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Langage Du Pouvoir, Pouvoir Du Langage

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Par   •  15 Mars 2012  •  6 099 Mots (25 Pages)  •  1 844 Vues

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La mise en culture des individus. Sur un livre de Bernard Lahire.

Pratiques culturelles et hiérarchies sociales.

Bernard Lahire, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, 2004.

Michel GROSSETTI

Résumés, Abstracts

Avec « La culture des individus », Bernard Lahire poursuit un travail déjà bien avancé de réexamen des théories de Pierre Bourdieu. Après l’éducation, la sociologie générale, il traite ici des pratiques culturelles, c’est-à-dire du fait de « consommer » des objets culturels (livres, disques, concerts, etc.) et de déclarer aimer tel ou tel artiste ou telle ou telle œuvre. Autrement dit, il s’attaque à La distinction, dont beaucoup pensent qu’il correspond à l’apogée du travail de Pierre Bourdieu.

Tout le monde connaît la thèse de Bourdieu : la société est un système de domination qui ne se fonde pas seulement sur la force ou sur la fortune, mais aussi sur la culture, qui constitue une ressource, un capital, permettant d’atteindre des positions sociales avantageuses ou de s’y maintenir. La domination culturelle masque d’autres formes de domination et les rend plus acceptables. Ceux qui supporteraient difficilement d’être relégués à des positions inférieures par la force ou par la fortune, acceptent d’être devancés par d’autres, plus diplômés ou plus cultivés. La culture s’acquiert à l’école bien sûr, et Bourdieu s’est fait connaître au début par ses travaux avec Jean-Claude Passeron sur les inégalités sociales dans la réussite scolaire. Mais elle s’acquiert aussi dans les multiples pratiques de loisir, qui sont d’autant plus efficaces socialement qu’elles apparaissent comme dénuées d’enjeu social. Or, de même que les chances de réussite scolaire sont très inégalement réparties entre les couches sociales, les pratiques les plus légitimes (celles qui font l’objet d’un apprentissage scolaire ou qui sont considérées comme légitimes par les dominants) sont plus fréquentes dans les couches supérieures. Celles-ci se divisent en sous-catégories selon la composition de leur capital, plutôt économique (la fortune) ou plutôt culturel (les connaissances). Le lien entre les hiérarchies sociales et les pratiques culturelles est dû au fait que la position sociale initiale trouve une traduction cognitive dans l’existence de schèmes cohérents orientant les choix (l’habitus). La société étant structurée en champs, homologues mais autonomes, organisés autour de ressources différentes, les pratiques des agents s’expliquent par leur capital, leur habitus et leur position spécifique dans le champ. Cette thèse est argumentée empiriquement par la mise en évidence des corrélations statistiques entre les positions sociales et les pratiques culturelles, corrélations s’organisant selon deux dimensions, d’abord le volume global de capital, et ensuite la part qu’y prennent le capital économique et le capital culturel. L’étayage empirique présenté par Bourdieu ne laisse aucun doute sur l’existence de variations des pratiques selon les positions sociales et d’une corrélation entre les hiérarchies sociales et les hiérarchies culturelles. Mais il ne peut être considéré comme un argument en faveur de la thèse d’ensemble qu’à la condition d’admettre plusieurs postulats, dont deux en particulier : l’existence de l’habitus comme explication des variations de goût selon les positions sociales ; l’effet en retour des pratiques culturelles sur l’acquisition ou le maintien des positions sociales.

Dans son livre, Bernard Lahire reprend le problème sur la base de données récentes, similaires à celles que Bourdieu avait utilisées (les enquêtes par questionnaire sur les pratiques culturelles des français et un ensemble important d’entretiens approfondis), mais avec des postulats théoriques différents. Comme dans ses ouvrages précédents, il met en avant la variabilité des conduites d’un même individu selon les contextes et les moments. À l’agent de Bourdieu, très largement déterminé par sa position sociale et produisant des choix cohérents dans tous les domaines, il substitue un homme pluriel, dont les dispositions ne sont pas nécessairement cohérentes et dont les pratiques peuvent varier selon les contextes, ce qui n’est en rien contradictoire avec l’apparition de régularités sociales de comportement à des niveaux agrégés.

Le livre est divisé formellement en cinq parties, mais on peut me semble-t-il les regrouper en deux. La première partie, des chapitres 1 à 6, met à l’épreuve le modèle de Bourdieu au moyen d’une analyse statistique. La seconde partie, des chapitres 7 à 17, met en scène de très nombreux « portraits », qui sont des synthèses d’entretiens, afin d’explorer dans le détail la variation des pratiques.

L’analyse statistique de la première partie, menée avec beaucoup de rigueur et d’intelligence, met en lumière les forces et les faiblesses de la démonstration de Bourdieu. Oui, les pratiques culturelles sont socialement différenciées. Les « goûts » ne sont pas indépendants des professions ou des diplômes. Le résultat empirique principal mis en avant par Bourdieu reste valide, y compris avec des données plus récentes. Mais Bernard Lahire teste d’autres aspects des données, notamment les variations des comportements d’une même personne

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