Précarité : les femmes surexposées
Analyse sectorielle : Précarité : les femmes surexposées. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar ofqlre • 17 Mai 2016 • Analyse sectorielle • 3 319 Mots (14 Pages) • 849 Vues
Précarité :
les femmes surexposées
Longtemps, la précarité féminine ne fut pas un sujet d’étude. Mais, depuis les années 1990, l’instabilité professionnelle et sociale des femmes s ’est largement accrue, rendant désormais incontournable une approche «genrée» en la matière. Experts et travailleurs sociaux lancent un cri d’alarme.
Lorsqu’en 1987, le père Joseph Wresinski a fait entrer le terme de précarité dans le vocabulaire officiel en lui donnant une définition précise - L'«absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux» (1) -, il n’était guère habituel de faire des distinctions par sexe.
Vingt-cinq ans plus tard pourtant, la dimension féminine de la précarité ne peut plus être éludée. A tel point d’ailleurs que le bureau du Conseil économique, social et environnemental vient de charger sa délégation aux droits des femmes et à l’égalité d’une étude sur le thème «femmes et précarité» pour la fin 2012. «La précarité de cette population s’aggrave», témoigne Sylvaine Dubief, directrice du service «vie des quartiers» à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), lors d’un cycle de qualification organisé sur le sujet par le centre de ressources Profession banlieue (2). « Comme personne n ’a de solution, on demande aux travailleurs sociaux d'être les pompiers de service. Mais par quel bout prendre les choses ?»
Les femmes n’ont certes pas le monopole de la précarité, qui augmente pour tous depuis les années 1990. Mais elles sont plus souvent confrontées à des situations qui les fragilisent. Certaines catégories d’entre elles sont particulièrement touchées : jeunes filles à la rue, femmes seules avec enfants, femmes immigrées, femmes isolées... Les causes, multiples, sont connues : elles tiennent autant à la spécificité de leurs modalités d’insertion professionnelle et aux transformations des structures familiales qu’au rôle prépondérant qu’elles continuent à jouer en matière d’éducation des enfants.
En 2005, l’économiste Françoise Milewski, pointant du doigt l’évolution de la situation de l’emploi des femmes depuis vingt ans, était l’une des premières en France à s’intéresser à la dimension sexuée de la précarité dans un rapport commandé par la ministre de la Parité (3). Bien qu’elles aient massivement investi le marché du travail depuis les années 1960, ce qui leur a permis d’acquérir leur indépendance financière dans une période de croissance économique forte, les femmes occupent aujourd’hui plus que leurs homologues masculins des emplois instables : «Les frontières de l’emploi et du sous-emploi, de l’activité et de l’inactivité sont fluctuantes », notamment pour les plus jeunes et les moins qualifiées d’entre elles, explique Françoise Milewski (4). Elles sont non seulement plus souvent en contrat à durée déterminée que les hommes, mais ces contrats durent aussi plus longtemps et débouchent moins souvent sur un emploi durable.
A cette instabilité dans l’emploi s’ajoute, selon l’économiste, un sous-emploi stable : les femmes, lesquelles ont été les premières à être touchées par la déstructuration du marché du travail, occupent, plus que les hommes, des postes à temps partiel, qui se sont multipliés, notamment dans les secteurs peu qualifiés. Si leur surreprésentation dans ce type d’emplois les protège en partie du chômage, elle étend cependant leur précarité. «Le chômage des femmes croît peu, mais pour quel travail?», s’interroge ainsi Sylviane Le Clerc, chargée de mission « Droits des femmes et égalité » à la direction départementale de la cohésion sociale de Seine-Saint-Denis. Car ces emplois à temps partiel sont souvent des emplois peu qualifiés avec des bas salaires et des conditions de travail difficiles (variabilité et fractionnement des horaires, travail le dimanche...). A l’image des emplois de services à la personne, qui se sont largement développés ces dernières années, prioritairement en direction des femmes. Autant d’évolutions qui pèsent sur leur retraite avec des pensions plus faibles que celles des hommes.
Le poids des stéréotypes
Ces inégalités sont largement liées la persistance des inégalités domestiques qui cantonnent bon nombre de femmes dans les tâches ménagères et dans l’éducation des enfants. Moins mobiles et moins disponibles que les hommes, ce sont la plupart du temps encore elles qui optent pour un congé parental ou un temps partiel, du fait de l’insuffisance des structures d’accueil de la petite enfance.
Aussi, très dépendantes financièrement de l’activité professionnelle de leur conjoint, les femmes sont-elles plus exposées qu’eux à basculer dans la précarité en cas de rupture conjugale. D’autant que celle- ci ne s’accompagne pas d’un partage égal de la garde des enfants : dans neuf cas sur dix, les familles monoparentales sont des femmes qui élèvent seules leur(s) enfant(s). Or, «si vivre en couple facilite l’accès à l’emploi en permettant le partage des tâches, lorsqu ’elles sont seules, les femmes voient leurs contraintes se multiplier et n 'ont d’autres choix que de renoncer à une large part de leur vie professionnelle », explique Dominique Saint-Macary, ex-responsable du département enquêtes et statistiques au Secours catholique.
Il n’est pas rare que cette insécurité professionnelle et familiale débouche sur des problèmes de logement. La situation est, en la matière, extrêmement tendue, notamment pour les femmes seules avec enfant(s). Lorsqu’elles se retrouvent à la rue, ces dernières, encombrées de bagages et poussettes, ne savent bien souvent pas où aller. A Saint-Denis, dans la Seine-Saint- Denis, un département particulièrement touché par la précarité féminine, elles peuvent, durant la journée, se rendre dans un accueil de jour spécialisé pour femmes en errance. Géré par l’Amicale du Nid 93 dans le cadre d’un partenariat entre l’État, le conseil général et la ville, ce dispositif, agréé pour trente personnes mais qui en accueille souvent le double (dont de nombreux enfants), fait, malgré son succès, figure d’exception - la plupart des accueils de jour, mixtes, reçoivent en réalité quasi exclusivement des hommes (les femmes s’auto-excluant d’office pour errer avec enfants et poussettes, fréquemment dans des centres commerciaux).
«Les femmes qui arrivent ici sont souvent à bout de souffle et vivent dans la peur du
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