La cogestion de l’article 215 alinéa 3 du code civil.
Dissertation : La cogestion de l’article 215 alinéa 3 du code civil.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Aurélie Boëns • 13 Mai 2017 • Dissertation • 3 314 Mots (14 Pages) • 1 662 Vues
La cogestion de l’article 215 alinéa 3 du code civil.
Le Doyen Carbonnier, pour désigner le logement familial, évoquait un « nid », un nid qu’il fallait protéger dans l’intérêt de la famille. Cette protection du logement familial a été prévue à l’occasion de la réforme des régimes matrimoniaux par la loi du 13 juillet 1965. L’objectif de cette refonte du code civil était de moderniser les dispositions de 1804 qui étaient prévues pour un modèle matrimonial hiérarchisé, patriarcal, inégal. La réforme de 1965 a été orchestrée par le Garde des sceaux de l’époque, Jean Foyer, qui a fait appel à Jean Carbonnier. Ce dernier a utilisé la méthode des sondages afin que les solutions légales soient en adéquation avec les attentes et les besoins de la société : cela a permis de souligner l’attachement des couples mariés à certains principes comme la communauté (esprit partageur), la conservation des biens dans la famille (partage des acquêts, de la fortune acquise pendant le mariage, mais pas des biens hérités) et l’égalité des époux sur le terrain des pouvoirs (en particulier des pouvoirs sur la communauté). Dès lors, un nouveau régime légal a été créé (la communauté réduite aux acquêts) et les modifications opérées ont instauré une relative égalité entre les époux, égalité qui se poursuivra pour atteindre sa plénitude dans la seconde moitié du XIXème siècle (notamment avec la réforme du 23 décembre 1985 qui a envisagé la gestion concurrente).
Dans cette optique d’égalité entre époux, on retrouve l’article 215 alinéa 3 du code civil qui stipule que « Les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous ».
Ainsi, ce texte prévoit une concordance dans les droits des mariés quant à la gestion du logement familial, logement où le couple marié et leurs enfants y vivent ensemble de manière concrète et effective, et des meubles meublants dont il est garni. En l’occurrence, les conjoints agissent ensemble : ils doivent tous les deux donner leur consentement pour passer certains actes concernant le logement familial et les meubles meublants qui se trouvent à l’intérieur.
Ce texte a une place prééminente en droit des régimes matrimoniaux : non seulement en raison de son ancienneté, mais aussi en raison de sa position dans le code civil. En effet, la lettre de l’alinéa 3 de l’article 215 du code civil est demeurée inchangée depuis 1965 : cela lui confère une certaine autorité démontrant son efficacité. Du reste, le fait que l’article figure dans le Titre V « Du mariage » du code civil, au Chapitre VI « Des devoirs et des droits respectifs des époux » confirme l’importance de ce texte : la cogestion de l’article 215 alinéa 3 du code civil constitue une règle impérative du mariage, un pilier du régime primaire, régime, qui s’impose quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux. On comprend ainsi tout l’intérêt de ce texte en matière d’association et d’égalité des époux.
Dès lors, l’article 215 alinéa 3 du code civil impose une cogestion aux époux, et ce même s’ils optent pour un régime matrimonial séparatiste : en toute hypothèse, les conjoints devront consentir ensemble aux actes les plus importants concernant le logement familial, sous peine de sanction de nullité.
Cette règle d’association des époux étant spécifique, puisque relative uniquement au logement familial, il faudra écarter les autres alinéas de l’article 215 du code civil et ne pas s’intéresser aux autres domaines dans lesquels les conjoints doivent agir conjointement (notamment en matière de charges du mariage). Cependant, la protection du logement de la famille peut être prévue par d’autres textes, il conviendra donc de les citer pour démontrer l’importance accordée à ce bien et à sa défense.
Dès lors, ce texte pilier en droit des régimes matrimoniaux amène des interrogations et, notamment, celle de savoir comment la protection du logement familial est-elle assurée par le mécanisme impératif de cogestion de l’article 215 alinéa 3 du code civil ?
Deux thématiques sont abordées par l’article 215 alinéa 3 du code civil : le mécanisme de cogestion en lui-même et les conséquences de l’absence de consentement de l’un des époux. Ainsi, il convient de déterminer en quoi consiste la protection instituée par l’article 215 alinéa 3 du code civil (I) et quelles sont les suites à l’inobservation de cette disposition (II).
I/ Un mécanisme de cogestion protecteur du logement familial.
L’association des époux concernant le logement familial est prévue à l’article 215 alinéa 3 du code civil. La lettre de l’article se veut précise afin de justifier et d’appréhender au mieux cette exception au principe de libre disposition de ses biens. Ainsi, le législateur a déterminé le domaine d’application de la cogestion (A) et les modalités d’application de l’article (B).
A/ Le champ d’application de la cogestion.
Le texte de l’article 215 alinéa 3 du code civil vise deux types de biens, « des droits par lesquels est assuré le logement de la famille » et les « meubles meublants dont il est garni », et, indirectement, les actes de disposition « Les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer… ».
Concernant les biens, le logement de la famille est le premier visé : classiquement, il s’agit du lieu unique où vit, de manière effective, le couple marié avec ses enfants. La jurisprudence a apporté quelques précisions sur cette notion : il ne s’agit pas de la résidence secondaire (Civ. 1ère, 19 octobre 1999), ni du domicile conjugal (Civ. 1ère, 22 mars 1972). Cela, car le législateur a tenu à ne protéger que le lieu où vit de manière concrète et effective la famille (c’est donc une notion de fait qui relève du pouvoir d’appréciation des juges du fond).
Le législateur a également tenu à protéger les meubles meublants situés dans le logement de la famille. D’après l’article 534 du code civil, il s’agirait « des meubles destinés à l'usage et à l'ornement des appartements » (la disposition vise les « tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines […] Les tableaux et les statues ») : même s’il s’agit de meubles propres à l’un des conjoints, ce dernier devrait obtenir le consentement de son époux pour en disposer, l’objectif étant d’assurer à la famille un certain cadre de vie. A noter que le contentieux concernant ces biens spécifiques est suffisamment rare pour que l’article 215 alinéa 3 du code civil soit considéré comme protégeant uniquement le logement familial. Ici, il faudra comprendre que le logement familial vise non seulement le lieu de vie de la famille mais aussi les meubles meublants.
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