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Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne

Commentaire de texte : Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  11 Février 2022  •  Commentaire de texte  •  2 478 Mots (10 Pages)  •  2 240 Vues

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« On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir. […] Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a le droit d’opposer de la résistance ; dans la liberté commune nul n’a le droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit, et la vraie liberté n’est jamais destructive d’elle-même. […] Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes.

Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne [1763-1764], 8e lettre

Selon un proverbe danois de 1757, « la véritable liberté est celle qui se conforme à la loi ». Aussi paradoxale que cette affirmation puisse paraître, elle est en réalité loin d’être dénuée de sens. En effet, si la liberté est une valeur, un idéal qu’il est difficile de définir, elle n’est pas ce que l’opinion commune lui attribue généralement d’être. Par définition, nous aurions tendance à croire que la liberté et l’indépendance sont très proches l’une de l’autre, et qu’elles consistent toutes deux à vivre sans contrainte, et sans être soumis à des injonctions ou des obligations externes. Or, peut-on réellement en dire autant ? Puis-je me considérer un être libre en dépit des lois auxquelles je me soumets ? Comment peut-on différencier l’indépendance et la liberté ?

C’est l’une des questions philosophiques complexes sur lesquelles Rousseau s’est penché, en établissant tout d’abord une distinction claire entre l’indépendance et la liberté, allant même à l’encontre de l’opinion commune, en les apposant comme deux choses totalement opposées. Suivant son raisonnement, Rousseau s’interroge sur la liberté en elle-même, indépendamment de l’indépendance, et se demande s’il peut vraiment être libre dans la mesure où les autres le sont aussi, et expose que dans les sociétés civilisées, en réalité, il n’existe et ne peut exister de liberté sans lois. Finalement, lorsque l’on cherche la liberté, on ne la trouve qu’au travers des lois inoculées dans la société, et sans celles-ci, Rousseau exprime qu’on ne peut être libre. Ainsi, contre l’opinion commune qui définit la liberté comme l’absence de contraintes extérieures, Rousseau montre qu’il ne peut y avoir de liberté que si celle-ci est garantie par des lois auxquelles tous doivent obéir puisque sans celles-ci, le chaos régnerait. La véritable question est de se demander : qu’est-ce que la liberté ?

Ici, Rousseau nous propose une analyse conceptuelle de la notion de liberté en elle-même, en commençant par établir que l'indépendance et la liberté sont deux concepts foncièrement opposés avant de montrer que la liberté doit son existence et sa subsistance aux lois auxquelles nous obéissons.

Tout d’abord, Rousseau corrige une opinion commune en établissant une distinction nette entre la liberté et l’indépendance, allant jusqu’à dire que «ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement » et déconstruit en même temps les croyances sociales qui tendent à associer par ces deux termes comme étant synonymes. En effet, ici l’auteur s’applique à expliquer que l’indépendance est le contraire même de la liberté. Ainsi, il part de la définition la plus commune de la liberté « quand chacun fait ce qui lui plait », pour lui associer son opposé, avançant que dans la mesure où n’importe qui peut faire ce qui lui plaît, alors ce n’est pas un « Etat libre » puisque la liberté des uns peut gêner celle des autres. Cela donne tout son sens à l’adage français « la liberté s’arrête là où commence celle des autres ». En effet, si j’ai fondamentalement la liberté physique de me rendre n’importe où à n’importe quel moment, puisqu’aucune contrainte naturelle ne m’en empêche, cela entraverait la liberté de mon prochain si j’en venais à m’introduire chez lui. L’auteur continue sur sa lancée en énonçant que « la liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre ». L’emploi de la double négation cherche à montrer qu’être libre, ce n’est en réalité pas tant en tant qu’individu maître de sa volonté personnelle, mais plutôt en tant qu’être en relation et dépendant d’un nombre indéfini d’autres individus qui doivent eux-mêmes limiter leur volonté à la mienne, dans la mesure où je limite la mienne à la leur. La liberté n’est somme toute que le produit d’actions collectives déterminant le seuil de liberté de tout un chacun. Un groupe d’individus vivant en société est donc fondamentalement l’opposé de libre au sens le plus commun du terme, puisque si chacun agissait selon son bon vouloir, alors nous nous gênerions tous les uns les autres et la liberté de mon prochain serait la négation de la mienne. Ainsi, puisque l’on considère que la liberté est le fait d’agir selon ses propres envies, alors en réalité, ce n’est pas vraiment être complètement libre que d’être libre de ses actions.

        Si selon Rousseau l’indépendance est le contraire même de la liberté, au point que ces deux concepts s’excluent mutuellement, paradoxalement, le seul moyen d’être intégralement et complètement libre dans mes actions est d’être intégralement et complètement indépendant. Puisque l’indépendance correspond à ne pas être dépendant, alors tout être vivant parfaitement isolé, et ne vivant pas en société en relation constante avec d’autres individus, est fondamentalement entièrement libre. Cette idée est tout d’abord suggérée avec la citation « Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir » : un maître a des disciples et leur sert de modèle, et vit donc dans une société, dans un groupe organisé entouré de ces mêmes disciples et ne peut pas par conséquent être libre et faire ce qu’il lui plaît, puisqu’en faisant cela il entraverait la liberté de ses disciples, et suivant la logique du raisonnement de Rousseau, ne serait donc pas libre. Il en va de même pour celui qui règne : il doit sans cesse restreindre sa liberté pour en laisser à ses sujets. Ainsi, tout individu vivant en société, quelle que soit la place ou la position sociale qu’il occupe, ne peut être libre, à moins d’être un tyran. La véritable liberté se trouve donc en dehors de la société, dans l’indépendance la plus totale. C’est ce que Rousseau exprime en disant « Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a droit d’opposer de la résistance ». En effet, un individu vivant seul et par ses propres moyens, ne dépendant que de lui-même et n’interagissant avec personne d’autre, peut exercer sa liberté autant qu’il le veut, puisqu’il n’intervient nullement dans la liberté d’un autre, et nul autre ne peut intervenir dans la sienne. La fin de la phrase « dans la liberté commune, nul n’a droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit » vient encore renforcer cette idée, notamment avec l’intervention de l’idée de « liberté commune »: tant que l’humain vit en communauté, alors il n’est pas complètement libre. Intervient ensuite la notion de « vraie liberté » qui « n’est jamais destructive d’elle-même ». Par cela, Rousseau sous-entend qu’il existerait une « fausse liberté », qui serait celle des individus vivant en communauté et qui, par leur propre liberté, détruisent celle des autres, alors que la « vraie liberté » est parfaitement individuelle et s’organise sans limiter celle d’un autre, donc sans se détruire d’elle-même.

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