L'Etat d'urgence et la protection des droits et libertés
Dissertation : L'Etat d'urgence et la protection des droits et libertés. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Moukmouk • 15 Mars 2017 • Dissertation • 3 887 Mots (16 Pages) • 4 249 Vues
« L’état d’urgence et la protection des droits et libertés »
Pour certains, comme pour le Père Fondateur Benjamin Franklin, « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux ». Pour d’autres, comme Alain Peyrefitte, le Garde des Sceaux du gouvernement Barre, « La sécurité est la première des libertés ».
Ces deux citations sont utilisées à tout-va à propos de la mise en place de l’état d’urgence depuis les terribles attentats de Paris du 13 novembre 2015.
L'état d'urgence, prévu par la loi du 3 Avril 1955, est un régime exceptionnel de police déclaré soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique. C’est un état d’exception qui permet aux autorités administratives de prendre des mesures restreignant les libertés. Les droits sont l’ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société, comme la loi, les codes, l’équité, les normes, les règles juridiques… La liberté peut être considérée quant à elle comme un bienfait suprême consistant pour un peuple à vivre hors de tout esclavage, servitude ou oppression, sujétion ou domination intérieure ou étrangère. Quand on parle de droits et libertés, on pense aux droits et libertés fondamentaux énumérés dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ou dans le préambule de la Constitution de 1946. On a en tête les principales libertés garanties par la Constitution, telles que la liberté d’expression, de la presse, le droit d’aller et venir, le droit à la sureté et la sécurité… Or, dans le cadre de l’Etat d’Urgence, les autorités administratives telles que le Ministre de l’Intérieur ou le préfet peuvent restreindre ces libertés, en interdisant la circulation, en interdisant de manifester, en fermant certains lieux, en perquisitionnant de jour comme de nuit… Ce régime exceptionnel normalement prévu pour une durée limitée semble cependant s’éterniser sur le territoire français.
L’Etat d’Urgence a été instauré à l’époque de la guerre d’Algérie et a été assez peu utilisé jusqu’à récemment. Il a été mis en œuvre de manière limité lors des événements de Nouvelle-Calédonie durant les événements des 1984-1985, puis en Novembre 2005 par le Président Jacques Chirac dans 25 départements pour mettre fin aux émeutes dans les banlieues françaises. Après les attaques terroristes de Charlie Hebdo et de l’HyperCasher des 7 et 9 Janvier 2015, l’Etat d’Urgence commence à être mentionné. Dans la soirée du 13 Novembre 2015, des attaques-suicides ont lieu aux abords du Stade de France pendant un match amical de l’équipe nationale, aux abords de bars, et une fusillade éclate au sein du Bataclan. Le lendemain de ces drames, l’état d’urgence est déclaré sur tout le territoire métropolitain, et il est étendu le 18 Novembre aux départements d’Outre-Mer. Cet état d’urgence, situation censée être exceptionnelle, a été prorogé trois fois et devait prendre fin après l’Euro de Football ayant eu lieu en France. Cependant, le soir de la fête Nationale de 2016, un autre attentat se produit à Nice sur la promenade des anglais, ce qui amène le Gouvernement à prolonger une fois de plus l’Etat d’Urgence jusqu’en décembre 2016. Et la loi du 19 Décembre 2016 va de nouveau proroger l’Etat d’Urgence jusqu’en juillet 2017.
En période exceptionnelle, le contrôle exercé est extrêmement favorable à l’autorité de police administrative. Cela se justifie par l’idée selon laquelle, lorsqu’il s’agit de faire face à des crises graves, les exigences de l’ordre public justifient que des mesures plus restrictives des libertés, plus dérogatoires, puissent être prises.
Du fait de ces possibilités de prendre des mesures plus restrictives, la question se pose de savoir si la protection des droits et libertés est toujours possible dans le cadre d’un régime exceptionnel tel que l’Etat d’Urgence. En effet, si l’impératif de sécurité publique implique nécessairement dans de telles circonstances une diminution des libertés, de tels pouvoirs exceptionnels confiés à l’autorité publique ne doivent pas porter une atteinte excessive à nos droits et libertés fondamentaux. Cette question est d’autant plus d’actualité lorsque de telles mesures sont systématiquement renouvelées et que ce cadre d’exception devienne la norme. De plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en cause ou à minima s’interroger sur la légitimité d’un Etat d’Urgence sur une si longue période. Plusieurs candidats à l’élection présidentielle ont d’ailleurs fait par de leur désir d’y mettre fin.
Dès lors, il est pertinent de se demander : dans quelle mesure l’Etat d’Urgence peut-il cohabiter avec une protection de nos droits et libertés ?
L’Etat d’Urgence apparaît comme une atteinte encadrée aux droits et libertés fondamentaux. Cette atteinte est légalement justifiée du fait des circonstances exceptionnelles, et reste limitée dans les mesures prises (I). Toutefois, ces limitations légales ne sont pas suffisantes. Il peut y avoir des abus des pouvoirs ainsi conférés, d’où la nécessité d’un contrôle juridictionnel de l’Etat d’Urgence (II).
I. L’Etat d’Urgence, une atteinte encadrée aux droits et libertés fondamentaux
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Le législateur a entendu donner à l’exécutif des pouvoirs très étendus justifiés par les circonstances, au nom de la protection de l’ordre public, mais ces pouvoirs sont encadrés tant au niveau de la mise en œuvre de l’Etat d’Urgence (A) qu’en ce qui concerne les mesures pouvant être prises par l’administration (B).
A) Des pouvoirs encadrés concernant les conditions légales de mise en œuvre de l’Etat d’Urgence
L’Etat d’Urgence ne peut pas être décidé unilatéralement par le Gouvernement dans n’importe quelle circonstance. L’article 1er de la loi de 1955 prévoit que l’Etat d’Urgence peut être déclenché uniquement « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Certes, ces conditions sont plus floues et souples que celles de l’Etat de Siège (guerre ou insurrection armée), mais son effet est moindre car il n’y a pas de transfert de l’autorité civile à l’autorité militaire. En l’espèce on peut considérer qu’au vu de la gravité exceptionnelle des événements qui se sont produits, à savoir des attentats terroristes ayant causé plusieurs centaines de morts sur tout le territoire national (on a pu parler « d’Etat de Guerre »), les conditions fixées par le texte pour la mise en œuvre de l’Etat d’Urgence étaient amplement justifiées.
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