Peut-on forcer quelqu’un à être libre?
Dissertation : Peut-on forcer quelqu’un à être libre?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar TARSKY • 1 Octobre 2022 • Dissertation • 1 975 Mots (8 Pages) • 422 Vues
Peut-on forcer quelqu’un à être libre?
“Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps, ce qui ne signifie rien d’autre, sinon qu’on le forcera d’être libre.” Évoquant ainsi le cas du criminel et du hors la loi, Rousseau dans le chapitre VII du livre I du Contrat social, situe la question dans son enjeu juridique et politique. En corrigeant le criminel, il semble qu’on ne lui ôte pas sa liberté, mais qu’on le rappelle, en même temps à la loi et à sa liberté. Le paradoxe prend ,cependant, l’opinion commune à revers;il nous faudra donc dans un premier temps, élucider le sens d ’ « être libre » pour que l’absurdité apparente soit levée. Jusque là nous avons déterminé le “on” comme volonté générale et le « quelqu’un », par suite comme citoyen limitant ainsi la portée de la question dans le domaine éthique, politique et moral. Mais, au delà de ce domaine, l’idée de liberté est-elle compatible avec le moyen juridique de la contrainte? Plus même, cela n’indique-t-il pas les limites d’une libération seulement politique? Ne devons nous pas chercher, au delà de la sphère éthique, l’idée d’une liberté, plus en devenir qu’enfermée dans l’être, affranchie de toute loi oppressive, et par là de toute force et violence?
Il convient de remarquer, d’abord, qu’on ne peut s’en tenir à l’idée immédiate de l’être libre. Si être libre, c’est faire ce qui nous plaît, on conçoit alors la liberté comme celle d’un mouvement naturel guidé par un désir ou une force vive intérieure. Dans ce cas si notre individualité est forcée par quelqu’un d’autre, la force d’un individu s’opposant à la force d’un autre ne peut que limiter sa liberté. En effet, si je croise dans la rue un être quelconque qui me séduit, spontanément ma nature me conduira peut-être à me l’approprier, voire à le violenter ou à l’inverse à m’en écarter par crainte de sa répression, de la répression conçue comme une force opposée à la mienne. Dans un cas je me serais laissé aller à mon désir spontané, dans l’autre celui-ci aura été contrarié, mais pourrais-je dire que je me suis conduit librement dans les deux cas. Dans le premier, je n’aurais alors respecté aucune règle, je serais passé outre la crainte d’une autre force, mais comme le dit aussi le sens commun, je n’aurais pas respecté la liberté d’autrui, plus même aurais-je respecté ma propre liberté? Dans le second cas, J’aurais craint une force répressive, celle de l’autre ou celle d’un tiers, mais aurais-je été plus libre?
N’est-ce pas pour cette série d’objections internes que le sens commun contient lui-même, l’idée de la liberté comme celle d’une certaine maîtrise de soi, ou d’indépendance dans l’action. Or, dans notre exemple, notre acte est produit sous l’emprise d’une cause extérieure, c’est-à-dire l’objet de mon désir. Se laisser aller à faire ce qui semble nous plaire, c’est être réactif, ce n’est pas être actif mais conditionné et dépendant de sa passion. La passion ne peut donc, pas être le mobile d’une volonté libre. La liberté se mesurerait plutôt à la résistance de fer que nous sommes capable d’opposer à nos passions. Comme le conclut Rousseau dans le Contrat social, I 8,”L’impulsion du seul appétit est esclavage”. En revanche, agir par respect de la liberté d’autrui limite, peut-être, notre désir mais impose à notre volonté l’exigence de se maîtriser. Le respect de la loi qui, en nous, commande l’autolimitation ne nous force pas quand bien même elle se manifesterait par l’obligation que nous éprouvons. L’obligation n’est pas la force ou la contrainte si ce n’est métaphoriquement comme signe de la force d’âme.
Admettons donc que cela soit vrai pour nous, reste à savoir si nous pouvons forcer autrui à respecter la loi? En effet, si j’aperçois un individu quelconque se laissant aller à son désir, je peux en utilisant ma force, l’empêcher de nuire, mais je ne lui imposerais pas pour autant d’être libre. Je limite seulement l’usage de sa force. Car du point de vue moral, où nous nous étions mis, il faudrait que je puisse vérifier son intention, comme étant celle d’une élévation au respect de la loi par un consentement de sa volonté; or, ici, je ne contrôle que l’aspect extérieur de son action. Nous étions dans une sorte d’état de nature des relations inter-individuelles où il n’y a aucun signe extérieur manifeste de la volonté d’autrui. Il apparaît donc nécessaire de sortir de cette sorte d’état de nature dans lequel “quelqu’un” n’est qu’un individu indéterminé pour comprendre si nous pouvons forcer l’homme dans un état civil. Il nous faudra alors préciser quel est le “on” qui, de droit, peut forcer.
Présupposer un État civil où le droit s’actualise dans des lois, c’est présupposer que la loi a été adoptée selon et par la volonté générale. Cela pose, pour nous, la question de savoir si dans la formation de la volonté générale on ne se force pas réciproquement à être libre? Répondre affirmativement à cette question ce serait confondre l’obligation et l’obéissance à la raison avec la contrainte et la soumission à la force. Dans le contrat, certes, autrui limite le droit illimité sur toute chose que je possède dans l’état de nature, mais il ne le fait pas par un acte de force. C’est plutôt la violence généralisée d’un état de barbarie qui exhibant son caractère insupportable, nous oblige chacun pour soi-même à sortir de la violence. C’est alors la volonté de chacun, faisant retour sur elle-même, qui s’interdit l’usage de la force. Elle y renonce. L’obligation conduit donc chacun à limiter l’usage de sa liberté en accord avec autrui. Ce renoncement à la force est l’acte moral constitutif de l’état civil, de la civilisation. Mais ce n’est pas la force qui nous impose d’être libre, c’est le renoncement à la force. Dès lors, dans le “Moi commun” qui se constitue, selon l’expression de Rousseau, chacun passe de l’individualité à la citoyenneté. Ce passage fait que la liberté n’est pas seulement renoncement à la force, mai élévation à la volonté; car c’est moi-même qui fait, élabore la loi comme citoyen à laquelle je me soumettrai comme sujet. L’être libre du citoyen est donc “obéissance à la loi qu’on s’est prescrite”, autonomie, selon le Contrat social, I,8.
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