Commentaire de l’arrêt Derguini
Commentaire d'arrêt : Commentaire de l’arrêt Derguini. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar oraneml • 6 Février 2023 • Commentaire d'arrêt • 1 476 Mots (6 Pages) • 460 Vues
MALOU Orane
Commentaire de l’arrêt Derguini
L’arrêt Derguini est un arrêt rendu par la Cour de cassation siégeant en assemblée plénière le 9 mai 1984, traitant des éléments constitutifs de la faute.
Les faits étaient les suivants. Fatiha, une fillette de cinq ans, s’engage brusquement sur un passage piéton. Cette manœuvre est si soudaine qu’elle se fait renverser par une voiture, ce qui provoque instantanément son décès.
En leur qualité de représentants légaux, les parents de la jeune Fatiha attaquent alors le conducteur de la voiture en justice, devant le tribunal correctionnel de Thionville. Celui-ci rend son jugement le 21 janvier 1977 : il partage la responsabilité entre l’enfant et le conducteur de la voiture. Pour les juges, le conducteur est certes fautif, mais ils considèrent aussi que l’enfant a eu un comportement à risque en traversant la route au moment où une voiture allait passer. Or, la faute de la victime entraîne une exonération partielle de responsabilité : ici, le tribunal considère que les deux protagonistes partagent la responsabilité de manière égale. La responsabilité du conducteur est donc réduite de moitié, tout comme le montant des dommages et intérêts versés aux parents de la fillette.
Les parents de Fatiha décident alors de faire appel pour contester cette décision. La cour d’appel de Metz rend un arrêt confirmatif le 1er juillet 1977. Les appelants décident alors de se pourvoir en cassation. Le 13 décembre 1978, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel de Metz et renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Nancy. Celle-ci rend sa décision le 9 juillet 1980, par laquelle elle confirme le verdict du tribunal correctionnel de Thionville : la responsabilité est bel et bien partagée puisque la fillette a commis une erreur en traversant le passage piéton à l’improviste. Son jeune âge impliquant un manque de discernement ne rentre pas en compte dans le jugement. Les parents décident alors de se pourvoir une deuxième fois en cassation au motif que pour être considéré responsable d’une faute, il faut avoir conscience de la portée de son acte et donc être doué de discernement. Pour eux, le jeune âge de leur fille ne lui permettait pas d’anticiper la conséquence de son acte. Elle ne devrait donc pas être considérée comme moitié responsable de l’accident : seul le conducteur doit en assumer la responsabilité.
L’arrêt Derguini pose donc le problème de droit suivant : peut-on engager la responsabilité civile d’une personne mineure qui n’a pas conscience de la portée de ses actes ?
La Cour de cassation a donné raison à la cour d’appel, estimant que celle-ci n’avait pas à rechercher l’existence d’un quelconque discernement et qu’il y avait donc un partage équitable des responsabilités et donc des dédommagements, tant pour le préjudice subi que pour le remboursement des sommes versées par la caisse d’assurance. Ainsi, dans son arrêt du 9 mai 1984, la Cour de cassation rejette le pourvoi des parents de Fatiha. Cet arrêt a fait jurisprudence en matière de droit civil, car il modifie considérablement la notion de faute (I) et entraîne des conséquences sur son application par les juges dans les affaires postérieures (II).
I – La notion de faute en droit civil
Si la faute n’est pas définie explicitement par le Code civil, elle reposait implicitement sur deux éléments : l’élément objectif et l’élément subjectif. L’arrêt Derguini vient bouleverser cette dualité puisqu’il consacre l’élément objectif de la faute (A) tout en abandonnant l’élément subjectif (B).
A) La consécration de l’élément objectif
Puisque la faute n’est pas définie par le Code civil, sa portée a pu être librement interprétée par la jurisprudence comme par la doctrine. Au départ, les juristes considéraient que l’élément objectif de la faute était un élément matériel, c’est-à-dire un acte de commission. Ils y ont ensuite inclus les actes d’omission, autrement dit les abstentions : le fait de ne pas avoir agi, alors qu’on aurait dû, peut être considéré comme une faute si cette absence d’action a conduit à un préjudice. C’est l’arrêt Branly du 27 février 1951 qui a fait jurisprudence en la matière : pour la première fois, la Cour de cassation considère que la reconnaissance de la faute prévue par les articles 1382 et 1383 peut s’analyser aussi bien dans une abstention que dans un acte positif. Dans cet arrêt, elle n’a pas opéré de distinction entre l’abstention dans l’action de l’abstention pure et simple.
L’élément objectif de la faute implique aussi une dimension illicite : la violation d’une norme, qui peut être une règle de droit, une coutume ou encore une norme de comportement. Selon Planiol, « la faute est la violation d’une obligation préexistante ». Cependant, on peut considérer qu’il y a faute sans violation d’une obligation prévue dans les textes. Le juge évalue donc la faute en comparant le comportement du présumé fautif au comportement d’une personne sensée (« bon père de famille »). Dans l’arrêt Derguini, la Cour a considéré que le comportement de la fillette n’était pas celui d’une personne raisonnable, sans prendre en compte son jeune âge. La jurisprudence semble ainsi avoir abandonné l’élément subjectif de la faute.
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