Dura lex sed lex
Discours : Dura lex sed lex. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar laubu • 15 Janvier 2019 • Discours • 2 276 Mots (10 Pages) • 1 408 Vues
DURA LEX SED LEX
C'est à l'occasion d'une discussion avec l'un de nos frères lors des agapes que le sujet de ma planche m'est apparu. Pour beaucoup il semble incompréhensible que des juristes puissent discuter des heures, voire des années, sur un texte juridique. Pour ces béotiens, le droit serait une quasi science exacte et, à un problème donné, il suffirait d'appliquer le texte de droit idoine pour que la solution soit toute trouvée. Nul besoin de discuter, nul besoin de faire couler des hectolitres d'encre, ni d'encombrer les tribunaux, le texte de loi applicable peut paraître sévère mais il suffit de l'appliquer dans toute sa simplicité, dans toute sa dureté, pour que le problème soit réglé. Comme dit l'adage romain, « dura lex sed lex » (la loi est dure, mais c'est la loi).
Que nenni ! En vérité, rien n'est plus mouvant et imprécis que le droit, et il n'est nul besoin d'attendre qu'un ministre de l'intérieur, futur président de la république, se targue d'agir en matière de délinquance en pondant une nouvelle loi pénale tous les 6 mois, pour que cela en soit ainsi.
En premier lieu, rien n'est plus sujet à interprétation qu'une loi.
En effet, notre système de droit hérité de Rome est fondé sur de grands principes posés une fois pour toute et réunis le plus souvent au sein de codes afin d'en faciliter l'accès et la compréhension. Ces grands principes ont vocation à s'appliquer à une multitudes de cas différents. Dès lors, le rédacteur reste le plus elliptique possible de telle sorte à embrasser le plus d'espèces possibles.
Un seul exemple : l'article 1134 du code civil qui pose le principe de la responsabilité contractuelle en droit français (c'est-à-dire que lorsque une personne conclut un contrat elle est tenue de le respecter sauf à engager sa responsabilité), énonce :
Les contrats tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Ils doivent être exécutées de bonne foi.
Rien de plus percutant et simple en apparence. Eh bien sous cet article d'à peine 2 lignes suivent plus de 10 pages de jurisprudence, soit des centaines de décisions de justice, qui toutes tendent à expliquer comment il faut comprendre ces 2 lignes. Par exemple qu'est-ce que la « bonne foi » en matière contractuelle ? Comment se définit-elle ? Quelles sont les devoirs associés à l'exigence de bonne foi ? « Bonne foi » veut-il dire devoir de loyauté, de coopération, de cohérence ? Quelles sont les conséquences de la mauvaise foi ? Le contrat est-il dès lors nul, ce qui pourrait faire les affaires de la personne de mauvaise foi plus que celles de la victime ? Est-il possible d'exclure cette obligation de bonne foi par une clause dans le contrat ? Etc. L'article 1134 ne répondant pas à toutes ces questions, pas plus que le code civil ou les autres codes, il a bien fallu que les juges pallient ces carences et trouvent des réponses.
A cet égard, lorsqu'un justiciable saisit le juge et lui demande de préciser ce que signifie le contrat obscur qu'il vient de signer, il convient de fixer à ce juge des règles d'interprétation de telles sorte qu'il ne substitue pas sa propre volonté à celle des parties. Aucun texte législatif ne fixe ces règles d'interprétation. Cela signifie-t-il dès lors qu'un juge est libre d'interpréter comme il l'entend (en fonction de ses opinions, politiques, religieuses, sociales, ... ?) le contrat qui lui est soumis, ce qui serait la porte ouverte à l'arbitraire le plus complet ? Bien sûr que non. La Cour de Cassation, la plus haute juridiction française, a fixé un cadre et ce dès 1808 (le code civil que nous connaissons aujourd'hui a été adopté pour la 1ère fois en 1804). Pour faire mine qu'elle ne se substituait pas au Parlement et qu'elle n'adoptait pas sa propre législation en dépit du principe de séparation des pouvoirs, la Cour de Cassation s'est raccrochée à l'article 1134 du code civil et a jugé qu'en matière d'interprétation des contrats, le juge doit rechercher la volonté commune des parties en s'abstenant de la dénaturer. L'article 1134 ne dit nullement cela mais comme la décision de 1808 a fait jurisprudence, c'est-à-dire qu'elle a été reprise par tous les tribunaux, et cela depuis 200 ans, la règle édictée en 1808 est devenue un principe incontestable aussi intangible que l'article 1134 dont elle est tirée par un tour de passe-passe.
Avec ce seul exemple, on se rend vite compte que si c'est le Parlement qui est censé voter la loi, dans le silence des textes les juges se substituent bien souvent à lui. « Nécessité fait loi », au sens propre.
La loi est dure, mais c'est la loi, disaient les romains. Encore faut-il savoir ce que dit la loi. La limite entre interpréter la loi, la compléter comme dans le cas de l'article 1134 et inventer de nouvelles règles est mince.
L'article 1147 du code civil par exemple. Cet article énonce :
le cocontractant qui n'a pas exécuté le contrat ou qui l'a mal exécuté doit payer des dommages et intérêts à sa victime.
L'article 1147 ne dit rien de plus. Toutefois, sur la base de cet article, la jurisprudence a créé une distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat. En gros, un médecin ou un commerçant n'engagent pas leur responsabilité de la même manière. Le commerçant engage sa responsabilité (autrement dit il paie des dommages et intérêts) du simple fait que sa marchandise est avariée ou non livrée, c'est à dire du simple fait que le résultat attendu n'a pas été atteint. Le médecin par contre est astreint à une simple obligation de moyens, c'est-à-dire que s'il doit tout mettre en oeuvre pour guérir son patient, il n' engage pas sa responsabilité du simple fait que le résultat escompté, la guérison, n'a pas été atteint. Cette distinction n'a rien de choquant et apparaît même frappée au coin du bon sens. Toutefois, aucun texte juridique ne l'a jamais énoncé. C'est une invention des juges dans le cadre des prétoires, ce que l'on appelle une « création prétorienne ».
Plus abracadabrant : en juillet et octobre 2010, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont jugé que les règles de la garde à vue actuellement applicables en France violaient la Constitution française ainsi que la Convention européenne des droits de l'homme, soit rien de moins que le texte fondateur et quasi sacré de notre droit français ainsi que le texte européen de référence en matière de droits de l'homme.
Face à une telle violation des droits les plus élémentaires de tout justiciable, il semblait logique que les règles actuelles de la garde à vue devaient être revues et corrigées sur le champ, quitte à suspendre les procédures en cours et semer un beau bazar.
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