Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 25 février 2000
Commentaire d'arrêt : Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 25 février 2000. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Camille Lamberti • 31 Janvier 2022 • Commentaire d'arrêt • 2 902 Mots (12 Pages) • 296 Vues
Commentaire d’arrêt
« Si nous avons autorité sur notre propre personne, nous pouvons semblablement commander à autrui. Le responsable est celui dans la sphère d’autorité duquel est apparu le fait anormal qui a causé le dommage, qu’il s’agisse de son fait personnel, ou de celui d’une personne soumise à son contrôle »[1]. C’est parce le préposé est placé sous son autorité, que le commettant peut engager sa responsabilité civile pour le fait de celui-ci. Cette idée est illustrée par l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 25 février 2000, publié au bulletin.
En l’espèce, une société spécialisée a procédé par hélicoptère, à un traitement herbicide sur un terrain. Ces travaux ont été réalisés par le pilote. Les conditions météorologiques ont permis aux produits chimiques de s’étendre jusqu’à un fonds voisin, ce qui y a endommagé la flore.
La victime de l’épandage a assigné en réparation de son préjudice, le pilote de l’hélicoptère sur le fondement des (anciens) articles 1382 et 1384, alinéa 5 du Code civil. Cette affaire est soumise à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 26 mars 1997 qui confirme la décision rendue en première instance. Les juges du fond retiennent la responsabilité du préposé, pilote de l’hélicoptère, qui selon eux, aurait dû s’abstenir des travaux en raison des conditions météorologiques. Un pourvoi en cassation est alors formé par le pilote, considérant qu’il n’a pas excédé sa mission confiée par la société spécialisée, et que sa responsabilité ne peut alors être engagée.
En la circonstance, la Haute juridiction s’est prononcée sur le problème de responsabilité, évoqué en l’espèce. La Cour de cassation devait donc répondre à la question de savoir si un préposé ayant commis une faute, sans excéder les limites de sa mission impartie par son commettant, peut engager sa responsabilité civile à l’égard des tiers.
Le 25 février 2000, les magistrats de la Cour de cassation, en leur formation la plus solennelle, ont répondu par la négative. Dans un attendu de principe, les magistrats ont posé l’application de leur réflexion : « n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». En effet, l’Assemblée plénière considère que la Cour d’appel ayant relevé la faute du préposé, n’a pas prétendu au dépassement des limites de la mission dont il était chargé par la société spécialisée. C’est pourquoi, les Hauts magistrats infirment la décision rendue en appel et renvoient la cause et les parties devant la Cour d’appel de Montpellier.
Ainsi, la Cour de cassation vient consacrer le principe d’immunité civile du préposé à l’égard des tiers [I]. Mais la solution rendue expose certaines interrogations quant à l’articulation avec les différents principes de responsabilité s’appliquant en matière civile [II].
- Une immunité conférée au préposé, la consécration du principe
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a, par cette décision, mis fin à une jurisprudence ancienne autour de la question de la responsabilité du commettant pour les faits de son préposé (A). Ainsi, elle confère un régime dérogatoire qui assure au préposé une immunité contre les actions en réparation exercées par les victimes (B).
- La genèse d’un principe d’immunité du préposé
- Premièrement : la responsabilité du commettant pour les faits de son préposé est un des régimes spéciaux de la responsabilité du fait d’autrui. Avant le projet de réforme de 2017, c’est à l’article 1384, alinéa 5 du Code civil qu’il était consacré. Seul était précisé que « Les maîtres et les commettants » sont responsables « du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». C’est par ailleurs au visa de cet article que la Cour de cassation fonde sa solution.
- Deuxièmement : il en vient à se demander pourquoi la Cour adopte une telle position. En effet, l’essence même de l’action en responsabilité civile exercée par les victimes est pour eux le moyen d’obtenir la réparation de leur préjudice. Ainsi, antérieurement à cette solution, les victimes avaient le choix entre trois situations : se retourner contre le commettant, du fait qu’il soit responsable du fait de son préposé, se retourner contre le préposé lui-même sur la base de l’ancien article 1382 du code civil du fait de la responsabilité du fait personnel ou se retourner contre les deux, tenus in solidum. Avec ces choix, les victimes se retournaient généralement vers le plus solvable, communément le commettant. Dans certains cas le commettant était insolvable, et donc les victimes se retournaient contre le préposé en priorité. Ainsi, cela consacrait véritablement la réparation du préjudice pour la victime.
- Troisièmement : C’est pourquoi lorsqu’en 1993, l’idée naissante d’une immunité du préposé empêchait les victimes de se retourner contre lui a boulversé la doctrine. Ainsi, les victimes ont perdu un moyen de recours. Si une partie de la doctrine y a vu l’effondrement de ce régime spécial, l’autre partie voyait en cette décision une intention de protection du préposé et la reconnaissance de l’immunité. On rentre ainsi plus dans une responsabilité du fait d’autrui. C’est dans l’arrêt Rochas, en date du 12 octobre 1993 que la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette une action en responsabilité civile dirigée directement contre les préposés, au motif qu’ils « avaient agi dans le cadre de la mission qui leur était impartie par leur employeur et qu'il n'était pas établi qu'ils en avaient outrepassé les limites », et donc qu’ « aucune faute susceptible d'engager leur responsabilité n'était caractérisée à l'encontre de ces préposés dans la réalisation des actes dommageables ». Il a bien une reconnaissance du principe d’immunité du préposé. Cependant, de grandes interrogations sur la pérennité de cette solution se sont posées, car celle-ci ne sera pas reprise avant 2000. Très clairement, l’arrêt commenté se fonde principalement sur cette décision, puisqu’il va reprendre les conditions posées pour définir la mission des préposés et l’immunité civile en découlant.
