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Commentaire d'arrêt (TC, 8 février 2021, n°4202)

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Par   •  22 Novembre 2021  •  Commentaire d'arrêt  •  2 930 Mots (12 Pages)  •  2 803 Vues

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COMMENTAIRE D’ARRÊT

Tribunal des conflits, 8 février 2021, Syndicat des avocats de France c/ Garde des Sceaux, ministre de la Justice (n°4202)


« De façon générale, l’architecture peut représenter l’inscription sur le sol d’un projet institutionnel, social, culturel et politique. Rien ne l’illustre mieux que l’architecture judiciaire. En effet, celle-ci est révélatrice du statut, du rôle de la justice qu’on souhaite lui voir dévolu dans la société, de la représentation qu’on veut donner de sa fonction en référence à une certaine conception de l’ordre social et de l’ordre politique.[1] » Jacques Commaille expose la forte vision politique attachée à l’architecture des palais de justice oscillant entre proximité avec les citoyens et majesté de l’appareil d’État mais pour in fine refléter la vision que se fait la société de sa Justice. Dans un climat contemporain d’alerte permanent, les modifications de l’architecture judiciaire visent désormais à renforcer la sécurité des édifices juridictionnels jusque dans les salles d’audience. C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision soumise à notre étude.

Le 18 août 2016, dans le cadre de la politique ministérielle de sécurité et de défense, le Garde des Sceaux publie au bulletin officiel du ministère de la Justice un arrêté prévoyant la mise en place de zones différenciées au sein des tribunaux judiciaires avec l’installation de box sécurisés dans les salles d’audience dans lesquels seront placés les prévenus lors de leur comparution. Le dispositif est détaillé à l’article 5.1.3.2.6, intitulé « Le box sécurisé des salles d’audience », de l’annexe attachée à l’arrêté : « Les box sécurisés en salles d’audiences sont des espaces fermés destinés à accueillir les prévenus retenus sous escorte. Deux types de sécurisation du box détenus sont recommandés : le premier à vitrage complet du box, le second à barreaudage en façade avec un vitrage sur les faces latérales côté public et coté magistrats. »

Le Syndicat des avocats de France saisit le 1er mars 2018 le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir contre le refus implicite du Garde des Sceaux d’abroger l’article 5.1.3.2.6 de l’arrêté du 18 août 2016 et contre les dispositions mêmes de l’article susmentionné. Le 28 septembre 2020, le Conseil d’État renvoie l’affaire au Tribunal des conflits car celle-ci soulève une question de compétence d’une difficulté sérieuse. Le Tribunal des conflits, composé paritairement de membres de la Cour de cassation – cour suprême de l’ordre judiciaire – et du Conseil d’État – cour suprême de l’ordre administratif –, est chargé de résoudre les conflits de compétence entre les deux ordres de juridictions judiciaire et administratif.

Le Tribunal des conflits devait donc se prononcer sur la question suivante : l’appréciation de la légalité de l’article 5.1.3.2.6 concernant l’installation de box sécurisés dans les salles d’audience des tribunaux judiciaires doit-elle ressortir de la compétence de la juridiction administrative ou de celle de la juridiction judiciaire eu égard aux qualités organique et matérielle de l’acte, émanant d’une autorité administrative mais ayant des effets sur l’activité juridictionnelle de l’autorité judiciaire ?

En l’espèce, le Tribunal des conflits décide que le litige ressort de la compétence de la juridiction administrative compte tenu de la portée générale et impersonnelle de l’acte attaqué bien que le Tribunal reconnaisse que ses clauses ont des effets sur la marche même de la justice judiciaire.

Si l’arrêt du Tribunal des conflits met en œuvre une application classique du principe de séparation des autorités administrative et judiciaire distinguant organisation et fonctionnement du service public de la justice (I), cette solution est parfois difficile à appliquer voire largement rejetée (II).

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  1. Une application classique du principe de séparation des autorités administrative et judiciaire

Si l’arrêt du Tribunal des conflits reprend une solution précédente distinguant organisation et fonctionnement du service public de la justice d’après le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire (A), c’est bien le caractère réglementaire de l’acte attaqué qui détermine la compétence du juge administratif (B).

  1. La reprise de la solution distinguant organisation et fonctionnement du service public de la justice

Le Tribunal établit une distinction entre organisation et fonctionnement du service public de la justice. Cette distinction permet de déterminer la nature de l’acte attaqué et quel ordre de juridiction est compétent pour en apprécier la légalité. Ainsi, la détermination de la nature de l’acte s’opère sur un critère matériel et non pas organique ; le contenu même de l’article 5.1.3.2.6 amène le Tribunal à considérer celui-ci comme « relev[ant] de la fonction juridictionnelle » et est donc du ressort du juge judiciaire bien que l’acte émane d’une autorité administrative : le Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cette séparation entre organisation et fonctionnement du service public de la justice est établie clairement par l’arrêt de principe du Tribunal des conflits du 27 novembre 1952 Préfet de la Guyane (TC, 27 novembre 1952, Officiers ministériels de Cayenne) à propos de l’indemnisation d’officiers ministériels après la rupture de l’activité des tribunaux judiciaire en Guyane en raison de l’absence de nomination des juges nécessaires pour le fonctionnement des tribunaux guyanais par le ministère de la Justice. En l’espèce, le juge administratif a été reconnu compétent car le litige relevait de l’organisation du service public de la justice et non pas du fonctionnement de celui-ci.

Cette distinction entre organisation et fonctionnement du service public de la justice s’explique par la considération par le Tribunal de la séparation des autorités administrative et judiciaire issue de l’époque révolutionnaire. Le fondement de la décision étudiée s’effectue notamment sur la loi du 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III qui précisent pour l’article 13 du titre II de la première : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions » et pour le second : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit. » La persistance de ces textes confirme pleinement l’absence d’un « pouvoir » judiciaire en France. Ainsi, il existe bien une autorité judiciaire (titre VII de la Constitution de 1958) indépendante des pouvoirs exécutif et législatif chargée de l’activité judiciaire, de rendre la justice et de faire « fonctionner le service public de la justice », c’est-à-dire de l’exécuter. L’organisation de ce service relève toutefois de la fonction administrative et « la justice judiciaire est partie intégrante de l’appareil gouvernemental et administratif de l’Etat.[2] »

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