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Peut-on vivre sans passions ?

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Par   •  21 Décembre 2021  •  Dissertation  •  2 368 Mots (10 Pages)  •  778 Vues

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Peut-on vivre sans passions ?  

 

        Emmanuel Kant, dans son Anthropologie du point de vue pragmatique, étudie la passion et observe que « L'émotion ne porte qu'une atteinte momentanée à la liberté et à l'empire de soi. La passion l'abandonne et trouve son plaisir et son contentement dans le sentiment de la servitude. » (Anthropologie du point de vue pragmatique, chapitre III). Pour Emmanuel Kant, les passions une maladie de l’âme car elles ne sont pas compatibles avec la Raison.

 En effet, les passions sont considérées comme un facteur d’aliénation par les « philosophes de la Raison » comme Platon en encore Kant. De ce point de vue, il serait préférable de vivre sans passions, de les combattre au profit de la Raison, qui elle seule mène à la vérité. Seulement, certains posent que les passions sont le propre de la nature humaine et qu’il est impossible de mener une vie humaine sans être la proie des passions. Cette question philosophique fondamentale est dominante dans la pensée chrétienne. La vie de l’Homme serait nécessairement tiraillée entre la passion qui lui nuit mais dont il ne peut se défaire et la Raison qui est unanimement considérée comme la voie à suivre. Seulement, la Raison ne se présente pas spontanément à l’Homme. Kant conseille d’éviter de suivre ses passions mais si celles ci font indissolublement parties de la Nature Humaine alors il n’est pas possible de les éviter. Les passions ne sont peut être pas fatalité cependant.Les passions peuvent-elles se mettre au service de la Raison ?

 Nous verrons dans un premier temps que la passion est analogue à l’esclavage et crée conflits intérieurs. Nous commencerons par déterminer quels sont les mécanismes de la passion en nous appuyant sur Emmanuel Kant. Puis, nous observerons que la passion est un drame intérieur puisque elle crée une disharmonie avec la raison. Pour finir sur ce point, nous verrons que la passion mène au déchirement de la volonté pour l’Homme.

 Enfin, dans un second temps, nous remarquerons que la passion peut être « réhabilitée » pour devenir libératrice. Premièrement, nous verrons que pour Descartes la passion est ce qui apporte plaisir au corps. Ensuite, nous détaillerons comment peut ne pas être malheureuse en évoquant les limites que celle-ci ne doit pas dépasser. Pour finir, nous verrons que la passion contrôlée est unificatrice du moi et libératrice.

 

 Pour commencer, voyons en quoi la passion est esclavagiste et destructrice pour l’Homme.

        Tout d’abord, Kant définit la passion comme un mécanisme corporel. Le jugement que porte Kant sur la passion s’inscrit dans une longue tradition philosophique, remontant à Platon. Cette tradition, illustrée par Descartes et, plus près de nous, par Alain, pose l’Homme comme dualité : l’Homme est un corps et une âme, qui sont réellement distincts. L’âme ou l’esprit est raison et volonté et le corps est instrument. Ce dualisme place la source de la passion dans le corps. La passion est un mécanisme corporel qui déborde l’esprit et le domine. Les vraies causes de nos passions ne sont donc jamais dans nos opinions, mais bien dans les mouvements involontaires qui agitent et secouent le corps humain. Ce qui reprend la notion cartésienne des passions comme « des perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l’âme qu’on rapporte particulièrement à elle et qui sont causées, entretenues et fortifiées par quelques mouvements des esprits » (Emmanuel Kant, Traité des passions, art. 27), c’est-à-dire des « esprits animaux » qui correspondent à ces fluides. Ainsi, dans les passions, l’âme subit l’agitation du corps, elle en pâtit. Il n’y a pas, de ce point de vue, de différence de nature entre les passions au sens classique, cartésien, et la passion au sens moderne, celui de Kant. Celle-ci n’est que l’état paroxystique de celles-là, au point que l’âme y devient totalement esclave du corps : le rapport hiérarchique normal est ainsi inversé, l’âme se mettant au service du corps, alors que c’est lui qui devrait la servir. Dans ces conditions, l’âme, se révélant incapable d’exercer le légitime contrôle de la raison sur le corps, peut être considérer comme malade : « être soumis aux émotions et aux passions est toujours une maladie de l’âme puisque tout deux excluent la maîtrise de la raison » (Emmanuel Kant, Anthropologie, § 73). Mais dans la passion, l’âme n’est pas complètement passive : elle va « penser » la passion, la rationaliser, la justifier : « La passion présuppose toujours chez le sujet la maxime d’agir selon un bit prédéterminé par l’inclination. Elle est donc toujours à la raison : et on ne peut pas plus prêter des passions aux simples animaux qu’aux purs êtres de raison. » (Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, traduction Michel Foucault, livre III : De la faculté de désirer, Des passions, § 80 et 81 (1798)). Seulement, l’âme pense mal la passion, la rationalise de manière aberrante : la passion sera une pensée erronée, un jugement faux. C’est pourquoi, comme le dit Kant, « la passion est à considérer comme un délire couvant une représentation qui s’implante toujours plus profondément » (Kant, Anthropologie d'un point de vue pragmatique, §74) et par là affermit son esclavage. En cela, la passion se distingue de l’émotion, plus soudaine, momentanée « L'émotion agit comme une eau qui rompt la digue; la passion comme un courant qui creuse toujours plus profondément son lit. L'émotion agit sur la santé comme une attaque d'apoplexie, la passion comme une phtisie ou une consomption. L'émotion est comme une ivresse qu'on dissipe en dormant, au prix d'une migraine le lendemain, la passion comme un poison avalé ou une infirmité contractée; elle a besoin d'un médecin qui soigne l'âme de l'intérieur ou de l'extérieur, qui sache pourtant prescrire le plus souvent, non pas une cure radicale, mais presque toujours des médicaments palliatifs. » (Kant, Anthropologie d'un point de vue pragmatique, §74).

        Ensuite, voyons que la passion rompt l’harmonie en l’Homme et crée donc un conflit.  La passion est une disharmonie à l’intérieur de l’Homme. Le renversement des rapports hiérarchiques qu’entretiennent l’âme et le corps introduit « le tumulte, la lutte, les sueurs » (Platon, Phèdre) dont parlait Platon dans sa description de l’âme à travers le mythe de l’attelage ailé, quand par son impéritie le cocher ne peut plus maîtriser ses chevaux. Ce mouvement, en effet, est « humiliant » pour l’esprit (Alain, Propos, ed. De la Pléiade, p. 1145). Devenue esclave, l’âme s’insurge contre cet esclavage, mais l’accroît en essayant de s’en délivrer. Ainsi, la passion est surtout un conflit entre moi et moi-même, dont je suis la victime en même temps que le complice. Un tel conflit ne peut qu’être douloureux. C’est un drame, celui de « l’esprit humain à l’épreuve, et harcelé par la nature intérieure » (Alain, Propos sur la religion).

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