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Pascal, Pensées (1658-1662)

Commentaire de texte : Pascal, Pensées (1658-1662). Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  27 Février 2017  •  Commentaire de texte  •  6 120 Mots (25 Pages)  •  4 373 Vues

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Expliquez le texte suivant :

Chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parce qu’on appréhende plus de blesser ceux dont l’affection est plus utile et l’aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l’Europe, et lui seul n’en saura rien. Je ne m’en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu’ils servent ; et ainsi, ils n’ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.                         Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais les moindres n’en sont pas exemptes, parce qu’il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion.                                                                                                            L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres. Il ne veut donc pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur.                                                                                                                                                                                                                 Pascal, Pensées, (1658-1662).

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Introduction.

La vie en société est indispensable pour que chaque individu puisse obtenir par l’entremise des échanges ce dont il a besoin pour assurer le développement de ses dimensions aussi bien vitales et affectives qu’intellectuelles et spirituelles. L’interdépendance dans laquelle vivent les hommes de leur naissance jusqu’à leur mort requiert une confiance mutuelle et le respect de principes éthiques élémentaires pour rendre la vie collective supportable et viable. Dans ce cas, qu’est-ce qui pousse les hommes à être aussi peu sincères les uns envers les autres, à mépriser sans vergogne la vérité qu’exige normalement toute relation avec autrui ?                                        Dans ce texte extrait des Pensées (1658), Pascal entend apporter une réponse paradoxale et originale à cette question. En effet, il affirme que le fond de toute vie humaine n’est « que déguisement, que mensonge et hypocrisie et en soi-même et à l’égard des autres ». Les hommes haïssent la vérité, en ceci qu’elle exige d’eux qu’ils se regardent tels qu’ils sont, qu’elle les contraint à reconnaître cruellement leurs faiblesses et leur condition misérable. C’est pourquoi ils désirent plus que tout en société se mentir à eux-mêmes et se mentir mutuellement afin que personne ne découvre et ne révèle au grand jour les vices plus ou moins graves dont leur âme est atteinte. Cet état de fait est encore plus flagrant, aime à remarquer Pascal, à mesure que les hommes gravissent les échelons sociaux. Mais comment l’auteur parvient-il à justifier que cette « mutuelle tromperie », bien que contraire à « la justice » et à « la raison », constitue un facteur d’ « union […] entre les hommes » ? Ce questionnement nous renvoie un autre problème encore plus fondamental qui est celui de déterminer l’origine de cette disposition au mensonge qui caractérise si bien les conduites humaines. Le fait que l’auteur lui-même soit en mesure de dénoncer le mensonge généralisé des rapports sociaux ne témoigne-t-il pas qu’il peut exister dans le cœur humain un amour de la vérité ?                                                                Après avoir souligné combien la recherche de la puissance sociale encourage les hommes à la flatterie et à l’hypocrisie pour s’attirer la faveur des Grands (l.1 à 7), Pascal élargit sa réflexion à la condition humaine en général pour révéler que le fond de toute vie humaine se caractérise par une tromperie mutuelle qui renforce, paradoxalement, l’union entre les hommes (l.7 à 13). Ce n’est que dans la dernière partie du texte que l’auteur en vient à préciser où se trouve la véritable origine de cette tromperie universelle (l.14 à fin).                   

I. (l.1 à 7) Il n’est pas dans l’intérêt de ceux qui servent le prince de lui dire la vérité.

        a. (l.1 à 3) Les raisons pour lesquelles la haine de la vérité est plus présente parmi les Grands que les gens ordinaires.

Pascal commence par formuler ce qui pourrait s’apparenter à une sentence énonçant une règle de conduite générale des hommes en société : « chaque degré de bonne fortune […] nous éloigne davantage de la vérité » (l.1-2). Elle semble s’appuyer sur l’observation d’un phénomène social que nous pourrions reformuler de la façon suivante : l’homme s’éloigne d’autant plus de la vérité en société qu’il a su en gravir les échelons les plus élevés. A quoi cela est-il dû ? Une personne ambitieuse ne peut pas gravir les différents degrés de la réussite sociale en comptant uniquement sur ses seuls efforts et mérites, elle doit profiter de l’aide de ceux qui sont plus haut placés qu’elle. Plus elle s’élève dans la hiérarchie sociale et plus son ascension sociale dépend de puissants dont elle a tout à craindre, car si elle ne parvient pas à s’attirer leurs faveurs, ils peuvent déjouer ses plans de carrière et la faire tomber en disgrâce en la renvoyant au bas de l’échelle sociale. Il n’y a pas d’autres choix pour celui qui ambitionne réussir socialement que de s’attirer les faveurs de ceux qui ont du pouvoir sur les gens de sa condition. Bien entendu, celui qui doit son changement de condition à une personne plus influente socialement qu’elle se gardera de critiquer publiquement les vices qui la caractérisent : « parce qu’on appréhende plus de blesser ceux dont l’affection est plus utile et l’aversion plus dangereuse » (l.2-3). Si elle sait qu’un tel est stupide, tel autre ignare ou tel autre encore méchant, elle se gardera bien d’émettre publiquement un jugement négatif quant à leur personne ; aucun de ces vices ne mérite de prendre le risque de perdre tous les avantages sociaux si péniblement acquis. Est-ce une façon pour Pascal de dénoncer le cynisme et l’immoralisme des classes dominantes pour défendre les classes sociales opprimées ?                                 Nous verrons qu’il n’en est rien, il nous conduit à devenir plus lucides et plus perspicaces quant à la condition des Grands de ce monde. Ils ne possèdent leur position sociale que par « la bonne fortune » (l.1), c’est-à-dire grâce à la chance d’être né dans une bonne famille, d’être bien-né. Par cette formule, Pascal entend renforcer le caractère contingent et hasardeux des situations sociales dans une société d’Ancien Régime où la naissance et les titres de noblesse sont déterminants pour occuper les fonctions les plus prestigieuses et appartenir aux rangs les plus élevés de la pyramide sociale. Dans une monarchie absolue de droit divin comme celle où vit Pascal, les relations avec les personnes haut placées et les ascendances familiales renommées sont plus importantes que les qualités et les compétences personnelles. Il est indispensable de se faire recommander auprès de ceux qui se trouvent aux échelons supérieurs par des personnes influentes et autorisées si l’on veut passer d’un échelon à un autre.                 A l’époque où Pascal écrit ce texte, il vit dans une société de cour extrêmement hiérarchisée où les conduites sont codifiées par une étiquette. Il faut bien respecter les « grandeurs d’établissement » qui sont exigées par le rang auquel on appartient pour s’en rendre digne et ne pas offenser ceux qui y appartiennent. Du fait que la promotion sociale dépend davantage de ses relations et de ses titres de naissance que de ses mérites, il paraît risquer et dangereux de mettre à dos ceux dont votre destinée dépend. Il reste à expliquer pourquoi le désir d’être véridique est inversement proportionnel au degré d’élévation sociale si bien que c’est dans les classes dominantes de la société où règne de manière la plus manifeste le mensonge et l’hypocrisie. Pascal justifie cette sentence par une observation psychologique des conduites humaines en société. Les personnes désirantes de gravir les échelons de la hiérarchie sociale doivent faire preuve de prudence pour ne pas blesser l’affection de ceux dont ils pourraient tirer un quelconque avantage et ne pas s’attirer l’hostilité de ceux qui pourraient leur nuire. Il en ressort que l’attitude la plus généralement partagée parmi les Grands est la flatterie et la dissimulation.

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