps qui implique une disparition totale, et devient la femme gelée. Le terme « gelée » renvoie à l’eau glacée, à l’eau où on est resté longtemps.
- Ainsi, elle va vers la mort intellectuelle : « elle s’engourdit ». alors que son mari, au contraire « se ramasse sur lui-même ». il y a une opposition très directe : alors que celui ce se forme, elle, elle disparaît. Sa vie, son quotidien prennent tellement plus de place que ses études, que ses volontés ont elles aussi disparues. Les phrases « j’avais choisi l’année d’avant avec enthousiasme », « mes buts d’avant se perdent » , « moins de volonté », « j’envisage un échec avec indifférence », « je n’aurai certainement jamais le CAPES, trop difficile » prouvent la disparition de sa volonté, de son enthousiasme.
- Ceux-ci sont en lien avec « l’armoire » , où « dorment des nouvelles », personnification qui peut sous-entendre sa personnalité à elle qui dort, ses volontés qui sont éteintes. Il y a une dégradation et une opposition entre « peine », « sans goût » et « enthousiasme ». Elle est dans la difficulté, le dégoût Ses buts qui « se perdent » renvoient à quelque chose qui s’efface, qui disparaît. Et enfin « moi je me sentais couler » nous reflète une image où elle est submergée, en train de s’enfoncer, de disparaître.
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