Psychologie et langage
Thèse : Psychologie et langage. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar glouglouamari • 17 Décembre 2017 • Thèse • 106 452 Mots (426 Pages) • 753 Vues
PIERRE COIRIER
DANIEL GAONAC’H
JEAN-MICHEL PASSERAULT
Psycholinguistique
textuelle
Approche cognitive de la compréhension
et de la production de textes
Armand Colin, 1996
Les ouvrages de psycholinguistique n’accordent souvent qu’une place restreinte au texte, par rapport au mot ou à la phrase. Le texte est pourtant depuis longtemps objet d’étude en psychologie, dans les travaux classiques sur la mémoire par exemple, mais ses caractéristiques propres ont été assez peu prises en compte. Le développement de la linguistique textuelle, mais aussi celui d’autres disciplines comme la logique, l’intelligence artificielle la didactique…, ont contribué à constituer une psycholinguistique textuelle, qui est l’objet de ce livre. Il faut dire que les « techniques modernes de communication » ne rendent pas caduques, loin s’en faut, les compétences textuelles : le texte n’est pas absent de ces média, et son usage devient de plus en plus complexe à mesure que se développent de multiples façons de l’exploiter.
La psychologie étudie les opérations mentales en jeu dans la compréhension et la production de textes. Les opérations textuelles sont analysées en référence aux multiples aspects de ce qu’est le texte : les connaissances impliquées, les organisations textuelles prototypiques, les relations intratextuelles, les informations implicites, la situation dans laquelle se déroule l’activité de langage…
L’étude de la compréhension et de la production des textes prend en compte aussi les connaissances cognitives qui s’imposent lors de la mise en œuvre de ces opérations. Les traitements réalisés à propos d’un texte sont multiples et de niveaux très variés. Comment s’agencent-ils ? Comment leur sont affectées les ressources cognitives disponibles ? On prend en compte ici à la fois les caractéristiques du sujet (qui s’imposent à toute activité mentale), et les caractéristiques du texte.
Une partie de l’ouvrage, enfin, est consacrée aux méthodes de recherche spécifiques, développées en psychologie cognitive dans le domaine des textes. Leur connaissance sera utile au chercheur en psycholinguistique, mais aussi aux « praticiens du texte » : enseignants, concepteurs de manuels ou de didacticiels, ergonomes, informaticiens…
Pierre Coirier est chargé de recherche au C.N.R.S. Daniel Gaonac’h et Jean-Michel Passerault sont professeurs de psychologie à l’Université de Poitiers. Ils travaillent tous trois dans le laboratoire « Langage et Communication » de cette Université, associé au C.N.R.S
Introduction
Un problème d’actualité
« Aujourd’hui, avec la télé, les gens ne lisent plus ! » ; et puis, « maintenant que tout le monde a le téléphone, plus personne ne se donne la peine d’écrire ! » ; pour ne rien dire des « autoroutes de l’information », où l’on naviguera sans contrainte. A quoi pourrait bien servir, alors, l’étude des opérations mentales, des processus cognitifs, qui permettent à la plupart des membres d’une société moderne de communiquer entre eux au moyen du texte ?
Ces remarques ne sont pas dénuées de tout fondement, mais elles s’avèrent quelque peu rapides. Si le nombre des bibliothèques publiques et privées diminue très sensiblement depuis quelques dizaines d’années, dans le même temps, le moindre supermarché offre au consommateur un rayon de livres d’une surface notable (au moins autant que celui des aliments pour chats et chiens). Dans un article récent, le Président du Conseil Supérieur des Bibliothèques note que, dans les années 70, 500 000 titres se voyaient publier chaque année dans le monde ; ce chiffre approche les 900 000 dans les années 90 (Melot, 1995, p. 165). Le livre a donc encore un beau présent !
Bien sûr, la forme « Livre », telle que nous la connaissons depuis Guntenberg, risque de se voir bientôt dépasser, si l’on ose dire, par les nouvelles technologies de la communication. Là encore, toutefois, il convient de nuancer : comme le note également Melot, « l’électronique ne dispense pas du livre, mais le remplace par des usages nouveaux ». D’ailleurs, ces usages nouveaux (hypertextes, multimédia) comportent toujours « du texte » pour une part essentielle. Leur nouveauté, ce sont les traitements qu’ils permettent sur et autour de ce texte, ou plus exactement les opérations qu’ils rendent raisonnablement faisables : lecture non linéaire, écriture interactive, navigation dans les systèmes documentaires…
Il convient alors de mieux comprendre les opérations textuelles « classiques » sur lesquelles le nouveau prend son essor, sans cependant rendre caduc l’ancien.
Même s’il est amené à revêtir des formes différentes et à supporter des usages nouveaux, le texte constitue plus que jamais l’outil privilégié d’accès à la culture et à la mémoire collective des sociétés modernes. Les mécanismes fondamentaux qui en sous-tendent la production et la compréhension représentent un domaine de recherche particulièrement important pour la psychologie.
Un niveau fondamental de l’activité langagière
La psycholinguistique « générale » se définit comme l’étude des mécanismes cognitifs au moyen desquels le sujet humain met en œuvre le système de la langue. On peut alors concevoir la psycholinguistique « textuelle », objet du présent ouvrage, comme l’étude des mécanismes par lesquels le sujet humain traite les dispositifs linguistiques, et plus largement les dispositifs langagiers, en vue de produire et/ou d’interpréter une suite cohérente d’énoncés. Il est en effet relativement rare que nous communiquions avec autrui au moyen d’énoncés isolés. Ce qui caractérise généralement le discours, c’est bien plutôt l’enchaînement d’énoncés multiples, et ce, on y reviendra, dans un contexte déterminé, où le discours représente avant tout le moyen choisi pour réaliser des objectifs déterminés. Se demander ce qui caractérise l’expression, le produit effectif de ce niveau fondamental des échanges langagiers, revient alors à « se demander, par exemple, ce qui différencie un enchaînement de phrases dans lequel tout le monde s’accorde à voir un texte, d’un enchaînement de phrases dans lequel tout le monde s’accorde à ne voir qu’un enchaînement de phrases… [La] capacité à reconnaître un texte d’un non-texte… est constitutive de notre compétence langagière, plus généralement peut-être de notre compétence à entrer en communication » (Apotheloz, 1995, p. 9)
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