Si la solution dégagée en 1993 par la chambre commerciale de la Cour de cassation a ébranlé la doctrine, elle n’en est pas moins dépourvue de pertinence. C’est pourquoi, l’Assemblée plénière, en 2000, va se fonder dessus et consacrer l’immunité du préposé.
- Le régime dérogatoire assurant au préposé une immunité civile
- Premièrement : le régime de la responsabilité du fait d’autrui admet qu’une personne endosse les conséquences d’un dommage qu’une autre personne a causé. En effet, l’adoption par la Cour d’une solution au visa de deux réputés articles 1382 et 1384, alinéa 5 du Code civil, n’est pas anodine. Elle va venir lier la responsabilité du fait personnel et la responsabilité du fait d’autrui. En admettant ce lien, la Cour signifie qu’une faute personnelle, causant dommage à autrui, est recherchée mais que si elle répond à certaines conditions, elle sera alors considérée du régime de la responsabilité du fait d’autrui. C’est en ce sens qu’est compris la solution : « n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ».
- Deuxièmement : ainsi, l’Assemblée plénière admet et consacre le principe de l’immunité du préposé à l’égard des victimes. En effet, un préposé qui aurait commis une faute, ne verra pas sa responsabilité personnelle engagée, s’il a agi dans les limites de sa mission imputée par le commettant. Cette solution va alors rappeler les conditions déjà préalablement posées par l’arrêt Rochas, pour que l’immunité puisse être appelée. De ce fait, il faut établir le lien de préposition entre le préposé et le commettant. Puis, il faut établir un fait dommageable causé par le préposé. Et enfin, le rattacher au rapport de préposition. Ces conditions rapportent un véritable vocabulaire du monde professionnel. En effet, ce n’est que dans le cadre professionnel, liant un salarié à son employeur, qui aurait commis une faute alors même qu’il exerçait sa mission imputée par son employeur, que le salarié pourra se voir recevoir l’immunité. C’est pourquoi, les tierces victimes, ne peuvent alors pas se retourner directement contre le préposé, mais seulement contre le commettant. Cette solution apparait alors d’une certaine logicité. Le préposé représente la continuité du travail que le commettant ne peut exécuter tout seul, c’est l’entreprise qui agit par son préposé. C’est pourquoi, si le commettant ordonne l’exécution d’une tâche, et qu’une faute est commise, l’exécutant est bien le préposé, mais sous les ordres du commettant. Par extension, et exclusivement dans ce cas-ci, le commettant verra sa responsabilité engagée.
- Troisièmement : il est alors possible de relier l’immunité civile à une immunité professionnelle, puisqu’aux yeux des tiers, le commettant est le garant du préposé, il est le garant des actes de son salarié, du fait de leur relation de préposition, du fait du pouvoir hiérarchique de l’employeur. Effectivement, il est très important de rappeler, que ce principe est borné par la définition des missions. La Cour définit le cadre, la finalité de la mission et les moyens de réalisations, qui ne peuvent qu’émaner que du commettant. A travers cette mission, c’est dans l’intérêt et pour le bien de son entreprise que le pouvoir du commettant va s’exercer. Dès lors que les décisions prises par le commettant sont dans cet intérêt, le préposé se doit d’être conforme à ses consignes et les exécuter. C’est pourquoi, le préposé sortant de ce cadre de mission, verra la possibilité d’engager sa responsabilité à l’égard des tiers. Il ne peut bénéficier de cette immunité, comme l’indique le principe, que si le préposé reste dans le cadre de la mission imputée par le commettant. Du moment, qu’il s’en éloigne, alors sa responsabilité du fait personnel pourra être engagée. La position d’adopte la Cour de cassation par sa solution reflète parfaitement le régime de la responsabilité du fait d’autrui. En effet, la Cour suppose qu’un fait établi qui engage la responsabilité personnelle du préposé va engager de ce fait la responsabilité du commettant dans le contexte de ce régime. Alors, le commettant ne vient pas se substituer au préposé : il répond pour autrui et non pas à la place d’autrui.
Aussi, la Cour, eût-elle été tardive à consacrer ce principe, mais elle l’a fait de manière très proportionnée et très encadrée. En ce sens, l’immunité civile du préposé ne peut en aucun cas signifier une irresponsabilité.
- Une immunité conférée au préposé, conforme aux principes de responsabilité
L’immunité du préposé consacrée permet d’engager purement la responsabilité du commettant. Cependant, la Cour énonce dans sa solution un cadre dans lequel doit rester le préposé pour bénéficier de cette immunité, une fois sorti, la responsabilité du commettant du fait de son préposé ne pourra plus jouer (A). Cette solution est novatrice, même si elle s’installe dans une logique jurisprudentielle d’évolution, c’est pourquoi elle emprunte certaines réflexions à d’autres matières (B).
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