L'influence du principe de la dignité de la personne humaine sur l'évolution des pouvoirs de police
Commentaire d'arrêt : L'influence du principe de la dignité de la personne humaine sur l'évolution des pouvoirs de police. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Ivanie • 25 Novembre 2023 • Commentaire d'arrêt • 2 800 Mots (12 Pages) • 223 Vues
L'influence du principe de la dignité de la personne humaine
sur l'évolution des pouvoirs de police
Il y a près de trente ans, par deux décisions rendues le 27 octobre 1995, l’assemblée générale du contentieux du Conseil d’Etat, suivant les conclusions du commissaire du gouvernement Patrick Frydman, reconnaissait explicitement que le respect de la dignité de la personne humaine constituait une composante de l’ordre public.
Le Conseil d’Etat admettait ainsi que les autorités de police administrative générale interviennent afin de garantir ce principe à valeur constitutionnelle qui consiste en cette part d’humanité qui lie l’ensemble des êtres humains (issu de la décision n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994 qui consacre pour la première fois ce principe) et non au seul respect de ce que le professeur René Chapus appelait la « trilogie traditionnelle », à savoir la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques.
Selon la Doctrine, cette solution estampillée Morsang-sur-Orge semblait être destinée à ne rester qu’un simple cas d’école, « marquant bien plus les étudiants que la jurisprudence administrative elle-même » (M. Franc, Une relecture de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, AJDA 2014, p.106 ; Olivier Bonnefoy, Dignité de la personne humaine et police administrative, AJDA 2016 p. 418).
Réactivée en 2014 à l’occasion de l’affaire Dieudonné (CE, ord., 9 janvier 2014, Min. de l’Intérieur C/ Société Les Productions de la Plume ; CE, ord., 10 janvier 2014, Société Les Productions de la Plume, Dieudonné M’Bala M’Bala et CE, ord., 11 janvier 2014, Société Les Productions de la Plume, Dieudonné M’Bala M’Bala), elle fut en réalité le point départ d’une jurisprudence abondante relative à la dignité de la personne humaine qui allait apporter des modifications substantielles à la définition classique des pouvoirs de police.
Cette évolution consiste non seulement en une extension des pouvoirs de police par la sollicitation de ce principe de dignité de la personne humaine comme composante à part entière de l’ordre public (I) mais également en l’affirmation d’obligations matérielles nouvelles à la charge des autorités de police par l’invocation en justice de la dignité comme un véritable droit opposable à l’Etat (II).
I. L’extension des pouvoirs de police par la sollicitation de la dignité de la personne humaine comme composante de l’ordre public
La sollicitation de ce principe de dignité de la personne humaine par la haute juridiction administrative en 1995 marque le point de départ d’une extension sans précédent des composantes traditionnelles de l’ordre public.
A. Intervention de l’autorité de police indépendamment des circonstances locales particulières
Conformément à la tradition libérale, la prévention des atteintes à l’ordre public est assurée par la police administrative générale et l’ordre public se définit par son caractère « principalement matériel » car « il s’agit d’éviter les désordres visibles » (Article d’Agathe Lepage, « Liberté d’expression et police administrative – Et si la défaite de Dieudonné devant le Juge administratif était celle du droit pénal ? Communication commerce électronique n° 2, février 2014, Com. 20).
Cette conception classique de la police administrative renvoie à « l’ordre matériel et extérieur » théorisé par Maurice HAURIOU.
Ainsi le code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit en son article L. 2212-2 al. 1er que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
Toutefois, le recours à la trilogie « sécurité, tranquillité ou salubrité publiques » s’avère parfois insuffisant, particulièrement s’agissant de la police des spectacles.
C’est ainsi que dans un arrêt Société Les Films Lutetia et Syndicat Français des producteurs exportateurs de films (CE, section, 18 décembre 1959, Lebon, p. 693), le Conseil d’Etat a pu considérer - malgré les conclusions contraires du Commissaire du gouvernement H. MEYRAS - que l’immoralité d’un film « osé » (Le Feu dans la peau) pouvait être un motif valable d’interdiction de sa projection par un maire soucieux du respect des bonnes mœurs dès lors qu’elle s’appuyait sur des circonstances locales particulières :
« Un maire, responsable du maintien de l’ordre public dans sa commune, peut (…) interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d‘un film (…) dont la projection est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciables à l’ordre public ».
Cette jurisprudence Lutetia restait d’un maniement délicat car :
- La « moralité publique » est une notion très subjective (l’immoralité d’un film s’apprécie au regard des réactions qu’il suscite : caractère pornographique, érotique du film ou encore incitation à la violence qu’il suscite) Cf à ce sujet : CE 30 juin 2000, Association Promouvoir ;
- Le juge administratif exigeait en outre des « circonstances locales particulières », autrement dit un contexte local spécifique, par exemple le fait que l’action du film se situe dans la commune concernée par la mesure de police, ou le fait que qu’il renvoie à des événements qui s’y sont déroulés, ou encore le fait que le nombre d’enfants mineurs y est particulièrement élevé. Cf à ce sujet : CE 26 juillet 1985 Ville d’Aix-en-Provence
Compte tenu de l’évolution des mœurs et des idées, la jurisprudence plus récente se montre des plus réticentes à ce type de « censure locale » (cf CAA Lyon, 10 février 2000, Ville de St Etienne ; CE 8 décembre 1997, Commune d’Arcueil, à propos de « messageries roses »), d’autant plus depuis l’arrêt Commune de Morsang sur Orge (CE, Ass., 27 octobre 1995, précité), qui énonce :
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